• L'histoire du polar : 2ème partie

    Le néo-polar: roman noir et social


    Didier Daeninckx a donné sa définition du roman policier : " un type de roman dont l’objet se situe avant la première page " ; et celle du roman noir : " Un roman de la ville et des corps en souffrance ".  C’est Jean-Patrick Manchette qui a inventé l’étiquette « Neo-polar ». Il est entré dans la Série noire en 1971 avec un roman signé sous le nom de Jean-Pierre Bastide " Laissez bronzer les cadavres ". La même année, L’Affaire N’Gustro de Manchette et en 1972, La Nuit des grands chiens malades écrit par A.D.G seront les deux romans les plus novateurs de ce que les critiques ont considéré comme une nouvelle école du polar.

    Aujourd’hui le terme néo-polar est une référence historique qui marque la rupture sociale de Mai 1968 et la rupture littéraire avec le roman policier. C’est le début de ce que l’on a appelé aussi le roman noir social français démarqué du roman policier et du Thriller, sous l’influence de hard-boiled américain. Selon la formule de Partick Raynal, c’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression!

    A la suite de Manchette, les " barons " du roman noir sont Jean Vautrin ( A bulletins rouges, Billy Ze Kick, Boody Mary, Groom, Canicule), Marc Villard ( Légitime démence, Nès pour Perdre, Corvette de nuit…) , Frédéric H Fajardie (Tueurs de flics, Le souffle court, Clause de style, La théorie du 1%), Hervé Prudon ( Mardi gris, Tarzan malade, Banquise…), Joseph Bialot (Le salon du prêt à saigner ; Le sentier, Babel ville…), Sébastien Japrisot (Compartiment tueurs, La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil) qui est devenu scénariste pour le grand écran ( Le passager de la pluie, La course du lièvre à travers les champs…) ou encore Thierry Jonquet, Jean-François Coatmeur, Hervé Jaouen, Hugues Pagan, Jean-Hugues Opel, Tonino Benaquista…

    En 1979, les collections " Engrenage " et " Sanguine " furent créées pour ce nouveau genre. Les auteurs et les éditeurs de ce que Manchette a étiqueté du terme « néo-polar » ont voulu vendre des bouquins bon marché et c’est toujours dans cet esprit que fonctionnent certaines collections.

    Dans les années 1980, des auteurs réalisent et scénarisent une série policière «Néo polar », anthologie d’histoires inspirées de romans du néo-polar français. Sept épisodes ont été diffusés sur Canal+ en 1984 et FR3 en 1985. Dans la distribution, Michel Beaune, Dominique Blanc, Jean-Pierre Léaud, Vincent Lindon, Claude Nougaro, Florent Pagny. Parmi les scénaristes, on trouve Férédric Fajardié, Hervé Jaouen et Marc Villard entre autres ; et parmi les réalisateurs , Jean-Pierre Bastid, Michel Andrieu, Patrick Jamain… Quelques titres d’épisodes : Shangaï Skipper, La Théorie du 1%, Salut ma puce, Des choses qui arrivent, La Mariée rouge, L'Amour en gâchette et Un père anonyme. On voit apparaître des néo- polars dans des collections grands formats.

    Manchette disait que le polar était une littérature ferroviaire et d’insomniaque. Jean Bernard Pouy sera surnommé " l’homme des trains " après avoir écrit un premier roman ferroviaire " La vie duraille " cosigné avec Daniel Pennac et Patrick Raynal. On lui doit aussi « Train perdu, wagon mort ». Il a multiplié les romans avec des titres évocateurs comme Spinoza encule Hegel et, après l’introduction, la pénétrance… le deuxième volet : A sec ! (Spinoza encule Hegel : le retour) dans lequel il écrit tout le bien qu’il pense du football. Il a son idée sur le polar et l’évolution du polar. Il l’a exprimée sur le site Noircommepolar où il tient une chronique. On a pu y lire : « Parce que ça fait un paquet de temps et de textes que le roman noir a gagné. Le roman policier est à enfoncer dans les poubelles de l’Histoire, le thriller dans les chiottes du néo-freudisme et le roman à énigme dans le compost du sudoku. Et ça depuis Sophocle, Dostoeivski ou Gadda….Ces putains de polars accompagnent efficacement la mondialisation (pour le plus grand nombre) et l’Internationalisme trotskiste (pour les plus "radicaux"). Faire gaffe, quand même, à ce mot : polar, qui, s’il rime pauvrement avec soixante-huitard, rime aussi avec vicelard, ringard, connard, faiblard, etc… "  Propos " couillus " sur le polar qui rime aussi avec " Jean-Bernard », leader du néo-polar canal historique, et lorsque l’on dit « couillus », c’est qu’il y a dans les formules du poil à gratter. L’intégralité est sur le site Noir Comme Polar.

    Jean-Bernard Pouy s’est intéressé à la « polémique » sur l’origine du roman policier. Il aurait trouvé (dit-il) une pièce inachevée de Pierre Corneille (17ème siècle) qui pourrait être considérée comme une ébauche de mise en scène policière. Il en donne un extrait sur le site Noir comme polar.  Toutefois,  une étude graphologique devrait être demandée pour établir l’authenticité du document mis en avant.

    Jean-Bernard Pouy est à l’origine de l’aventure de Gabriel Lecouvreur, alias Le poulpe à cause de ses longs bras. C’est une collection de romans inaugurée en 1995 par Jean Bernard Pouy avec « La Petite écuyère a cafté ». À partir de sa fiche identitaire, ce personnage a vécu sous la plume de nombreux auteurs revendiquant leur opinions de gauche et anti- Front national. Les petits polars du Poulpe sont édités par les Editions La Baleine au premier petit prix de 39 francs. " Qu’est-ce qui fait courir Gabriel le juste ? L’injustice, surtout si elle est pratiquée par un patron sans scrupules, un intégriste vachard, des néo-nazis pédophiles, des trafiquants de cassettes porno et des politiciens véreux. Défenseur d’une gauche orpheline de ses promesses évanouies, Lecouvreur va, court, vole et nous venge… " – extrait de l’article " La pieuvre est faite " écrit par Emmanuel Laurentin dans Télérama n°2508 du 7 février 1998 dans une rubrique " La rage et le noir : le polar " pages 10 à 18.

    On peut citer parmi les bons récits du poulpe, celui de Patrick Raynal "Arrêtez le carrelage ". Les Éditions Baleine ont commercialisé une bière, « La Poulpeuse», fabriquée en Bretagne. Le groupe punk Zampano a réalisé en collaboration avec les écrivains Jean Bernard Pouy et Jean-Christophe Pinpin Le bruit des boucliers (Bakalao Producto) : 6 titres consacrés au Poulpe.

    Après des difficultés financières et son rachat par Les Editions Seuil, la Baleine est toujours vivante au sein du groupe La Martinière. Lecouvreur, dégingandé, continue de déambuler dans des récits écrits par des auteurs différents.

    L'idée de ce type de héros récurrents que s'approprient des auteurs différents a été copiée avec plus ou moins de bonheur. On peut citer pour mémoire...


    -  "Alias" au Fleuve noir (1997-1998 : six titres),

    -  "Le Furet enquête" chez Albin Michel jeunesse (1998-2001 : 32 titres),

    - "Le Polar du Routard" aux Éditions Hachette Tourisme (1999-2001, 13 titres),

    - "Moulard" aux Éditions de l'Aube (en 2000, 6 titres). 


    Les Éditions Baleine ont cherché à "publier une littérature accessible à tous, produite par des auteurs sensibles à la notion de roman populaire et de gare". Baleine a permis à de nombreux auteurs de publier leur premier roman. En 2007, cet éditeur s’est enrichi de deux collections « Baleine noire » et « Club Van Helsing ». Dans la collection "Le Poulpe", trois nouveaux romans publiés entre septembre et décembre 2007 : Lalie Walker : L'Appel du barge, Jean-Marc Ligny : La Ballade des perdus et Francis Mizio : Sans Temps de latitude. À noter que les éditions Baleine ont commercialisé une bière, « La Poulpeuse », fabriquée en Bretagne. Antoine de Kerversau, fondateur des Editions Baleine, a créé en 2003 une nouvelle maison d'édition, Les Contrebandiers éditeurs - ADK, proche de l’esprit Baleine par les auteurs qu’il publie : Bénédicte Heim, Jean-Bernard Pouy, Yves Bulteau, Gérard Alle, Jean-Paul Jody, Pierre Filoche…

    En 2006, Jean-Bernard Pouy a créé une nouvelle édition « Suite noire » sur le format des premières séries noires. Il a été interviewé à ce sujet sur le site Evene. Vous pouvez lire l’entretien à l’adresse :

    Les auteurs de la Noire française ont écrit et écrivent beaucoup, souvent des textes courts et incisifs dans lesquels, parfois par la dérision, la déjante et le sourire jusqu’au rire, ils dénoncent l’ordre établi d’une société ultralibérale « … un monstre qui avale de la chair et chie du pognon » pour reprendre une phrase dans le roman « Cloaque » de Henri-Frédéric Blanc, un auteur qui  a écrit un Poulpe et a le sens de la formule: "Vous verrez, quand tout sera à vendre, la vie ne vaudra plus rien", dit aussi son héros Chris dans Cloaque.

    Dans l’Editorial de la collection L’atinoir des Editions L’écailler, Paco Ignacio Taïbo II, ecrivain mexicain de renommée internationale, écrivait au début 2007 : « Les genres littéraires se redéfinissent à force d’écriture et de réécriture. Poussés jusqu’à leurs extrêmes, ils finissent par exploser. Au cours de ces dernières années, le littérature policière a connu la mode et la facilité dont elle a trop longtemps profité. Je me souviens de Manchette qui me disait : « Nous sommes devenus trop respectables ». Le regard subversif qui, à l’origine du courant neo-polar, remettait en cause la loi et l’ordre, appelait vaux ruptures avec toutes les conventions, savait trouver des expérimentations formelles, une richesse linguistique, l’originalité des trames, s’est peu à peu détourné et fond doucement dans la réitération. Nous mettions à nu en les révélant des faits et des histoires, et aujourd’hui nous courons le risque de devenir de simples chroniqueurs…. »

    Les sous-genres et les genres sont devenus poreux. Des auteurs écrivent des romans hybrides en s’appropriant le roman d’espionnage, le roman historique, le roman d’aventure, la science-fiction... Dans ce qui a fait l’universalité du polar « meurtre, flic, victime, criminel, société », on peut trouver des flics cyniques, brutaux, malhonnêtes… des victimes qui sont de vrais salauds et des criminels sympathiques dans une société qui favorise la domestication et l’exclusion. Dans le roman noir social, le flic ( ou plus généralement celui qui mène l’enquête) peut n’être qu’un personnage secondaire ou ne pas être présent. Le héros en est alors le criminel. Il n’y a plus d’enquête mais l’intrigue reste le noyau dur.

    Le roman noir français décrypte le présent, stigmatise l’ordre établi, revisite des trous noirs de l’histoire. Didier Daeninckx revient sur des dénis historiques, notamment la répression sanglante du 17 octobre 1961 et la politique colonialiste de la France au début du XXème siècle. L’arpenteur du réel Didier Daeninckx fait resurgir dans le présent les ombres noires de l’histoire de la France et notamment son passé colonial. Pour cela, il imbrique dans ses récits le présent et le passé, la réalité et la fiction. Tel un archéologue, il fait resurgir les dessous de l’histoire pour éclairer le présent à la lumière de ce passé mis un temps sous l’éteignoir. Meurtre pour mémoire, roman qui revient sur la répression sanglante, le 17 octobre 1961, par la police parisienne d’une manifestation de ressortissants algériens. Parmi les mort : Thibaud. S’agissait-il d’une bavure policière ou d’un meurtre ? C’est son fils, en 1981, est tué à son tour, après avoir consulté les archives de la Préfecture de Police. L’inspecteur Cadin mène l’enquête qui va l’amener à s’intéresser à un certain André Veuillot, fonctionnaire compromis sous le régime de Vichy en 1942. Le retour d’Altaï  est une courte  suite donnée par l’auteur à son excellent roman " Cannibale ". Vous y retrouverez Gocéné, trois quarts de siècle plus tard, qui revient en France sur les traces d’un kanak tué 124 ans plus tôt en Nouvelle Calédonie. De quoi sortir du formol des spectres historiques et parler aussi de la culture des kanaks, de leur humanité. La piste du repentir passe par le musée de l’homme, dans cet opus de 114 pages. Avec le retour d’Altaï, Gocéné nous donne une belle leçon de ce repentir généalogique et le chef de la tribu de Kowale peut lui accorder un pardon collectif. A méditer….Question extraite : " Vous tous qui dites " hommes de couleur ", seriez-vous donc des hommes sans couleur ?" Didier Daeninckx a écrit, pour Shangaï express, un feuilleton " l’inspecteur L’entraille ", qui sifflote des refrains de Maurice Chevalier. Des meurtres sous le régime de Vichy et l’occupation allemande. Le décor historique est planté. Le coéquipier de l’inspecteur L’entraille est un certain " Verdier ". Justement, notre auteur a publié un recueil aux Editions Verdier. Il s’agit du titre : " Les cités perdus "…. à lire et un livre également sous le régime de Vichy, au titre annonciateur: Itinéraire d'un salaud ordinaire! Daeninckx a écrit dans la série du Poulpe. A l’époque, Il avait déclenché une querelle interne, lorsqu’il avait révélé que Serge Quadrupani, auteur du n°2 du Poulpe, aurait fréquenté les milieux révisionnistes. On a reproché à Daeninckx d’avoir lancé une fatwa sur Quadrippani et il avait même du faire face à des " broncas " non littéraires notamment lors d’un salon du Polar, place de la Bastille à Paris.

    Une collection " Polarchives " a été créée , avec la Baleine, en 2002 par Gérard Streiff. Il s’agissait de mêler une intrigue policière à un événement historique. Si des polars mêlent encore intrigues et faits historiques, cette collection s’est mise en sommeil après quelques titres comme, pour exemples, Les caves de la Goutte d’or écrit par Gérard Streiff ou L’inconnu du Paris – Rome, écrit par Gilda Piersanti. Elle a été reprise un temps par Les Editions du Passage.

    La liste est longue des auteurs contemporains de la Noire: " De Dominique Manotti à Thierry Jonquet en passant par Dennis Lahane ou Cesare Battisti et Paco Ignacio Taïbo II, les écrivains témoignent de leur temps et s’ancrent dans le réel. Même si l’imaginaire et l’efficacité de l’intrigue restent le pivot de ces fictions, la description de milieux particuliers, de marges interdites ou de professions singulières leur confère une valeur documentaire. " Christian Barbault dans un article de Valeurs mutualistes n°236 Mars/Avril 2005 – article " Le polar, une passion contemporaine ". Sans oublier les femmes :Depuis 1990, des femmes se sont affirmées dans le genre avec notamment : Andréa H.Japp ( La Bostonienne), Brigitte Aubert ( Les quatre fils du Docteur March), Maud Tabachnik (Un été pourri ), Fred Vargas ( Debout les morts) , Claude Amoz ( Le Caveau ) Catherine Fradier ( Camino 999) … Elles s’y maintiennent..

    Lorsque Daeninckx parle d’un « roman de ville et des corps en souffrance », il définit ce que d’autres ont nommé le « Polarville ». Jean-Noël Blanc, sociologue, a publié en 1991 aux P.U.F une étude sur les rapports entre le roman policier et l’espace urbain défini comme : « cet univers complexe, contradictoire et non- maîtrisable que représente la ville dans les sociétés industrialisées ». Dans le roman noir, des couples écrivain- ville se sont formés : Hammet- San Francisco, Chandler – Los Angéles, Goodis – Philadelphie… Montalban – Barcelonne, Izzo – Marseille.

    Il y a le couple Malet – Paris et puis, dans la région parisienne, la ville c’est aussi la banlieue. Daeninckx décrit la sienne documentée, où les tours, les barres, les centres commerciaux, les bistrots… côtoient les usines, les friches industrielles mais aussi les îlots pavillonnaires. Au milieu de ce décors, des voleurs, des camés , des agents de sécurité mais aussi des syndicalistes, des militants d’associations de proximité, des clandestins… C’est une banlieue bien différente de celle « stylisée », presque abstraite d’un Vautrin. Ce sont des banlieusards bien plus ordinaires et non des personnages pittoresques ou déjantés évoluant dans des récits picaresques. Daeninckx parle des conflits sociaux, du racisme, des sans-abris sans-papier et des magouilles immobilières.

     

    De la ville à la région :

    Le Barcelonnais Montalban et le Belge Simenon ont ouvert la voie du polar au sicilien Andréa Camilleri. C’est sans aucun doute le sicilien Camilleri et le Marseillais Jean-Claude Izzo qui ont fait connaître le polar régional, en lui donnant sa place au sein de la littérature policière et noire. Le polar s’hybride. Il est en perpétuelle évolution parce qu’il offre une grande liberté d’écriture en permettant la suture entre le parlé et l’écrit… Une offre que, après le Sicilien Camilleri, les Bretons, les Catalans, les Corses, les Sardes et d’autres écrivains enracinés ne pouvaient ignorer. Toutes ces régions ont vu apparaître des auteurs mais aussi des éditeurs.

    A suivre…




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