• A propos de la lecture d’un texte par un acteur, à l’occasion du Centenaire René Char et du  texte inaugural   de Daniel Mesguich en lien avec l'Ecole des lettres , Hélèné Boutin avait eu un entretien avec l’acteur sur le site Educnet – section théâtre… L’article est du 19 juin 2006 mais  nous vous y revenons pour sa valeur pédagogique.


     

    Extraits de l’entretien :

     "Pour tout texte, quel quil soit, au fond de lencrier, ou de lordinateur, il y avait dabord une voix. Une lecture rend la voix à la voix : ce qui est venu dune voix retourne donc à la voix. La voix dun autre. Aucun livre, aucun imprimeur au monde ne rendra cette voix si quelquun dautre ne sen mêle pas. Voilà ce qui justifie une lecture, ce qui en constitue le statut et lautorisation.

     Le lecteur silencieux est seul. Bien sûr, il dialogue avec son livre, il entre dans le texte, mais ceci est insuffisant. Une lecture, grâce à la voix et, peut-être aussi, à lapparence du lecteur/acteur, se saisit du texte, sans mise en scène, sans maquillage, sans mouvement, sans costume, sans effet de lumière particulier - une lecture suppose simplement une table, une chaise, peut-être un micro et un livre avec un lecteur qui lit - et, avec ce minimum-là qui nest pas du théâtre, montre au lecteur un autre lecteur, autrement dit lui-même. Tout à coup le lecteur devient la mesure de toute chose. Ce qui se donne à lire nest pas le livre mais le livre lu. Cest un pont, le livre fait la moitié du chemin, est apprivoisé. Le lecteur/acteur dans le texte, faisant corps au texte, change le goût du livre et efface une grande partie de lintimidation de la lettre, littéralement. Se voir soi-même lire le livre ne remplace pas la lecture silencieuse et intime, mais constitue un acte très fort, dune égale légitimité. Jimagine une société où les citoyens se liraient sans cesse des livres et où cet acte serait naturel et normal.

     

    Ne pas confondre lecture et théâtre.

    Aujourdhui nous assistons à une floraison de lectures, " ça lit " de tous les côtés. Pour des raisons économiques, les lectures remplacent le théâtre : cela coûte bien moins cher davoir un seul acteur qui lit un livre que dix acteurs qui lont appris par cœur et répété deux mois, qui ont besoin de lumière, de costumes. Linflation des lectures à laquelle nous assistons menace le théâtre... si toutefois la place respective de chacun nest pas repensée.
    Je lis moi-même beaucoup en public, par plaisir, et parce que j
    aimerais être de ceux qui, un peu comme les gens de théâtre davant-guerre (Cocteau, Guitry...), avaient un pied dans la littérature et un autre dans le théâtre, le cinéma ou la danse. Je trouve tout à fait normal pour moi de fréquenter autant décrivains que dacteurs. Après la guerre, les arts se sont spécialisés. Peu à peu la mouvance du théâtre populaire a fermé la porte aux poètes, aux peintres. De son côté le cinéma a subi positivement, mais aussi négativement, la Nouvelle Vague : théâtre, peinture, textes, ont tendu à disparaître au cinéma.

     

    Lecture régressive ?

    Nous sommes en train de  réinventer l'hypocrites du pré- théâtre grec. Le théâtre a commencé avec Eschyle décidant de placer non plus une seule personne devant le chœur, mais deux acteurs entrant en dialogue. Cet écart entre les hypocrites a fait naître la scène.  Trop souvent, les lectures pratiquées aujourd'hui restent en amont du théâtre ; elles  sont le signe d'une réelle régression car elles suscitent souvent une ferveur presque religieuse : l'acteur/lecteur est pris pour un pasteur, un passeur lisant La Parole. L'auteur importe peu. Ecriture et parole sont confondues : le prêtre ne parle pas, il est parlé par l'écriture. Tout à coup, la  parole semble devenir pleine. Alors que la poésie doit, au contraire, nous faire suspecter la langue, nous faire entendre d'autres mondes. Sa lecture devrait provoquer un « dé-collage » de la parole et de l'écriture, un « dé-tatouage ».

     

    Poésie et lecture

    La poésie contemporaine appelle la lecture : les poèmes sont des voix glacées dans l'encre qui doivent être libérées du livre-objet par de la voix. La poésie est un appel, tout simplement. Même la poésie très écrite de Mallarmé se lit et se dit : il y a une voix derrière elle. Dans les textes d 'Hélène Cixous, l'indécidable (entre le féminin et le masculin par exemple) prend une large place et leur lecture suscite d'autres formes d'indécidable, de pluriels… pourtant rien ne peut échapper à la voix. Les phrases ou les vers les plus abstraits sont encore de la voix  parce que la poésie suppose rythme, longues et brèves,  jeu des assonances et des allitérations, ce qu'un lecteur « à l'œil », tenant le livre à la main ne lit pas, n'entend pas.

     

    Pour accéder au dossier complet sur cet événement à portée nationale, voir notre partie "pilotage national" au lien ci-dessous…
    http://www2.educnet.education.fr/sections/theatre/pilotage/evenements-nati/centenaire-rene
    … et, pour illustrer nous vous proposons  « Le bateau ivre »  de Rimbaud dit par Gérard Philippe ( source : Youtube ).

     




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