• Jeux littéraires :

     

    Les jeux littéraires consistent à modifier les règles du discours, et par conséquent son sens ou sa forme. S'ils sont pratiqués depuis l'Antiquité, c'est au XXe siècle qu'ils ont commencé à influencer le cours de l'histoire littéraire. En voulant transformer les mots, certains auteurs sont parvenus à bouleverser les règles de l'écriture. Vous pouvez aller lire un petit panorama de cette littérature iconoclaste sur le site Memobac.

     

    L’oulipo

    Qu'est-ce que l'Oulipo par Hervé le Tellier

    http://www.youtube.com/watch?v=nLtA0ERwvIM

     

    OULIPO ? Qu'est ceci ? Qu'est cela ? Qu'est-ce que OU ? Qu'est-ce que LI ? Qu'est-ce que PO ?
    OU c'est OUVROIR, un atelier. Pour fabriquer quoi ? De la LI.
    LI c'est la littérature, ce qu'on lit et ce qu'on rature. Quelle sorte de LI ? La LIPO.
    PO signifie potentiel. De la littérature en quantité illimitée, potentiellement productible jusqu'à la fin des temps, en quantités énormes, infinies pour toutes fins pratiques.
    QUI ? Autrement dit qui est responsable de cette entreprise insensée ? Raymond Queneau, dit RQ, un des pères fondateurs, et François Le Lionnais, dit FLL, co-père et compère fondateur, et premier président du groupe, son Fraisident-Pondateur.
    Que font les OULIPIENS, les membres de l'OULIPO (Calvino, Perec, Marcel Duchamp, et autres, mathématiciens et littérateurs, littérateurs-mathématiciens, et mathématiciens-littérateurs) ? Ils travaillent.
    Certes, mais à QUOI ? A faire avancer la LIPO.
    Certes, mais COMMENT ?
    En inventant des contraintes. Des contraintes nouvelles et anciennes, difficiles et moins diiffficiles et trop diiffiiciiiles. La Littérature Oulipienne est une LITTERATURE SOUS CONTRAINTES.
    Et un AUTEUR oulipien, c'est quoi ? C'est "un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir".
    Un labyrinthe de quoi ? De mots, de sons, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de livres, de bibliothèques, de prose, de poésie, et tout ça...

     

    Site officiel de l'OuLiPo, Ouvroir de Littérature Potentielle : présentation, espace des oulipiens, biographies, calendrier des Jeudis, Bibliothèque Oulipienne…

     

    Exercices de style - Raymond Queneau

    Exercices de style est l'un des ouvrages les plus célèbres de l'écrivain français Raymond Queneau. Paru en 1947, ce livre singulier raconte 99 fois la même histoire, de 99 façons différentes.

    L'histoire elle-même tient en quelques mots. Le narrateur rencontre dans un bus un jeune homme au long cou, coiffé d'un chapeau orné d'une tresse tenant au lieu de ruban. Ce jeune homme échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s'asseoir à une place devenue libre. Un peu plus tard, le narrateur revoit ce jeune homme qui est alors en train de discuter avec un ami. Celui-ci lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus.

    Les Exercices de style sont un brillant exemple d'application d'une contrainte littéraire (écrire 99 fois la même histoire) en tant que moteur créatif et constituent à ce titre un texte précurseur du mouvement Oulipo dont Raymond Queneau sera l'un des fondateurs. La présence d'une deuxième contrainte (chaque version de l'histoire doit illustrer un genre stylistique bien particulier) apparaît à la lecture des titres des 99 versions de l'histoire :

    Pour en savoir plus cliquer ICI


    Exercices de style - Raymond Queneau  interprétés par l'Atelier de Théâtre de Walferdange Mise en scene par Frank Gerard

    Textes complets à l'adresse ci-dessous:

    http://maison.emdx.org/ExercicesDeStyle.html

    Introduction

     

    http://www.youtube.com/watch?v=0ueYEpPzJyM

     

    Extrait:

     

    http://www.youtube.com/watch?v=2JK4AV3P8TQ

     

    Extrait:

     

    http://www.youtube.com/watch?v=bpf-xXRXerM

     

    Extrait

     

    http://www.youtube.com/watch?v=_moi1tkM69Q

     

    Jeux littéraires interactifs :

     

     

     

    Fédération des maisons d’écrivains et des patrimoines. Rubrique « Jeux littéraires » qui  accueille des jeux élaborés par les adhérents ou renvoie à d’autres sites.

    Cliquer à l'adresse ci-dessous:

    http://www.litterature-lieux.com/ressources/jeux-litteraires.asp

     

    Mots de tête

     

     

    Le site de tous les jeux de mots. Au programme: bétisiers, contrepèteries, énigmes littéraires, palindromes et autres calembours. Vous trouverez ici une double voie (une bi-route en quelque sorte...) :outre les pages classiques à consulter sans modération, un certain nombres d'activités interactives sont également disponibles, parmi lesquelles un cadavre exquis et des jeux de textes à contraintes où vous pourrez poster vos propres compositions.

     Cliquer à l'adresse ci-dessous:

    http://www.mots-de-tete.com/index.htm

     

    Zulma – ateliers d’écriture en ligne

    Rubrique Ateliers d’écriture et jeux littéraires des Editions Zulma avec trois ateliers interactifs en ligne pour écrire des petits textes de façon ludique…

     

    Cliquer à l'adresse ci-dessous

    http://www.zulma.fr/jeu.html

     

     

     

     

     

     

     


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  • Michel Zèvaco, journaliste et écrivain d’origine corse, est né à Ajaccio en 1860 et mort à Eaubonne (Val d'Oise) en 1918.
    Genre littéraire: roman populaire
    Influences : Gaston Leroux, Victor Hugo…
    Ecrivain connu pour ses deux séries " Le Capitan " et " Le Chevalier de Pardaillan ".

    Jean-Paul Sartre a dit de lui : " Surtout, je lisais tous les jours dans Le Matin, le feuilleton de Michel Zévaco : cet auteur de génie, sous l’influence de Hugo, avait inventé le roman de cape et d’épée républicain. Ses héros représentaient le peuple ; ils faisaient et défaisaient les empires, prédisaient dès le XIVème siècle la Révolution française, protégeaient par bonté d’âme des rois enfants ou des rois fous contre leurs ministres, souffletaient les rois méchants. Le plus grand de tous, Pardaillan, c’était mon maître : cent fois, pour l’imiter, superbement campé sur mes jambes de coq, j’ai giflé Henri III et Louis XIII. " ( extrait " Les mots ")




    Jacques Siclier (critique et historien du cinéma) a dit à propos du Chevalier de Pardaillan : " Pardaillan peut être considéré comme un héros caractéristique de la France républicaine des années 1900. Il représente un symbole de liberté et d'héroïsme national, contemporain, ne l'oublions pas, du Cyrano de Bergerac réinventé par Rostand. On le voit, en 1572 (il a vingt ans) sortir, grâce à son astuce, de la Bastille où on l'avait arbitrairement enfermé. On le voit, seize ans plus tard, de nouveau captif, prendre la Bastille à lui tout seul. Ce n'est pas tout. Pardaillan ne croit ni à Dieu ni à diable. Il se range aux côtés des huguenots parce que les huguenots sont les victimes, mais la religion lui importe peu. Zévaco, qui reste discret quant à l'Église réformée, peint les représentants de l'Église catholique sous le jour le plus noir, du haut en bas de la hiérarchie. Son anticléricalisme foncier – autre marque politique, de la Belle Époque – fait de Pardaillan un homme complètement détaché de la religion et de la foi, uniquement soucieux de valeurs humaines. Et Pardaillan ne consent jamais à servir un maître. C'est un homme libre. Ni Dieu ni maître. "



    Michel Zévaco ,journaliste, feuilletoniste et romancier populaire


    Les récits de Michel Zévaco lui ont survécu parce qu’il a su mêler le roman de cape et d'épée à des préoccupations politiques qui percent à travers la légèreté du récit. Il s'est engagé toute sa vie sur le terrain politique. Professeur de Lettres à Vienne (Isère), il quitte son poste en 1881 pour s’engager dans les Dragons en 1882. Cette période militaire lui inspire l’ouvrage Boute-Charge (1888) sur le panache militaire que l’on trouve ensuite dans ses récits de cape et d'épée. Ayant déjà des idées anarchistes malgré sa période militaire, à partir de 1888, installé à Paris, il se rapproche du socialisme et de l'anarchisme français.

    En 1889, il entre à L’Egalité, journal anarchisant dans lequel il publiera son premier feuilleton, Roublard et Cie (1889), où le discours politique tient une grande place. Zévaco se présente aux élections législatives de 1889, fonde des syndicats, et écrit pour faire passer ses idées (un article écrit contre le Ministre de l’Intérieur lui valut quatre mois de prison, séjour qui sera suivi d’un autre, pour raisons politiques également, quelques années plus tard). Il est condamné le 6 octobre 1892 par la cour d'assise de la Seine pour avoir déclaré dans une réunion publique à Paris : " Les bourgeois nous tuent par la faim ; volons, tuons, dynamitons, tous les moyens sont bons pour nous débarrasser de cette pourriture. "

    Zévaco participera à plusieurs journaux et revues, parmi lesquels L’en-dehors, Le Gueux ou Le Courrier Français.

    Avec le roman feuilleton Borgia, paru en 1900 dans La Petite République Socialiste (journal dirigé par Jaurès), sa carrière de romancier débute réellement. Après le succès énorme de ce récit , il réduit ses activités journalistiques et se tourne vers la fiction avec Triboullet (1900-1901), Le Pont des soupirs (1901), et surtout, en 1902, le premier Pardaillan, début d’une longue série.

    Zévaco a écrit plus de 1 400 feuilletons (dont, à partir de 1903, les 262 de La Fausta, qui met en scène le chevalier de Pardaillan) pour le journal de Jaurès, jusqu’à décembre 1905, époque à laquelle il passe au Matin,

    Parallèlement à ce cycle romanesque, d’autres œuvres dont Fleurs de Paris (1904) et Les Mystères de la tour de Nesle (1905, publié fréquemment sous le titre de La Tour de Nesle).

    Au journal " Le Matin ", à partir de 1906, il devient le feuilletoniste en vogue aux côtés de Gaston Leroux, avec plusieurs totres : Le Capitan, Nostradamus (1906), (1907), L’Héroïne (1908), ou encore L’Hôtel Saint-Pol (1909). Il sera un auteur à succès jusqu’à sa mort en 1918. Entre 1906 et 1918, Le Matin publie en feuilletons neuf romans de Zévaco. Son dernier roman, posthume, est Le Pré aux Clercs. Les autres œuvres publiées à titre posthume sont :
    La Reine d'Argot — Tome I et Primerose — Tome II (1922 — Tallandier, Le Livre national, 325 et 326)
    La Grande Aventure — Tome I et La Dame en blanc, La Dame en noir — Tome II (1926 — Tallandier, Le Livre national, 349 et 350)
    Fleurs de Paris (1921 — Tallandier, Librairie Populaire et moderne, Roman d’amour et de passion inédit — 30 fascicules)
    Déchéance (1935 — Tallandier, Le Livre national, 972)



    Plusieurs de ses romans ont fait l’objet d’adaptation au cinéma et à la télévision, notamment :
    1960 ; le film "Le Capitan" d’André HUNEBELLE (1960) avec Jean Marais et Bourvil,
    1988, une série télévisée de 15 épisodes, avec patrick Bouchitey (Pardaillan) et Philippe Clay.
    1997: Pardaillan, téléfilm d'E. Niermas, avec Jean-Luc Bideau (Pardaillan père), Guillaume Canet (Pardaillan fils) et Garance Clavel (France).

    Michel Zevaco est d’origine corse. Il est né à Ajaccio mais un village corse porte le même nom que lui " Zévaco " et fut probablement créé (son nom au moins) par un Giovannali appelé Zevaco au XIVè siècle. D'autre part les premiers noms de familles "Zevaco" auraient été attribués au XVè siècle, à des habitants des faubourgs d'Ajaccio, originaires du village. Si une famille est incontestablement originaire du village, il n'y reste actuellement aucune trace de son nom, que ce soit sur la matrice cadastrale, sur une tombe, ou dans un lieu-dit, ni aucune légende qu'aurait pu rapporter la tradition orale. Ce nom ne figure sur aucun texte relatif à l'histoire du village depuis le 18ème siècle. On connaît Laurent Zevaco, maire d'Ajaccio en 1848. Plus récemment, Monseigneur Zevaco, né en 1925 à Vico, fut nommé évèque de Madagascar en 1968 par le pape Paul VI.

    Michel Zévaco a écrit des romans de cape et d’épée et historiques mais aussi un roman policier et mystère.
    Nous avons choisi un extrait de " Fleurs de Paris " édité en 1904 (Un titre inspiré par " Les fleurs du mal " de Beaudelaire). Il s’agit du Chapitre X intitulé " L’expédition nocturne ".



    L’Expédition Nocturne


    Deux heures du matin. Une de ces nuits funèbres des grands hivers parisiens. L’hôtel d’Anguerrand était désert, son grand portail massif solidement fermé, ses croisées closes, sa façade muette et noire. À travers les persiennes de deux fenêtres qui se touchaient, une pâle et triste lueur, pourtant, filtrait…
    Sur le trottoir d’en face, un homme et une femme, renfoncés contre le mur de la maison que Lise avait habitée, immobiles, silencieux, raidis par l’attention, fixaient cette double lueur.
    À dix pas de là, une voiture stationnait…
    La femme, parfois, jetait à droite et à gauche un long regard qui fouillait la nuit. Mais l’homme ne pouvait détacher se yeux hagards de ces fenêtres.
    Il eut un soupir rauque et passa le revers de sa main sur son front…
    – Marche… murmura la jeune femme. Songes-y ! L’occasion, la voici !…
    – Oui, fit l’homme dans une sorte de grognement, – mais il ne fit pas un pas.
    – Tu n’oses pas ! reprit la femme. Tu aurais dû amener deux ou trois aminches…
    – Jamais !… Je ne veux pas qu’on voie que je vais faire cela… moi !… C’est déjà trop que tu aies fait venir Biribi… nous n’avions pas besoin de sapin !…
    – Biribi est un frère. Allons, vas-y !… C’est la fortune !… continua la femme dans un murmure imperceptible et ardent. Avant-hier soir, nous ne pouvions pas acheter deux sous de pain… Pour un mauvais quart d’heure à passer, nous voilà riches !… Est-ce que ce n’est pas un peu notre tour, dis ?…
    – Assez ! haleta l’homme. Ne me remets pas ces colères-là au ventre… j’y vais !…
    – Bon !… Te rappelles-tu bien le plan, tel que Charlot te l’a remis ce matin ?
    – Je l’ai là, dit l’homme en se frappant le front.
    Il traversa la rue ; d’un bond il atteignit le faîte du mur de bordure, se hissa à la force du poignet, sauta… Il était dans l’intérieur de l’hôtel !…
    Alors, l’attitude de Jean Nib s’affaissa… Il monta les degrés du perron, silencieux comme un spectre, et, avec quelques outils, se mit à travailler : au bout de cinq minutes, la porte s’ouvrit…
    Jean Nib, dans le vestibule, se mit pieds nus ; il réfléchit quelques instants, très calme, très sûr de lui, puis il monta.
    Jamais il n’avait pénétré dans cet hôtel… mais la fièvre de l’action décuplait sa mémoire et il lisait en pensée le plan qu’il avait étudié toute la journée. Il savait d’ailleurs, par Charlot, c’est à dire Gérard, que le baron d’Anguerrand avait renvoyé toute la domesticité, ne gardant qu’une vieille bonne qui couchait dans les combles. Le coup était facile… il était sûr d’atteindre le but…
    Ce qu’il ferait alors… le coup de couteau final… il l’écartait de son imagination…
    Il monta, franchit des couloirs et des pièces, marchant de son pas souple, les mains étendues, sentant l’obstacle à distance, se glissant, ne provoquant pas un craquement. Tout à coup, il se vit, ou plutôt se sentit dans une vaste salle qui n’était pas prévue dans cet itinéraire du crime : Jean Nib comprit qu’il était égaré.
    Il tira de sa poche une petite lanterne sourde, fit jouer un ressort, et un mince filet de lumière électrique jaillit. Jean Nib vit qu’il était dans un salon somptueux, et à la vue des richesses entassées là, un sourire terrible crispa ses lèvres, les veines de son front se gonflèrent, ses prunelles se strièrent de rouge… Tout à coup, il eut un sursaut effrayant… Quelqu’un était là qui le regardait !…
    Quelqu’un !… Une femme en toilette de soirée, jeune, belle, avec des yeux très doux et un sourire un peu triste…
    Jean Nib se ramassa pour bondir…
    Subitement, il se détendit, haussa les épaules et il eut un ricanement silencieux… Cette femme, c’était un portrait… un grand portrait en pied… ce n’était qu’un portrait !…
    L’assassin soupira, essuya son front mouillé de sueur, et alors, avec une sorte de curiosité morbide, examina le portrait… Plus il le regardait, plus il se sentait attiré, fasciné… Le jet de sa lanterne éclairait la tête de la femme et faisait vivre les yeux, tandis que tout le reste se noyait d’ombre… Jean Nib s’immobilisait dans cette contemplation… L’assassin, peu à peu, tombait à une rêverie profonde, étrange, qui n’était pas la rêverie spéciale du crime, qui était quelque chose d’inexprimable qu’il tâchait pourtant d’exprimer :
    – Qu’elle est belle !… Ou plutôt qu’elle a dû être belle, jadis !… Car le portrait… il y a des années qu’il a été fait… Quand ?… Je ne sais pas… mais il y a longtemps, c’est sûr… Oui, voilà un sourire qui dit bien des douleurs… Qu’elle a dû être bonne ! Oh !… et ses yeux ! ces grands yeux bleus où il y a comme une lumière !… Ah ça ! où ai-je vu ces yeux-là, moi ?
    Jean Nib se disait ces choses, sans que ses lèvres eussent une agitation, mais un frisson convulsif, parfois, le secouait. Et il reprit :
    – Ces yeux !… Oh ! mais est-ce que je vais les voir partout ?… Où les ai-je vus ? Où ?… Oh ! je veux le savoir ! Cela m’affole… Oh ! j’y suis ! Ce sont les yeux de cette gosse qui s’appelle Marie Charmant !… Les mêmes yeux !… ces yeux où j’ai cru voir, moi, des choses que pourtant je n’avais jamais vues !…
    Soudain, la vision s’évanouit… Jean Nib venait de pousser le ressort de sa lanterne.
    Et il reprit sa marche glissante, sans un craquement, sans une erreur, marchant d’instinct à l’une des quatre portes qui s’ouvraient sur ce vaste salon – à celle-là et pas à une autre.
    Quelques minutes plus tard, il se trouvait devant une serrure à travers laquelle passait un rais de lumière. Et il dit en lui-même :
    – C’est là !… L’homme que je vais tuer est là !… Et la chambre voisine, c’est celle de la jeune fille que je vais tuer !… Le père et la sœur de celui qui me paye pour tuer !…
    Alors Jean Nib tâta du bout des doigts, ausculta pour ainsi dire, la serrure : elle n’était pas fermée !… Il n’y avait qu’à tourner le bouton !…
    Les sourcils de Jean Nib se contractèrent. Il frissonnait. S’il se fût vu, à cette seconde de lutte suprême contre la tentation du forfait, il se fût épouvanté…
    Brusquement il secoua sa crinière. D’un geste rapide, il se fouilla, et lorsque sa main reparut, elle se hérissait d’une lame épaisse emmanchée solidement… Il n’avait qu’à ouvrir… et à se ruer !…
    La porte ouverte, Jean Nib s’arrêta court : l’homme qu’il devait tuer dormait sur un fauteuil…
    Cela lui produisit une étrange impression, comme si une main eût arrêté sa main.
    Il fit trois pas, le couteau au poing, la mâchoire violente, les yeux convulsés.
    Si l’homme s’était éveillé à ce moment, il était mort.
    Le baron Hubert d’Anguerrand dormait près d’une table sur laquelle il y avait une lampe et un amas de divers papiers.
    Jean Nib s’approcha jusqu’à le toucher presque. Le baron ne s’éveilla pas. Il murmurait des mots confus.
    L’assassin évitait de regarder la victime.
    Son regard errait, hagard, morbide, et promenait sa flamme de folie dans les angles de cette chambre. Ses doigts crispés jusqu’à une sensation de douleur se raidissaient sur le manche du couteau…
    Tout à coup, il leva le poing !… Lentement, le couteau se dressa dans l’air…
    – Mon fils… balbutia la victime qui, au fond de son rêve, parlait à quelqu’un.
    Les cheveux de Jean Nib se hérissèrent ; ses yeux se gonflèrent comme si les larmes eussent voulu jaillir… et doucement, son poing retomba… et il murmura :
    – Il appelle son fils !… Pauvre bougre !… Tu ne sais pas quelle affreuse crapule c’est, ton fils !… Moi, je suis Jean Nib… n’est-ce pas ? Ça veut tout dire !… Eh bien, je vaux encore mieux que ton fils !…
    Sourdement, il répéta :
    – Son fils !… Il appelle son fils !… Allons ! finissons-en !…
    Le couteau, de nouveau, décrivit son effroyable parabole, et, un instant, demeura suspendu au-dessus de la poitrine du baron d’Anguerrand.
    – Voilà ! songea l’assassin dans une sorte de morne délire. Ma main va s’abattre sur la poitrine qui est là ! Le sang va jaillir… et cet homme sera mort !… Et cet homme dort !… Et cet homme ne m’a fait aucun mal, à moi !… Oh ! faire cela !… Être ce que je ne suis pas encore !… Dégringoler cette dernière pente du crime !… Tuer !… Tuer ce malheureux qui ne se défend pas, qui dort !… et appelle son fils !… Oh ! je ne peux pas !… je ne peux pas !…
    Dix minutes plus tard, Jean Nib ouvrait une fenêtre et modulait un coup de sifflet si doux qu’à peine pouvait-il être entendu… Alors, Rose-de-Corail s’approcha vivement de la voiture qui stationnait au coin de la rue de Babylone, et murmura :
    Ça y est ! À nous, Biribi ! enlevons les macchabées ! C’est dans l’ordre et la marche du programme imposé par celui qui casque !…




    Michel Zévaco porte encore une fois, dans ce roman, haut la bannière de la littérature populaire, au meilleur sens du terme. L'histoire se passe à Paris, à la fin du XIXe siècle. Disparitions, réapparitions, meurtres, trahisons, vengeances, tous les ingrédients du genre y sont. Et vous ne vous ennuierez pas pendant une seule ligne...

    Vous pouvez lire gratuitement le roman complet sur le site : Ebooks libres et gratuits.
    Adresse : http://www.ebooksgratuits.com/ebooks.php?auteur=Z


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  • Storytelling ou l’art de raconter des histoires



    Les enfants se fient aux contes de fées plus qu'à tout discours rationnel car ils s'adressent à eux sous une forme qui leur est familière : la forme magique. Selon Piaget, l'enfant reste en grande partie animiste jusqu'à la puberté ; dans son monde à lui (et qu'il garde pour lui car il sait que les adultes voient les choses autrement) la frontière entre vivant et inanimé, hommes et animaux, imaginaire et réalité est encore floue ; à partir de ce monde là, transporté hors du temps ("Il était une fois…") et de l'espace ("…dans un royaume aujourd'hui oublié…"), dans un univers décalé de sa réalité quotidienne, il est à même d'intégrer ce qui ne passerait pas par le canal de la raison.

    La Bible, les Évangiles, le Coran, La Torah,  L’Iliade, L’Enéide, La Chanson de Roland nous en racontent des histoires et ont contribué à façonner l’imaginaire des peuples. Nous sommes dans les domaines des religions et des mythologies.

    Depuis les années 1990, aux Etats-Unis puis en Europe, l’art de raconter des histoires a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l'appellation anodine de 'storytelling'. L’art de raconter des histoires est devenu une arme aux mains des 'gourous' du marketing, du management et de la communication politique, pour mieux formater les esprits des consommateurs et des citoyens. Derrière les campagnes publicitaires, mais aussi dans l'ombre des campagnes électorales victorieuses, de Bush à Sarkozy, se cachent les techniciens sophistiqués du storytelling managment ou du digital storylelling. C'est cet incroyable main-mise sur l'imagination des humains que révèle Christian Salmon dans son livre, au terme d'une longue enquête consacrée aux applications toujours plus nombreuses du storytelling. Le marketing s'appuie plus sur l'histoire des marques que sur leur image ; les managers doivent raconter des histoires pour motiver les salariés, les militaires en Irak s'entraînent sur des jeux vidéos conçus à Hollywood et les spin doctors (conseillers en communication et marketing politique agissant pour le compte de personnalités politiques) construisent la politique comme un récit...

    Le fait est que l'on nous raconte des histoires à longueur de journée : des histoires de moines et d’abbaye pour la bière Greenbergen ; l’histoire édifiante de Barack Obama, celle de Nicolas Sarkosy, celle de Ségolène, le complot palpitant des nations voyous pour produire des armes de destruction massive…

    Nous aimons que l’on nous raconte des histoires. «Un récit, c’est la clé de tout», confirme M. Stanley Greenberg, spécialiste américain des sondages. Chez les adultes, "L'art de raconter des histoires" (storytelling)  est-il devenu l’art de "formater les esprits" pour les aliéner ? Cela pourrait être certainement l’objet d’une fiction.


    Dans une réalité qui copule avec la fiction, selon Christian Salmon, ancien Président de l’éphémère Parlement international des écrivains*,le Storytelling serait la nouvelle "arme de distraction massive" qui managerait le monde depuis les années 90. Le storyteller est le conteur mais aussi le menteur. Le storytelling signifie donc  « l ‘art de conter, de raconter des histoires ».

    L’expression «avoir l’art de raconter des histoires » contient une connotation de manipulation mentale selon laquelle l’art de raconter des histoires est utilisé pour détourner de la réalité et fabriquer du réel. C’est la méthode marketing qui consiste à raconter des histoires pour influencer le consommateur, et celle des gouvernants pour influencer  l'électeur.

    « On a beaucoup dit que la machine excluait les rêves, ce que chaque expérience contredit, affirmait André Malraux (et reprend Christian Salmon dans un article publié dans le Monde le 7 mai 2008). Car la civilisation des machines est aussi celle des machines de rêves, et jamais l'homme ne fut à ce point assiégé par ses songes, admirables ou défigurés. » C'était le 13 février 1968 lors de l'inauguration de la Maison de la culture de Grenoble. Vision prémonitoire qui anticipait ce que le futurologue danois Rolf Jensen a appelé « the Dream Society », la société du rêve, dans laquelle « le travail, et non plus seulement la consommation, sera dirigé par des histoires et des émotions
    Vidéo interview de Christian Salomon


    La réflexion de Christian Salmon porte sur la mutation de la propagande (publicitaire, politique, etc.). Cette dernière consisterait, de plus en plus selon l'auteur, à standardiser les réactions des «consommateurs », rendant floue la limite entre le réel et la fiction, entre le vrai et le faux.  Les cyniques ont découvert l’aubaine. Et si on racontait des histoires et des blagues de manière industrielle en se déclarant  le maître de la réalité ? Karl Rove, le gourou de Bush Jr a trouvé le nom de cette stratégie : la stratégie Schéhérazade. Fabriquons la réalité avec nos histoires. Tant pis pour les crédules qui vivent dans ce qu’ils croient leur réalité, nous leur raconterons et imposerons les nôtres : «Nous sommes un empire, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité», dit un conseiller de Bush.

    Et si l’incrédulité devenait une arme contre les storytellers ? A la stratégie de Shéhérazade, on oppose celle de Saint Thomas. Les politiques, depuis les années 90, ont compris l’intérêt du Storytelling dans la communication capitaliste et politique avec l’explosion de l’Internet et plus généralement des nouvelles techniques de communication. Christian Salmon constate que «les marques s’attribuent les pouvoirs qu’avant on cherchait dans la drogue et dans les mythes ». Ce n’est plus le rapport au monde qu’il faut changer mais la perception du monde. On est passé de la marque au logo, du mot à l’image, et on revient à la narrativité en passant du logo aux «stories ». L’acte de consommation devient, par la communication, un acte de communion planétaire. Bien sûr cela a changé radicalement les méthodes de marketing.

    Le récit est le meilleur vecteur du sens. Le sens y est incarné par des personnages, il se révèle dans l'irruption des situations, il devient manifeste au travers des conclusions que l'on en tire . Le récit, le conte, l'art de créer et de dire des histoires, est le chemin le plus court et le moyen le plus percutant pour créer du sens et le transmettre à un public.

    Voilà ce qu’on peut lire sur le site de conseil i-KM :


    « L'art ancien des conteurs devient une ressource pour le management, et s'adapte aux pratiques de l’entreprise Steve Denning de la World Bank et Dave Snowden de l’Institute for Knowledge Management IBM, ont fait connaître à un large public cette méthode du "storytelling", qui touche à des enjeux importants de l’entreprise.
    Cette approche est reconnue comme un puissant moyen d’évaluation des valeurs courantes de la culture d’une organisation, et comme un levier efficace pour la faire évoluer. En fait, la conduite d’importants changements, la fusion de sociétés, l’identification et la constitution de communautés d’intérêt et de pratiques, la communication interculturelle dans des organisations globales... sont des circonstances dans lesquelles pratiquer le storytelling est particulièrement intéressant. Il vise à une évolution rapide des idées ou des représentations mentales et donne de nouveaux repères partagés, facilite la communication, permet une mobilisation large là où l’on pensait trouver surtout des blocages.
    La clé, c'est le langage ! Et les histoires constituent un fantastique vecteur de création et diffusion du sens, de compréhension spontanée et d'approche de ce qui est complexe
    . »


    Ce n’est pas le consumérisme qui nous intéresse dans nos propos du jour mais le choix du storytelling comme méthode de marketing politique. Les histoires ne produisent pas de l’explication, mais de la familiarité et de la connivence. Nous sommes, écrit Salmon, passé dans une civilisation "d’injonction au récit".

    A partir de ce constat, Christian Salmon interpelle la fiction romanesque et cinématographique dont les auteurs, selon lui, avaient compris ce qui se tramait avant que les chercheurs n'aient pu le formuler. Notre émotion est atteinte dans son intimité et utilisée par le marketing et le politique. Elle est plus sollicitée que par les auteurs de fiction.

    Après une intrusion de la fiction dans le réel, on fait appel à la fiction pour prévenir le réel. Le Pentagone fait appel à Hollywood ! Pour exemple, après les attentats du  11 septembre, les hauts responsables américains réunissent quelques réalisateurs et scénaristes pour imaginer des scénarii d’attaques terroristes afin de penser les parades.


    Ce n’est pas le monde qui change ? … Selon Evan Cornog, professeur de journalisme à l’université Columbia, « la clé du leadership américain est, dans une grande mesure, le storytelling ». «  La politique, théorise Clinton, doit d’abord viser à donner aux gens la possibilité d’améliorer leur histoire. » Les gourous de la communication moderne se sont mis à ne plus jurer que par l’art de raconter des histoires. La bonne histoire (« good story ») est conviée pour remobiliser l’employé, ou susciter un regain d’engagement du consommateur. C’est le cœur de la théorie managériale du « storytelling ».

    L’idée de Christian Salmon est d’avoir rapproché ces techniques de celles mises en œuvre dans le monde politique. Quelques jours avant l’élection présidentielle de 2004 aux Etats-Unis, un conseiller de G.W. Bush prend à parti un journaliste en lui reprochant d’appartenir à la reality-based community, à la communauté de ceux qui croient à la réalité. C’était un peu comme le traiter de ringard, car le monde, il en était sûr, ne marchait plus ainsi. Il s’agit de convertir chacun de nous en spectateurs naïfs car nous sommes plus avides de fiction que de réalité.

    Salmon précise que le monde de demain sera le résultat d'une lutte entre les narrations imposées et les contre-narrations libératrices. Il explique aussi que  les artistes sont prévenus, et ont déjà commencer à lutter.


    Et les journalistes ? « Si vous lisez une lettre et que vous découvrez que l’auteur a « pioché» le matin, vous penserez peut-être qu’il a travaillé dans son jardin. Si vous savez que cet auteur est Flaubert, vous commencerez à douter du sens de « pioché ». Si vous êtes familier de Flaubert, vous saurez exactement ce qu’il entend par « pioché ». Je ne dis pas qu’il faut que tous les journalistes deviennent des auteurs mais je crois que nous ne devons pas perdre l’habitude de lire les auteurs. Je n’ai jamais rien appris d’important en lisant les journalistes mais des auteurs ont changé ma vie. On ne change pas la vie de quelqu’un avec du digeste, du parfaitement défini, de l’objectivité, du sans ambiguïté. » C’est Thierry Crouzet, journaliste qui l’a écrit sur son site Internet.

    Ne plus subir la réalité mais la créer ! Les gouvernants sont aujourd’hui capables de vendre leur réalité comme une marque. L’art de gouverner se confond avec celui de raconter des histoires. Le discours officiel s’adresse au cœur plus qu’à la raison, à l’émotion plus qu’à l’opinion. Le pouvoir exécutif devient un pouvoir d’exécution du scénario présidentiel.

    Evidemment, tout cela n’arrive pas qu’aux autres. Salmon conclut le livre en traitant du nouvel ordre narratif en France où, comme ailleurs, nous aimons que l’on nous raconte des histoires.

    «Il me faut pour tenir le coup des histoires à dormir debout. » chantait Guy Béart

    Pendant que des politiques en charge de la réalité complotent leur fiction, des auteurs en charge de la fiction se disent « arpenteurs du réel ». Comment déceler la part de fiction dans la  réalité et la part de réalité dans la fiction  ?  

    Dans un autre ouvrage intitulé « Le tombeau de la fiction », Christian Salmon met en évidence ce qui caractérise le roman : son jeu perpétuel avec la frontière entre réalité et fiction. Il fait remarquer que les grands héros de romans, Don Quichotte, madame Bovary, sont souvent eux-mêmes, fondamentalement, des êtres qui ont du mal à faire la part entre les deux. « Toute l’histoire du roman n’est qu’une longue réflexion sur les limites de l’illusion romanesque et, ce faisant, sur la frontière mouvante qui sépare le réel et la fiction. Le roman s’enchante des multiples passages de l’un à l’autre, des courts-circuits incessants entre la vie et le rêve. Loin d’effacer la frontière qui les sépare, l’art du roman consiste au contraire à souligner cette différence, à la rendre perceptible, presque palpable parfois, comme chez Kafka. L’illusion romanesque n’est rien d’autre que l’illusion donnée par le roman d’une communication constante, intime, immédiate entre le réel et le fictif, entre le rêve et la vie. »

    L’illusion donnée par le Storystelling est la même… 

    Oui, mais, comment faire pour retrouver la réalité ? Peut-être en commençant par juxtaposer toutes ces histoires à dormir debout. Ensuite en entrant dans les détails, où se cache toujours le diable, lui bien réel. Car les histoires ne marchent qu’en gros. Dans le détail, elles ne marchent pas du tout ou apparaissent pour ce qu’elles sont : de la fiction qu’on a plaisir à temporairement faire semblant de croire (techniquement, les philosophes appellent cela «la suspension temporaire de l’incrédulité») commente Yves Michaud dans un article sur l’ouvrage « Storytelling » de Christian Salmon.


    La suspension temporaire de l’incrédulité ! Pierre Bayard, écrivain et universitaire, s’y oppose même lorsqu’il s’agit de fiction. On pourrait aussi revenir sur les fictions et s’amuser à démontrer, comme l’a fait Pierre Bayard, qu'Œdipe n’a pas tué son père ou que l’affaire du chien des Baskerville n’a pas été élucidée par Sherlock Holmes.

    Et si Sherlock Holmes s’était trompé ? C’est ce doute effronté que se permet Pierre Bayard après la relecture d’une des plus célèbres aventures du plus célèbre des détectives. ( C’est Pierre Bayard qui a voulu démonter que l’on pouvait parler d’un livre sans l’avoir lu. Il est aussi responsable de la contre-enquête sur le meurtre de Roger Ackroyd écrit par Agatha Christie).

    Pierre Bayard fait une relecture qui s’appuie sur la critique policière, partant du postulat que des meurtres racontés par la littérature n’ont pas été commis par ceux que l’on a accusés. "En littérature comme dans la vie, dit-il,  les véritables criminels échapperaient souvent aux enquêteurs en laissant accuser et condamner des personnages de second ordre."

    Sans tomber dans une théorie de la conspiration planétaire,  si j’ai un conseil à transmettre aujourd’hui, c’est le même que Pierre Bayard : «être toujours libre de réinventer un roman à son goût, de s’y investir sans crainte, d’en quereller le sens, et de batailler avec l’auteur, ligne à ligne »





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  • La main peut être meurtrière ou bien salvatrice. Il y a la main du crime et celle de la Justice. Elle peut être lourde ou légère, se crisper ou se tendre. " Il n'aurait fallu qu'un instant de plus pour que la mort vienne ; ta main est venue ; elle a pris la mienne " (Aragon) Elle peut être menaçante ou, main dans la main, fraternelle. Elle peut être un moyen d’expression avec ou sans parole…


    La première forme de peinture réalisée par l'homme, il y a près de 40 000 ans, ce sont des empreintes négatives ou positives de mains. Darwin a écrit que " L'homme n'aurait jamais atteint sa place prépondérante dans le monde sans l'usage de ses mains ". Le philosophe Engels a écrit un essai intitulé Du rôle de la main dans la transformation du singe en homme : la main est synonyme de travail et de dignité. Ne dit-on pas de quelqu’un qui travaille dur : " Il n’est pas manchot " ou bien " Il met la main à la pâte. " Garder les mains dans les poches ", " avoir un poil dans la main " (poil qui ne peut pousser que par manque d'usage) sont des expressions courantes pour désigner un paresseux, un gros fainéant. ". Le travail de la main est souvent considéré comme un travail de qualité : " fait main ", " cousu main ", " ramassé à la main ". C'est aussi un signe d'appartenance à une classe sociale : " mains calleuses " pour ceux qui sont employés à des tâches manuelles, " mains blanches " pour ceux qui ont des professions intellectuelles ou qui n'ont pas besoin de " se salir les mains " à travailler. Et puis l'expression " se salir les mains " signifie également " se compromettre ". Dans le débat philosophique sur la morale, il était reproché aux Kantiens de ne pas avoir de mains. Les mains sont présentes dans les croyances : La main de Fâtima chez les Musulmans, les stigmates de la crucifixion chez les Catholiques, l’apposition des mains pour accomplir les miracles, les lignes de la main… En héraldique, la main fermée signifie le secret et la main ouverte, la confiance.



    Les caresses sont réservées à l’intimité… Poignée de main, baisemain, mais aussi gifle, claque et tape sont au nombre des rares formes de contact physique conventionnellement admises dans nos vies courantes y compris entre individus ne partageant pas une intimité particulière. Dans ce cadre, une main molle et une poigne de fer sont réputés être les marques d'un tempérament particulier. Certains n’hésitent pas à " vous passer la main dans le dos " pour vous amadouer. C'est souvent la main qui sert à arrêter une négociation, à s'engager : " top-là " L'appartenance mutuelle des époux est aussi symbolisée par un anneau qu'ils portent à la main. D'ailleurs, on dit que le père de la promise consent à donner la main de sa fille. Jusqu'au début du XIXe siècle la nudité de la main d'une femme était le signe de sa reddition amoureuse : l'amant avait " tout " lorsque sa belle " ôtait les gants ". La main sert à donner et à recevoir : " La main qui donne est bien plus heureuse que celle qui reçoit " (Actes des apôtres) …

    Dans certaines cultures ou certains pays, on tranche (ou l'on tranchait) la main des voleurs. C'est notamment le cas des états qui appliquent la loi coranique : Le voleur et la voleuse, à tous deux coupez la main...



    Et puis, dans la littérature, il y a de glorieuses ou sombres histoires de mains coupées… Dans les glorieuses, on peut citer " La main coupée " de Blaise Cendrars. C et ouvrage est une œuvre autobiographique dans laquelle Blaise Cendrars (1887-1961) évoque son expérience de la guerre de 14-18. De nationalité suisse, il s'est alors engagé comme volontaire étranger dans l'armée française et il a perdu sa main droite au combat le 28 septembre 1915. Il obtiendra par la suite la nationalité française. Le roman " La main coupée " est édité chez Gallimard collection Folio. Un épisode de Fantomas est intitulé La Main coupée.



    Deux histoires à une main:

    Aujourd’hui, histoire de passer la main aux histoires sombres, nous avons choisi que Guy de Maupassant vous raconte deux histoires de mains d’hier puisque cela remonte au 19ème siècle… Il s’agit de deux récits à une main. Voici donc… La Main et La main d’écorché.




    LA MAIN, Récit paru dans le Gaulois du 23 décembre 1883 puis dans Les Contes du Jour et de la Nuit en 1885
    ( Avertissement : Lorsque, dans les dialogues, vous trouvez des textes écrits phonétiquement, c’est un Anglais qui parle le français comme une vache espagnole…)



    On faisait cercle autour de M. Bermutier, juge d'instruction qui donnait son avis sur l'affaire mystérieuse de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime affolait Paris. Personne n'y comprenait rien.
    M. Bermutier, debout, le dos à la cheminée, parlait, assemblait les preuves, discutait les diverses opinions, mais ne concluait pas.
    Plusieurs femmes s'étaient levées pour s'approcher et demeuraient debout, l'œil fixé sur la bouche rasée du magistrat d'où sortaient les paroles graves. Elles frissonnaient, vibraient, crispées par leur peur curieuse, par l'avide et insatiable besoin d'épouvante qui hante leur âme, les torture comme une faim.
    Une d'elles, plus pâle que les autres, prononça pendant un silence :
    - C'est affreux. Cela touche au "surnaturel". On ne saura jamais rien.
    Le magistrat se tourna vers elle :
    - Oui, madame, il est probable qu'on ne saura jamais rien. Quant au mot "surnaturel" que vous venez d'employer, il n'a rien à faire ici. Nous sommes en présence d'un crime fort habilement conçu, fort habilement exécuté, si bien enveloppé de mystère que nous ne pouvons le dégager des circonstances impénétrables qui l'entourent. Mais j'ai eu, moi, autrefois, à suivre une affaire où vraiment semblait se mêler quelque chose de fantastique. Il a fallu l'abandonner, d'ailleurs, faute de moyens de l'éclaircir.
    Plusieurs femmes prononcèrent en même temps, si vite que leurs voix n'en firent qu'une :
    - Oh ! Dites-nous cela.
    M. Bermutier sourit gravement, comme doit sourire un juge d'instruction. Il reprit:
    - N'allez pas croire, au moins, que j'aie pu, même un instant, supposer en cette aventure quelque chose de surhumain. Je ne crois qu'aux causes normales. Mais si, au lieu d'employer le mot "surnaturel" pour exprimer ce que nous ne comprenons pas, nous nous servions simplement du mot "inexplicable", cela vaudrait beaucoup mieux. En tout cas, dans l'affaire que je vais vous dire, ce sont surtout les circonstances environnantes, les circonstances préparatoires qui m'ont ému. Enfin, voici les faits :
    J'étais alors juge d'instruction à Ajaccio, une petite ville blanche, couchée au bord d'un admirable golfe qu'entourent partout de hautes montagnes.
    Ce que j'avais surtout à poursuivre là-bas, c'étaient les affaires de vendetta. Il y en a de superbes, de dramatiques au possible, de féroces, d'héroïques. Nous retrouvons là les plus beaux sujets de vengeance qu'on puisse rêver, les haines séculaires, apaisées un moment, jamais éteintes, les ruses abominables, les assassinats devenant des massacres et presque des actions glorieuses. Depuis deux ans, je n'entendais parler que du prix du sang, que de ce terrible préjugé corse qui force à venger toute injure sur la personne qui l'a faite, sur ses descendants et ses proches. J'avais vu égorger des vieillards, des enfants, des cousins, j'avais la tête pleine de ces histoires.
    Or, j'appris un jour qu'un Anglais venait de louer pour plusieurs années une petite villa au fond du golfe. Il avait amené avec lui un domestique français, pris à Marseille en passant.
    Bientôt tout le monde s'occupa de ce personnage singulier, qui vivait seul dans sa demeure, ne sortant que pour chasser et pour pêcher. Il ne parlait à personne, ne venait jamais à la ville, et, chaque matin, s'exerçait pendant une heure ou deux, à tirer au pistolet et à la carabine.
    Des légendes se firent autour de lui. On prétendit que c'était un haut personnage fuyant sa patrie pour des raisons politiques ; puis on affirma qu'il se cachait après avoir commis un crime épouvantable. On citait même des circonstances particulièrement horribles.
    Je voulus, en ma qualité de juge d'instruction, prendre quelques renseignements sur cet homme ; mais il me fut impossible de rien apprendre. Il se faisait appeler sir John Rowell.
    Je me contentai donc de le surveiller de près ; mais on ne me signalait, en réalité, rien de suspect à son égard.
    Cependant, comme les rumeurs sur son compte continuaient, grossissaient, devenaient générales, je résolus d'essayer de voir moi-même cet étranger, et je me mis à chasser régulièrement dans les environs de sa propriété.
    J'attendis longtemps une occasion. Elle se présenta enfin sous la forme d'une perdrix que je tirai et que je tuai devant le nez de l'Anglais. Mon chien me la rapporta ; mais, prenant aussitôt le gibier, j'allai m'excuser de mon inconvenance et prier sir John Rowell d'accepter l'oiseau mort.
    C'était un grand homme à cheveux rouges, à barbe rouge, très haut, très large, une sorte d'hercule placide et poli. Il n'avait rien de la raideur dite britannique et il me remercia vivement de ma délicatesse en un français accentué d'outre-Manche. Au bout d'un mois, nous avions causé ensemble cinq ou six fois.
    Un soir enfin, comme je passais devant sa porte, je l'aperçus qui fumait sa pipe, à cheval sur une chaise, dans son jardin. Je le saluai, et il m'invita à entrer pour boire un verre de bière. Je ne me le fis pas répéter.
    Il me reçut avec toute la méticuleuse courtoisie anglaise, parla avec éloge de la France, de la Corse, déclara qu'il aimait beaucoup cette pays, cette rivage.
    Alors je lui posai, avec de grandes précautions et sous la forme d'un intérêt très vif, quelques questions sur sa vie, sur ses projets. Il répondit sans embarras, me raconta qu'il avait beaucoup voyagé, en Afrique, dans les Indes, en Amérique. Il ajouta en riant :
    - J'avé eu bôcoup d'aventures, oh! yes.
    Puis je me remis à parler chasse, et il me donna des détails les plus curieux sur la chasse à l'hippopotame, au tigre, à l'éléphant et même la chasse au gorille.
    Je dis:
    - Tous ces animaux sont redoutables.
    Il sourit:
    - Oh! nô, le plus mauvais c'été l'homme.
    Il se mit à rire tout à fait, d'un bon rire de gros Anglais content:
    - J'avé beaucoup chassé l'homme aussi.
    Puis il parla d'armes, et il m'offrit d'entrer chez lui pour me montrer des fusils de divers systèmes.
    Son salon était tendu de noir, de soie noire brodée d'or. De grandes fleurs jaunes couraient sur l'étoffe sombre, brillaient comme du feu.
    Il annonça:
    - C'été une drap japonaise.
    Mais, au milieu du plus large panneau, une chose étrange me tira l'œil. Sur un carré de velours rouge, un objet noir se détachait. Je m'approchai: c'était une main, une main d'homme. Non pas une main de squelette, blanche et propre, mais une main noire desséchée, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme d'un coup de hache, vers le milieu de l'avant bras.
    Autour du poignet, une énorme chaîne de fer, rivée, soudée à ce membre malpropre, l'attachait au mur par un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse.
    Je demandai:
    - Qu'est-ce que cela?
    L'Anglais répondit tranquillement:
    - C'été ma meilleur ennemi. Il vené d'Amérique. Il avé été fendu avec le sabre et arraché la peau avec une caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit jours. Aoh, très bonne pour moi, cette.
    Je touchai ce débris humain qui avait dû appartenir à un colosse. Les doigts, démesurément longs, étaient attachés par des tendons énormes que retenaient des lanières de peau par places. Cette main était affreuse à voir, écorchée ainsi, elle faisait penser naturellement à quelque vengeance de sauvage.
    Je dis:
    - Cet homme devait être très fort.
    L'Anglais prononça avec douceur:
    - Aoh yes; mais je été plus fort que lui. J'avé mis cette chaîne pour le tenir.
    Je crus qu'il plaisantait. Je dis:
    - Cette chaîne maintenant est bien inutile, la main ne se sauvera pas.
    Sir John Rowell reprit gravement:
    - Elle voulé toujours s'en aller. Cette chaîne été nécessaire.
    D'un coup d'œil rapide j'interrogeai son visage, me demandant:
    - Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant?
    Mais la figure demeurait impénétrable, tranquille et bienveillante. Je parlai d'autre chose et j'admirai les fusils.
    Je remarquai cependant que trois revolvers chargés étaient posés sur les meubles, comme si cet homme eût vécu dans la crainte constante d'une attaque.
    Je revins plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'était accoutumé à sa présence; il était devenu indifférent à tous.
    Une année entière s'écoula. Or, un matin, vers la fin de novembre, mon domestique me réveilla en m'annonçant que sir John Rowell avait été assassiné dans la nuit.
    Une demi-heure plus tard, je pénétrais dans la maison de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine de gendarmerie. Le valet, éperdu et désespéré, pleurait devant la porte. Je soupçonnai d'abord cet homme, mais il était innocent.
    On ne put jamais trouver le coupable.
    En entrant dans le salon de sir John, j'aperçus du premier coup d'œil le cadavre étendu sur le dos, au milieu de la pièce.
    Le gilet était déchiré, une manche arrachée pendait, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu.
    L'Anglais était mort étranglé! Sa figure noire et gonflée, effrayante, semblait exprimer une épouvante abominable; il tenait entre ses dents serrées quelque chose; et le cou, percé de cinq trous qu'on aurait dits faits avec des pointes de fer, était couvert de sang.
    Un médecin nous rejoignit. Il examina longtemps les traces des doigts dans la chair et prononça ces étranges paroles:
    - On dirait qu'il a été étranglé par un squelette.
    Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux sur le mur, à la place où j'avais vu jadis l'horrible main d'écorché. Elle n'y était plus. La chaîne, brisée, pendait.
    Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans sa bouche crispée un des doigts de cette main disparue, coupé ou plutôt scié par les dents juste à la deuxième phalange.
    Puis on procéda aux constatations. On ne découvrit rien. Aucune porta n'avait été forcée, aucune fenêtre, aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s'étaient pas réveillés.
    Voici, en quelques mots, la déposition du domestique:
    Depuis un mois, son maître semblait agité. Il avait reçu beaucoup de lettres, brûlées à mesure.
    Souvent, prenant une cravache, dans une colère qui semblait de démence, il avait frappé avec fureur cette main séchée, scellée au mur et enlevée, on ne sait comment, à l'heure même du crime.
    Il se couchait fort tard et s'enfermait avec soin. Il avait toujours des armes à portée du bras. Souvent, la nuit, il parlait haut, comme s'il se fût querellé avec quelqu'un.
    Cette nuit-là, par hasard, il n'avait fait aucun bruit, et c'est seulement en venant ouvrir les fenêtres que le serviteur avait trouvé sir John assassiné. Il ne soupçonnait personne.
    Je communiquai ce que je savais du mort aux magistrats et aux officiers de la force publique, et on fit dans toute l'île une enquête minutieuse. On ne découvrit rien.
    Or, une nuit, trois mois après le crime, j'eus un affreux cauchemar. Il me sembla que je voyais la main, l'horrible main, courir comme un scorpion ou comme une araignée le long de mes rideaux et de mes murs. Trois fois, je me réveillai, trois fois je me rendormis, trois fois je revis le hideux débris galoper autour de ma chambre en remuant les doigts comme des pattes.
    Le lendemain, on me l'apporta, trouvé dans le cimetière, sur la tombe de sir John Rowell, enterré là; car on n'avait pu découvrir sa famille. L'index manquait.
    Voilà, mesdames, mon histoire. Je ne sais rien de plus.
    Les femmes, éperdues, étaient pâles, frissonnantes. Une d'elles s'écria:
    - Mais ce n'est pas un dénouement cela, ni une explication! Nous n'allons pas dormir si vous ne nous dites pas ce qui s'était passé, selon vous.
    Le magistrat sourit avec sévérité:
    - Oh! moi, mesdames, je vais gâter, certes, vos rêves terribles. Je pense tout simplement que le légitime propriétaire de la main n'était pas mort, qu'il est venu la chercher avec celle qui lui restait. Mais je n'ai pu savoir comment il a fait, par exemple. C'est là une sorte de vendetta.
    Une des femmes murmura:
    - Non, ça ne doit pas être ainsi.
    Et le juge d'instruction, souriant toujours, conclut:
    - Je vous avais bien dit que mon explication ne vous irait pas.






    LA MAIN D'ÉCORCHÉ, texte publié dans L'Almanach lorrain de Pont-à-Mousson de 1875 sous la signature de Joseph Prunier.




    Il y a huit mois environ, un de mes amis, Louis R..., avait réuni, un soir, quelques camarades de collège ; nous buvions du punch et nous fumions en causant littérature, peinture, et en racontant, de temps à autre, quelques joyeusetés, ainsi que cela se pratique dans les réunions de jeunes gens. Tout à coup la porte s'ouvre toute grande et un de mes bons amis d'enfance entre comme un ouragan. "Devinez d'où je viens, s'écria-t-il aussitôt. - Je parie pour Mabille, répond l'un, - non, tu es trop gai, tu viens d'emprunter de l'argent, d'enterrer ton oncle, ou de mettre ta montre chez ma tante, reprend un autre. - Tu viens de te griser, riposte un troisième, et comme tu as senti le punch chez Louis, tu es monté pour recommencer. - Vous n'y êtes point, je viens de P... en Normandie, où j'ai été passer huit jours et d'où je rapporte un grand criminel de mes amis que je vous demande la permission de vous présenter." A ces mots, il tira de sa poche une main d'écorché ; cette main était affreuse, noire, sèche, très longue et comme crispée, les muscles, d'une force extraordinaire, étaient retenus à l'intérieur et à l'extérieur par une lanière de peau parcheminée, les ongles jaunes, étroits, étaient restés au bout des doigts ; tout cela sentait le scélérat d'une lieue. "Figurez-vous, dit mon ami, qu'on vendait l'autre jour les défroques d'un vieux sorcier bien connu dans toute la contrée ; il allait au sabbat tous les samedis sur un manche à balai, pratiquait la magie blanche et noire, donnait aux vaches du lait bleu et leur faisait porter la queue comme celle du compagnon de saint Antoine. Toujours est-il que ce vieux gredin avait une grande affection pour cette main, qui, disait-il, était celle d'un célèbre criminel supplicié en 1736, pour avoir jeté, la tête la première, dans un puits sa femme légitime, ce quoi faisant je trouve qu'il n'avait pas tort, puis pendu au clocher de l'église le curé qui l'avait marié. Après ce double exploit, il était allé courir le monde et dans sa carrière aussi courte que bien remplie, il avait détroussé douze voyageurs, enfumé une vingtaine de moines dans leur couvent et fait un sérail d'un monastère de religieuses. - Mais que vas-tu faire de cette horreur ? nous écriâmes-nous. - Eh parbleu, j'en ferai mon bouton de sonnette pour effrayer mes créanciers. - Mon ami, dit Henri Smith, un grand Anglais très flegmatique, je crois que cette main est tout simplement de la viande indienne conservée par le procédé nouveau, je te conseille d'en faire du bouillon. - Ne raillez pas, messieurs, reprit avec le plus grand sang-froid un étudiant en médecine aux trois quarts gris, et toi, Pierre, si j'ai un conseil à te donner, fais enterrer chrétiennement ce débris humain, de crainte que son propriétaire ne vienne te le redemander ; et puis, elle a peut-être pris de mauvaises habitudes cette main, car tu sais le proverbe : "Qui a tué tuera." - Et qui a bu boira", reprit l'amphitryon. Là-dessus il versa à l'étudiant un grand verre de punch, l'autre l'avala d'un seul trait et tomba ivre-mort sous la table. Cette sortie fut accueillie par des rires formidables, et Pierre élevant son verre et saluant la main : "Je bois, dit-il, à la prochaine visite de ton maître", puis on parla d'autre chose et chacun rentra chez soi.
    Le lendemain, comme je passais devant sa porte, j'entrai chez lui, il était environ deux heures, je le trouvai lisant et fumant. "Eh bien, comment vas-tu ? lui dis-je. - Très bien, me répondit-il. - Et ta main ? - Ma main, tu as dû la voir à ma sonnette où je l'ai mise hier soir en rentrant, mais à ce propos figure-toi qu'un imbécile quelconque, sans doute pour me faire une mauvaise farce, est venu carillonner à ma porte vers minuit ; j'ai demandé qui était là, mais comme personne ne me répondait, je me suis recouché et rendormi."
    En ce moment, on sonna, c'était le propriétaire, personnage grossier et fort impertinent. Il entra sans saluer. "Monsieur, dit-il à mon ami, je vous prie d'enlever immédiatement la charogne que vous avez pendue à votre cordon de sonnette, sans quoi je me verrai forcé de vous donner congé. - Monsieur, reprit Pierre avec beaucoup de gravité, vous insultez une main qui ne le mérite pas, sachez qu'elle a appartenu à un homme fort bien élevé." Le propriétaire tourna les talons et sortit comme il était entré. Pierre le suivit, décrocha sa main et l'attacha à la sonnette pendue dans son alcôve. "Cela vaut mieux, dit-il, cette main, comme le "Frère, il faut mourir" des Trappistes, me donnera des pensées sérieuses tous les soirs en m'endormant." Au bout d'une heure je le quittai et je rentrai à mon domicile.
    Je dormis mal la nuit suivante, j'étais agité, nerveux ; plusieurs fois je me réveillai en sursaut, un moment même je me figurai qu'un homme s'était introduit chez moi et je me levai pour regarder dans mes armoires et sous mon lit ; enfin, vers six heures du matin, comme je commençais à m'assoupir, un coup violent frappé à ma porte, me fit sauter du lit ; c'était le domestique de mon ami, à peine vêtu, pâle et tremblant. "Ah monsieur ! s'écria-t-il en sanglotant, mon pauvre maître qu'on a assassiné." Je m'habillai à la hâte et je courus chez Pierre. La maison était pleine de monde, on discutait, on s'agitait, c'était un mouvement incessant, chacun pérorait, racontait et commentait l'événement de toutes les façons. Je parvins à grand-peine jusqu'à la chambre, la porte était gardée, je me nommai, on me laissa entrer. Quatre agents de la police étaient debout au milieu, un carnet à la main, ils examinaient, se parlait bas de temps en temps et écrivaient ; deux docteurs causaient près du lit sur lequel Pierre était étendu sans connaissance. Il n'était pas mort, mais il avait un aspect effrayant. Ses yeux démesurément ouverts, ses prunelles dilatées semblaient regarder fixement avec une indicible épouvante une chose horrible et inconnue, ses doigts étaient crispés, son corps, à partir du menton, était recouvert d'un drap que je soulevai. Il portait au cou les marques de cinq doigts qui s'étaient profondément enfoncés dans la chair, quelques gouttes de sang maculaient sa chemise. En ce moment une chose me frappa, je regardai par hasard la sonnette de son alcôve, la main d'écorché n'y était plus. Les médecins l'avaient sans doute enlevée pour ne point impressionner les personnes qui entreraient dans la chambre du blessé, car cette main était vraiment affreuse. Je ne m'informai point de ce qu'elle était devenue.
    Je coupe maintenant, dans un journal du lendemain, le récit du crime avec tous les détails que la police a pu se procurer. Voici ce qu'on y lisait :
    "Un attentat horrible a été commis hier sur la personne d'un jeune homme, M. Pierre B..., étudiant en droit, qui appartient à une des meilleures familles de Normandie. Ce jeune homme était rentré chez lui vers dix heures du soir, il renvoya son domestique, le sieur Bouvin, en lui disant qu'il était fatigué et qu'il allait se mettre au lit. Vers minuit, cet homme fut réveillé tout à coup par la sonnette de son maître qu'on agitait avec fureur. Il eut peur, alluma une lumière et attendit ; la sonnette se tut environ une minute, puis reprit avec une telle force que le domestique, éperdu de terreur, se précipita hors de sa chambre et alla réveiller le concierge, ce dernier courut avertir la police et, au bout d'un quart d'heure environ, deux agents enfonçaient la porte. Un spectacle horrible s'offrit à leurs yeux, les meubles étaient renversés, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu entre la victime et le malfaiteur. Au milieu de la chambre, sur le dos, les membres raides, la face livide et les yeux effroyablement dilatés, le jeune Pierre B... gisait sans mouvement ; il portait au cou les empreintes profondes de cinq doigts. Le rapport du docteur Bourdeau, appelé immédiatement, dit que l'agresseur devait être doué d'une force prodigieuse et avoir une main extraordinairement maigre et nerveuse, car les doigts qui ont laissé dans le cou comme cinq trous de balle s'étaient presque rejoints à travers les chairs. Rien ne peut faire soupçonner le mobile du crime, ni quel peut en être l'auteur. La justice informe."
    On lisait le lendemain dans le même journal :
    "M. Pierre B..., la victime de l'effroyable attentat que nous racontions hier, a repris connaissance après deux heures de soins assidus donnés par M. le docteur Bourdeau. Sa vie n'est pas en danger, mais on craint fortement pour sa raison ; on n'a aucune trace du coupable."
    En effet, mon pauvre ami était fou ; pendant sept mois j'allai le voir tous les jours à l'hospice où nous l'avions placé, mais il ne recouvra pas une lueur de raison. Dans son délire, il lui échappait des paroles étranges et, comme tous les fous, il avait une idée fixe, il se croyait toujours poursuivi par un spectre. Un jour, on vint me chercher en toute hâte en me disant qu'il allait plus mal, je le trouvai à l'agonie. Pendant deux heures, il resta fort calme, puis tout à coup, se dressant sur son lit malgré nos efforts, il s'écria en agitant les bras et comme en proie à une épouvantable terreur : "Prends-la ! prends-la ! Il m'étrangle, au secours, au secours !" Il fit deux fois le tour de la chambre en hurlant, puis il tomba mort, la face contre terre.
    Comme il était orphelin, je fus chargé de conduire son corps au petit village de P... en Normandie, où ses parents étaient enterrés. C'est de ce même village qu'il venait, le soir où il nous avait trouvés buvant du punch chez Louis R... et où il nous avait présenté sa main d'écorché. Son corps fut enfermé dans un cercueil de plomb, et quatre jours après, je me promenais tristement avec le vieux curé qui lui avait donné ses premières leçons, dans le petit cimetière où l'on creusait sa tombe. Il faisait un temps magnifique, le ciel tout bleu ruisselait de lumière, les oiseaux chantaient dans les ronces du talus, où bien des fois, enfants tous deux, nous étions venus manger des mûres. Il me semblait encore le voir se faufiler le long de la haie et se glisser par le petit trou que je connaissais bien, là-bas, tout au bout du terrain où l'on enterre les pauvres, puis nous revenions à la maison, les joues et les lèvres noires de jus des fruits que nous avions mangés ; et je regardai les ronces, elles étaient couvertes de mûres ; machinalement j'en pris une, et je la portai à ma bouche ; le curé avait ouvert son bréviaire et marmottait tout bas ses oremus, et j'entendais au bout de l'allée la bêche des fossoyeurs qui creusaient la tombe. Tout à coup, ils nous appelèrent, le curé ferma son livre et nous allâmes voir ce qu'ils nous voulaient. Ils avaient trouvé un cercueil. D'un coup de pioche, ils firent sauter le couvercle et nous aperçûmes un squelette démesurément long, couché sur le dos, qui, de son oeil creux, semblait encore nous regarder et nous défier ; j'éprouvai un malaise, je ne sais pourquoi j'eus presque peur. "Tiens ! s'écria un des hommes, regardez donc, le gredin a un poignet coupé, voilà sa main." Et il ramassa à côté du corps une grande main desséchée qu'il nous présenta. "Dis donc, fit l'autre en riant, on dirait qu'il te regarde et qu'il va te sauter à la gorge pour que tu lui rendes sa main. - Allons mes amis, dit le curé, laissez les morts en paix et refermez ce cercueil, nous creuserons autre part la tombe de ce pauvre monsieur Pierre.
    Le lendemain tout était fini et je reprenais la route de Paris après avoir laissé cinquante francs au vieux curé pour dire des messes pour le repos de l'âme de celui dont nous avions ainsi troublé la sépulture.

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  • A propos du polar régional

     

    1°/ Définition de la littérature régionale par Elodie Charbonnier, docteur es Lettres modernes :

    Les écrits de Nathalie Caradec proposés dans une étude sur la littérature de Bretagne illustrent parfaitement la difficulté de donner une définition, ne serait-ce qu’à l’échelle d’une seule région :

    Nous considérons la littérature bretonne de langue française comme si l'ensemble ainsi défini allait de soi, pourtant nous ne pouvons pas éviter le débat lancé depuis une trentaine d'années sur cette terminologie. En effet, dans les années 1970, la discussion a été ouverte dans les colonnes de la revue Bretagnes […]. Cette revue littéraire et politique a soulevé un certain nombre de questions et cherché des critères pour caractériser cette littérature. […] Plus récemment, Pascal Rannou s'est penché sur le sujet […]. En 1993, il retrace la chronologie de ce débat inachevé et problématique. Quelques années plus tard, Marc Gontard souligne la « difficulté de mettre en œuvre des critères décisifs de détermination » mais essaie de trouver « un certain nombre d'indices, thématiques ou formels, spécifiques d'un imaginaire ou d'une pratique textuelle, qui [lui] semblent caractériser cet ensemble nécessairement « pluriel » […] pour lequel on peut revendiquer le nom de littérature bretonne de langue française. » Plus récemment, Marc Gontard considère que l'expression désigne « toute pratique textuelle où la question de l'identité, comme patrimoine culturel, travaille la question de l'écriture. »

    Privilégiant l’expression « littérature régionale » et non « régionaliste », toute connotation à caractère uniquement politique est donc exclue de cette étude. J’entends ainsi parler d’une littérature en région et non pas seulement d’un mouvement littéraire revendicateur ou contestataire. Néanmoins, la question de l’identité régionale reviendra obligatoirement dès lors que nous nous attacherons à l’étude de régions comme la Corse, la Bretagne ou le Pays basque.

    Si la littérature se décline en plusieurs genres reconnus, la « littérature régionale » n’en fait pas partie. Pourtant, il s’agit bien d’une forme littéraire particulière se distinguant du roman ou de la nouvelle généraliste. Présente au cœur de nos terres, cette littérature porte en elle une culture et retranscrit l’âme de sa région. Certes, notre étude ne portera pas sur les langues régionales mais il est indéniable que cette littérature contient des particularismes linguistiques propres au régionalisme. Ainsi, les nombreuses expressions linguistiques régionales ne sont guères employées dans la littérature dite « généraliste ». De fait, il ne faut pas ignorer les spécificités propres à chacune de ces régions pour les englober dans une unicité nationale.

    La littérature corse résulte des pratiques ancestrales d’une littérature orale. Ayant subi des transformations constantes par l’alphabétisation et l’apparition de supports écrits ou audiovisuels, elle conserve encore aujourd’hui les traces de son histoire. Ainsi, certaines pratiques des littératures orales se sont donc transformées en littératures écrites ou même chantées. Évidemment, toutes les régions françaises ne revendiquent pas autant les questions identitaires que la Corse, l’Alsace ou bien la Bretagne. Néanmoins, toutes les régions possèdent une identité, une histoire et des particularismes propres parfaitement représentés par la littérature régionale.

    Garante de la conservation et de la protection d’un patrimoine culturel, la « littérature régionale » devrait être au cœur de certaines préoccupations. En effet, à l’heure de la mondialisation, nombreuses sont les entreprises réalisées pour préserver les régions d’une unicité nationale ôtant toutes les spécificités locales. Ainsi, la démarche de reconnaissance d’une littérature régionale en tant que telle s’inscrit dans le contexte actuel de conservation de l’identité des minorités culturelles.

    Souvent jugée péjorativement et réduite au simple folklore local, la « littérature régionale » est pourtant un genre abondant qui concerne de nombreux acteurs du livre. Il répond ainsi à une demande d’un public soucieux de se rapprocher de sa région, de sa culture.

    « [C]'est au moment fort [d'une] prise de conscience que la littérature régionale émerge de par la volonté d'un groupe qui la voit comme un bien collectif important à revendiquer et à développer ». La littérature régionale, liée au développement et à la survie du groupe qu'elle représente, « vivra plus ou moins dans la mesure où elle accompagnera ce groupe dans son cheminement historique ».

    Je considère comme littérature régionale tout ouvrage littéraire de langue française affichant un rapport à sa région et édité dans celle-ci.

    Le choix des auteurs régionaux est le premier critère de sélection des ouvrages. Selon moi, l’auteur ne doit pas nécessairement être issu de la région dont il s’inspire, ni forcément y écrire, pour l’utiliser à des fins littéraires. Dans l’objet de ma problématique, il semble moins intéressant de considérer comme écrivain régional l’auteur qui possède ses racines en région, qui y écrit et y est édité mais qui n’y s’y réfère jamais.

    Différentes thématiques permettent de situer les ouvrages littéraires régionaux. Utiliser la région comme lieu d’action romanesque est une première possibilité ; ainsi, elle apparaît comme un repère géographique et culturel pour l’auteur mais aussi pour le lecteur. L’intervention d’un folklore régional incluant contes et légendes populaires est un autre moyen de « régionaliser » son ouvrage tout comme l’utilisation de la mémoire collective ; par cette dernière, j’entends parler des ouvrages littéraires liés à une histoire locale touchant des événements comme la Résistance en Alsace au cours de la seconde Guerre Mondiale ou le Débarquement en Normandie."

                       Extrait de la Thèse de Doctorat présentée par Elodie Charbonnier.

     

     

    2°/ Le polar régional :


               En premier lieu en France et en Italie., le polar régional doit sans doute beaucoup au néo –polar, comme celui-ci doit quelque chose au roman noir américain… On peut considérer que, sous linfluence de Hardboiled, le roman noir français a évolué en roman social baptisé « Néo-polar ». Cest le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression!... C’est aussi le roman de la ville : « … La ville reste plus que jamais le lieu privilégié du polar. Seulement ce n’est plus le centre urbain qui prime. L’action se passe maintenant dans les banlieues, la zone, ou les quartiers populaires, voire marginaux. De nouvelles couches sociales sont apparues. Les minorités : arméniennes, bretonnes, travailleurs immigrés, délinquants, terroristes, paumés, zonards, trimards, mouisards, loubards, losers, toutes générations confondue… » ( Annne Pambrun Bibliosurf ).Le polar a fini par quitter ses capitales : Paris, Londres , new-York…

    C’est Manuel Vasquez Montalban, avec sa ville Barcelone, qui en a ouvert la voie dans les années 1970. Il est l’inventeur de Pépé Carvalho, personnage représentatif de la capitale catalane espagnole. Il a déclenché l’apparition d’une vague d’auteurs revendiquant leur identité, leur culture, leur ville… En Italie, Andrea Camilleri va même appeler son héros récurrent « Montabalno » en hommage à l’auteur Catalan et en France, Jean-Claude Izzo va s’inspirer de Pépé Carvalho pour inventer Fabio Montale (Montale comme Montalban).

    Andréa Camilleri est l'auteur le plus lu en Italie. Son héros le commissaire Montalbano est un sicilien acharné à faire toute la lumière au bout de ses enquêtes. Camilleri n’a jamais caché que, depuis son enfance, il vouait un culte particulier au Commissaire Jules Maigret. Il a lu Simenon alors qu’il signé encore sous le nom de Georges Sim et qu’il était publié par un bimensuel italien, avant de découvrir une série complète des Maigret éditée par Mondadori, éditeur italien. Maigret est devenu son modèle pour Montalbano.

    Si le polar régional a trouvé un large lectorat avec de Montalban, Camilleri et Izzo,  il a cependant d’autres précurseurs dans certaines régions comme la région marseillaise…

     

    3°/ Le polar marseillais :

    « Marseille est très loin de la France profonde engourdie dans ses principes. Métropole orientale, flibustière et vaguement métèque, elle présente le visage ambigu d’un monde pétri de misères et d’ambition » nous dit  Mauirice Gouiran, auteur marseillais.

    Avec son roman Total Khéops nparu en 1995, Jean-Claude Izzo a fait monter le polar marseillais à Paris et, si Philippe Carrèse peut mettre en avant la publication de « Trois jours d’engatse » ( 1994, Collection Misteri de l’Editeur corse Méditorial) antérieure à celle de Total Khéops, on pourrait aussi citer d’autres polars plus anciens comme Les Chapacans d’Anne Barrière paru en 1993.  Le débat sur l’antériorité des uns et des autres, nous fait remonter beaucoup plus loin, avant la première guerre mondiale,  pour retrouver les pionniers de ce polar régional : Pierre Yrondy et Jean-Toussaint Samat.

    Marius Pegomas , détective marseillais crée par Pierre Yrondy :

    D’abord, il faut expliquer le patronyme Pegomas qui est aussi le nom d’une petite ville entre les massifs de l’Esterel et du Tanneron, dans la région de Grasse et le département des Alpes Martimes. Le mot provençal de « Pegomas » signe la « pégue » , la colle provençale. Ce mot à donné Pégon pour désigner un individu collant dont on ne peut pas se débarrasser. Voilà une indication sur l’acharnement du détective Marius Pegomas lorsque il a un os à ronger.

    Son créateur Pierre Yrondy a créé ce personnage récurrent qui a fait l’objet de la parution de 35 fascicules connus aux Editions Baudinière. Tel qu’il apparaissait en illustration, il s’agit d’un personnage faisant les 30 à 40 ans, cheveux noir coupés courts et coiffés vers l’avant , portant une petite moustache bicéphale et une barbichette partant en pointe du milieu de la lèvre supérieure pour s’évaser sur le menton. Il a les yeux bleus très clairs, sourcils, barbes et moustaches soignés, le visage rond, le nez plongeant et fin. De ses lèvres bien dessinées, sort une pipe droite qu’il serre dans ses dents, crispant donc les mâchoires, ce qui a pour effet de faire descendre les commissures des lèvres donnant à la bouche une impression de sourire inversé, alors que le front fuyant marqué par quelques rides est soucieux.

    Les 35 fascicules, publiés en 1936 par L’éditeur Baudinière, étaient vendus 1 francs. Nous avons retrouvé les titres : Les gangsters de la joliette – Le crime de l’Etang de Berre – Le trafiquant d’opium – Ficelé sur le rail – L’ogresse de la Canebière – L’étrange aventure de M. Toc – Les bijoux de Lady Merry – L’énigme de Monte Carlo – La terreur d’Aubagne – Un drame au Palis du Cristal – Le naufrage du Sphinx – Un vol de 3 millions – L’aveugle de N-D de la Garde – Le bout de cigare – Une disparition de Bourse – Un mariage tragique – Le Mystère du cabanon – Le revenant d’Aix – Les ciseaux d’argent – Le moulin sanglant – Les incendiaires de La Ciotat – Le doigt coupe – Le Roi de la neige – Une macabre distribution – Le vampire de Martigues – Un cimetière dans le jardin – Le sourire de mort – Un enlèvement audacieux – Le cœur percé – Le village malade – Le Tyran de Nîmes – Une atroce machination - Le laboratoire diabolique – Un dangereux bandit.

    Pierre Yrondy est aussi l’auteur de pièces de théâtre comme « Un crime, les fusillés de Vingré » sur la guerre 14/18 pièce de 1924 et « Sept ans d’agonie – le martyre de Sacco et Vanzetti » pièce de 1927. Nous avons trouvé aussi une histoire vécue avec le titre de l’ouvrage : « De la cocaïne… au gaz ! », roman publié par les Editions Baudinière en 1934.

    Jean Toussaint SAMAT et ses polars régionaux :

    Un auteur contemporain marseillais Jean Contrucci a obtenu le prix de roman policier Jean -Toussaint SAMAT en 2003 avec son roman « L’énigme de la Blancarde ». Ce prix est un hommage au père des romans polar marseillais puisqu’il a publié son premier opus « L’horrible mort de Miss Gildchrist » en 1932 avec lequel il fut lauréat du prix du roman d’aventure. En 1928, il avait déjà co-écrit un ouvrage engagé sur les trafics d’armes et d’hommes sous le titre « Aux frontières de l’Ethiopie ». Après son premier roman, il enchaîne les titres avec d’abord « Circuit fermé » en 1933. Il écrit deux romans d’espionnage en 1934 : « Les espionnes nues » et « L’espionne au corps bronzé ». Il revient au roman policier en 1935 avec « Circuit fermé » et « Le mystère du Mas piégé ». En 1946, il publie plusieurs polars : « La mort du vieux chemin « , « Le mort de la Canebière », « Le mort à la fenêtre » et « Le mort du vendredi saint »; en 1947 « Erreurs de caisse » ; en 1949 « Le mort et la fille » ; en 1950 « Concerto pour meurtre et orchestre », qui a été récemment repris en feuilleton par le Journal littéraire (2004-2005). Il a publié la plupart de ses romans policiers dans la collection « Cagoule « des Editions La Bruyère. Nous avons retrouvé une édition de « Le mort de la Canebière », Les Editions de France avec en première page la contre indication « … à ne pas lire la nuit ! ».

    Et quelques décennies plus tard

    Le terme de polar marseillais recouvre une production très hétérogène et n’a donc aucune signification. Par contre, compte tenu de la publication foisonnante de romans noirs sur Marseille… nous pouvons nous interroger sur les raisons de cet engouement… Pour le polar, Marseille est plus qu’un décor, c’est souvent une héroïne (sans mauvais jeu de mot) parce que cette ville possède, pour des raisons à la fois historiques, économiques, sociologiques et politiques, tous les ingrédients du (bon) roman noir…  explique Maurice Gouiran dans un article consacré au polar de la revue culturelle de la ville de Marseille n°213 de juin 2006. Les raisons sont les nombreuses migrations avec la constitution de familles, de clans avec des éléments au sang chauffé par le soleil qui exacerbe les haines et les passions dans la tradition méditerranéenne entre esbroufe et obstination, fraternité et conflits, vengeance et violence sur fond de misère sociale avec des poussées xénophobes dans des relations intercommunautaires pourtant paisibles. Une ville, terre de drames et de tragédies, donc de littérature noire.

    Quelques éditeurs : Editions L’Ecailler du Sud, Edition Jigal, Editions Autres temps…

    Une librairie spécialisée dans le polar : L’écailler, rue Barbaroux 13001 Marseille.

    Quelques auteurs actuels: Gilles Del Pappas, Philippe Carrese, François Thomazeau, Jean Contrucci, Maurice Gouiran, Michel Jacquet, g-m Bon, Serge Scotto, André De Rocca, Marc Spaccesi …

    Les événements sur le polar à Marseille :

    L’association Le Pôle Art Marseillais organise des mardis littéraires au restaurant Le Corleone, rue sainte à Marseille et l’évènement « Le balcon marseillais du polar ». Le prochain est prévu pour le 13 septembre 2009.

    Dans le cadre d’une semaine noire, l’association  l’écrit du Sud avec Les Editions de  L’écailler et en partenariat avec la municipalité de Septèmes les Vallons  organisent les Terrasses du Polar cours julien à Marseille (pendant la fête du plateau) et à  Septèmes les valons. Les prochaines terrasses sont  prévues pour les 19 et 20 septembre 2009.

    Une étude sur le polar marseillais faite par Alain Guillemin, chargé de recherche au CNRS, est membre du GRAL (Groupe de recherche sur l’art et la littérature) au sein du LAMES (Laboratoire méditerranéen de sociologie) rattaché à la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence. Il est aussi chercheur associé à l’IRSEA (Institut de recherche sur le Sud-Est asiatique) de Marseille où il étudie les relations littéraires entre la France et le Vietnam.

     

    2°/Le polar corse :

    Le Sicilien Andréa Camilleri a forcément une influence particulière sur des auteurs corses de polars, par l’insularité partagée sur des îles aux histoires parallèles. Il en est de même pour Izzo, marseillais d'origine italienne, lorsque l'on sait le nombre de Corses vivant dans la cité phocéenne.

    Le roman est un genre qui a eu du mal à s’enraciner en Corse ou la culture est de tradition orale, donc plus tournée vers la poésie et le théâtre. La littérature orale corse n'a jamais été fermée sur elle-même et visait à intéresser toutes les classes de la société. Les œuvres circulaient sur l’île, véhiculées par les bergers transhumants, les marchands ambulants, les colporteurs et de simples voyageurs. Elles s'exportaient parfois au-dehors, notamment vers les îles voisines comme la Sardaigne qui est la plus proche.

    La diffusion de la littérature orale n'a pas de frontières matérielles et morales. Les créations littéraires insulaires ont subi des influences extérieures et, en particulier, venues d’Italie géographiquement proche. La littérature orale insulaire s’est donc formée à partir des mélanges de plusieurs littératures populaires et étrangères.

    L'influence des diverses idéologies et des divers phénomènes culturels du bassin méditerranéen est indéniablement ressentie au travers de la littérature populaire corse. Le polar est une littérature populaire qui fait la suture entre le parlé et l’écrit. Imagine ! me disait Joël Jegouzo (du site Noir comme polar). Savoir, comme dans un chjam’é rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjam’è rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée.

    Le polar corse existe… Les thèmes imaginaires ou réels inspirent les auteurs corses dans une île noire et rouge sur fond de bleu marin et azuréen. On peut en dresser un inventaire en vrac et non exhaustif : la politique, les autonomistes, les barbouzes, les révoltes, la musique et les chants, l’écologie, la désertification, la pauvreté, le chômage, le huis clos, les mythes, les légendes, le banditisme… mais aussi les particularités : l’omerta, l’honneur, le clanisme, la cursita (ce mal du pays qui rend l’exil, douloureux, cette nostalgie hors de l’île bien particulière apparentée à la " saudade " brésilienne et portugaise. En Corse, le tragique côtoie l’humour… L’humour y plusieurs formes ; le taroccu fait de malice et de mélancolie… la macagna plus caustique et l’autodérision. Il y a surtout la volonté d’être corse : un corps, plutôt qu’un corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent d’une terre mystifiée — et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies.

    Dans une anthologie présentée par Roger Martin, on peut lire au sujet du genre policier comme étant universel : « Cette universalité –société, police, crime, nature humaine – permet d’avancer que le genre policier, qu’il soit français, anglais, espagnol, russe ou japonais, s’abreuve à des sources communes, auxquelles bien entendu, il convient d’ajouter celles propre au génie et à l’histoire de chaque peuple »

    La Corse est une terre de romans noirs et de polars. Dernièrement, un hebdomadaire publiait un article «Terreur sur Ajaccio » sous-titre « Le gang qui fait trembler la Corse ». La première phrase est « Ils sont tous des enfants du cru et forment le noyau dur de la bande du Petit bar. Des tueurs sanguinaires… » N’y a-t-il pas là le titre et le début d’un polar bien noir avec des héros Hardboiled ? On y trouve même des idées de dialogue : « Hep, salut ! Je t’aurais bien offert un café… - Vaut mieux pas s’attarder aux terrasses de bistrot en ce moment, c’est trop risqué !... »L’article relate la réalité d’une série d’assassinats qui serait la suite d’une lutte sanglante entre bandes rivales venant déranger les vieux truands jusque dans leur « semi -retraite » ( Le point , du 19 octobre 2006 ).

    Depuis quelques années, on a vu émerger le polar de terroir. Alors que Marseille et la Corse ont alimenté l’imaginaire de bon nombre d’auteurs et de cinéastes, mais il faudra attendre 1995 et Jean-Claude Izzo pour consacrer le polar marseillais en le faisant connaître à Paris. Et la Corse ? A la même époque, un éditeur ajaccien, Les Editions Méditorial, avait créé une « collection Misteri » qui a édité, entre autres, Philippe Carrese et François Thomazeau. Tous les deux font partie aujourd’hui des auteurs de polars connus. « Les trois jours d’engatse » de Carrese a été d’abord édité dans la collection « Mistéri » en 1994 (un an avant Total Kéops qui a fait émerger le polar marseillais), puis réédité au « Fleuve noir » en 1995. François Thomazeau est l’auteur de plusieurs polars édités dans la collection Misteri et a créé, avec deux autres auteurs, « L’écailler du Sud », éditeur marseillais qui obtient un réel succès. Les premiers polars de Thomazeau de la collection Misteri ont été réédités par Librio. L’éditeur ajaccien Méditorial a fait connaître aussi des auteurs corses comme Ange Morelli, Elisabeth Milleliri et Marie-Hélène Cotoni.

    Des auteurs de nouvelles, précurseurs du polar et du roman noir, se sont inspirés de la « légende noire de la criminalité insulaire », d’autres ont choisi plus tardivement le roman. A partir de 2004,  la production corse de polars s’est développée,  des personnages corses sont nés comme, pour exemples,  le commissaire Batti Agostini, le commisaire Pierruci  ou encore Mathieu Difrade dit  le Flicorse.

    Par ailleurs, les éditions Albiana ont lancé, en 2004, leur collection « Néra » qui compte déjà plusieurs polars dans son catalogue. Elles éditent quatre à cinq polars par an. La relève est assurée. Des auteurs corses se ré –approprient la Corse noire. L’éditeur ajaccien écrit : « Qui douterait encore que la Corse ne soit malheureusement définitivement, une terre de polar et de romans noirs ?... La collection Nera ouvre les portes des bas-fonds du crime avec l’aide des auteurs insulaires… Elle propose de donner à lire cette profonde noirceur, ce goût pour le drame et la mort chevillé à l’âme, avec l’indispensable dimension littéraire qui seule peut rendre justice des mécanismes à l’œuvre. Loin des clichés, jouant parfois avec eux, elle ouvre des espaces de pensée d’autant plus efficaces qu’ils viennent de l’intérieur de la société, des meurtrissures vécues enfin domptées par l’écriture. Néra est une jalousie précautionneusement ouverte sur la rue, sur la vie insulaire, ce que l’on voit et qui ne se dit pas» (Il faut lire l’interview de Bernard Biancarelli par Joël Jegouzo sur le site www.noircommepolar.com )

    Déclarations de M. Bernard Biancarelli, directeur de la collection Nera : »

    « La collection noire, j'en rêvais depuis mon arrivée aux éditions Albiana (en 1998). Mais il existait déjà un éditeur à Ajaccio quasiment spécialisé dans le noir (Méditorial) et plutôt bon dans ses choix (il fut l'éditeur de Thomazeau par exemple, qui a ensuite fondé « L'écaillers du Sud », une petite maison du Noir qui monte, qui monte,…). Sa collection était bien implantée et puis on ne marche pas sur les plates-bandes de quelqu'un que l'on connaît et que l'on respecte. Bref, nous étions restés en retrait. Son arrêt et notre envie toujours présente ont permis d'ouvrir le chantier.  La collection Nera permettait aussi de dynamiser notre ligne éditoriale, de signaler au public que nous étions toujours en évolution et prêts pour les aventures. Nous avions au cours des années précédentes pris des risques éditoriaux chaque année, en publiant notamment pas mal de premiers romans ou des recueils de nouvelles, en dépit des préventions largement répandues dans la profession à ce sujet. Nombreux sont assez durs et violents, sans concession souvent pour le petit monde dans lequel nous vivons, mais ce qui selon moi les caractérise, c'est qu'ils ont laissé de côté le victimisme et le désir de justification, le pamphlet ou l'explication de texte, notamment du « problème corse » qui sont autant de pertes de temps et qui éloignent fatalement de la littérature. Il s'agit d'un vrai mouvement qui est la mutation du «Riacquistu » dont je parlais précédemment. Une attention soudaine pour la Corse d'aujourd'hui (ni celle d'hier, ni celle que désire l'Autre - ou que nous croyons qu'il désire - ni celle des cartes postales, ni celle des chromos) s'est manifestée et il nous a juste fallu aider à l'éclosion. La collection noire est évidemment pour nous un des outils qui nous manquaient pour aider à cet avènement. Et je peux certifier que son apparition a donné un coup de fouet qui s'est traduit par l'arrivée d'un grand nombre de manuscrits. Non seulement la collection Nera était profondément désirée chez nous, mais elle était probablement attendue par les auteurs, et certainement aussi, par les lecteurs qui lui ont réservé un très bon accueil."Pour consulter l'article de Joël Jegouzo sur le site noircommepolar, cliquer ci-dessous:

    http://www.noircommepolar.com/ktml2/images/uploads:pdf/albiana.pdf

     

    L’association Corsicapolar :

    Aujourd’hui, de nombreux auteurs corses écrivent des polars. Début 2007,  certains se sont réunis dans une association Corsicapolar qui organise chaque année en juillet le festival corse et méditerranéen du polar (troisième édition en juillet 2009)  et qui a, parmi ses membres, Michèle Witta conférencière et bibliothécaire de la Bibliothèque des Littératures Policières, unique en France. Lucienne Gaspari, Ajaccienne lectrice de polars,  est la présidente de l’association et les autres membres du conseil d’administration sont des auteurs en commençant par l’initiateur du festival Jean-Pierre Orsi associé à  Marie-Hélène Ferrari, Ugo Pandolfi et Jean-Paul Ceccaldi. La liste serait trop longue pour citer tous les autres membres et de nouveaux auteurs viennent rejoindre l’association chaque année.

     

    Sites corses en partie dédiés au polar :

    -         Corse noire : http://blog.ifrance.com/flicorse

    .    Corsicapolar.eu : http://www.corsicapolar.eu 

    Autre site :

    -         K-libre : http://www.k-libre.fr/klibre-ve/

     




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