• Réalités et fictions policières - suite.

    Suite 2/2: l'approche sur réalités et fictions policières - point de vue.


    Le témoignage des faits reste la preuve indiciale car c’est par ou avec des choses que l’on commet une infraction. Au cours de l’action, le malfaiteur abandonne souvent à son insu des traces sur les lieux de l’infraction ; réciproquement, il y recueille, sur sa personne, ses vêtements, ses armes, son matériel, d’autres indices souvent imperceptibles mais caractéristiques de sa présence ou de son action. Leur diversité permet de les classer selon les deux catégories (déjà évoquées) d’indices indéterminants et déterminants. A cet égard l’ADN est la preuve indiciale la plus déterminante.


    De nos jours, la police et la justice profitent des avancées scientifiques qui repoussent les limites du visible avec des instruments de plus en plus performants en microscopie optique. L’apport des méthodes physico-chimiques a permis d’aller plus loin dans la révélation des empreintes digitales. On utilise maintenant des produits de plus en plus efficaces dont des colles qui peuvent être pulvérisées par exemple sur un véhicule dans une cabine du genre de celle utilisée par les carrossiers pour la peinture. Il se forme sur toutes les surfaces une matière blanche qui peut être photographiée directement sous radiations ultraviolettes ou encore sous laser, après renforcement par un colorant fluorescent (donc dans l’obscurité et non pas sous des projecteurs pour pouvoir filmer un épisode de série policière). Toutes les traces et tâches apparaissent alors sans laisser la moindre portion de surface inexploitée. Diverses poudres et divers produits chimiques sont utilisés en fonction des conditions de découverte et la nature des objets examinés. On peut par exemple faire apparaître des empreintes sur un objet qui a séjourné dans l’eau.

    Pour ceux qui lisent Simenon et connaissent Maigret, ce commissaire épais, lent, casanier, fidèle et si efficace, rappelons qu’il est apparu au public en 1931 aux Editions Fayard qui, pour l’occasion de sa sortie, avait organisé un «bal anthropométrique » qui rassembla le tout Paris des lettres et du spectacle. Simenon n’a pas oublié la police scientifique : Maigret ne manque jamais de faire venir sur les lieux du crime l’Identité judiciaire, c’est-à-dire l’Inspecteur Moers et son équipe, qui prennent photographies, relèvent les empreintes, analysent les cendres de cigarettes et les poussières. Maigret admire le Docteur Paul, le médecin-légiste et adresse systématiquement les armes et les munitions à l'expert Gastine-Renette qui déterminera facilement qu'il s'agit d'un Browning Calibre 6,38 m/m auquel on a mis un silencieux… Maigret hante les combles du Palais de justice où sont installés le laboratoire et le service de l’Identité judiciaire. Bien sûr, on pourrait noter des inexactitudes et quelques entorses à la vraisemblance. Mais qu’importe. Maigret, qu’il se fâche, qu’il hésite, qu’il ait peur ou qu’il tende un piège… pour citer Simenon : « Reste la matière vivante, reste l’homme tout nu ou tout habillé, l’homme de partout ou l’homme de quelque part ».

    L’enquêteur doit aller, sans préjugé, le plus loin possible dans la connaissance de la personnalité du meurtrier, dans ses motivations et dans tout ce qui a un rapport avec son degré de responsabilité. Pour établir la culpabilité, la responsabilité pénale est décortiquée dans chacun des actes de l’assassin, d’abord pour des raisons juridiques. Finalement, ces raisons toutes procédurales rejoignent aussi la curiosité de l’enquêteur. A la fin de l’enquête, le Flic a emmagasiné des questions sur les meurtres commis et sur les personnalités de l’auteur, des complices éventuels et de la victime. Il s’est immergé dans son enquête. Pour en sortir, il a besoin d’aller au fond des choses et pour cela, il dispose des délais de garde à vue et des interrogatoires. Mais le policier, il faut encore le rappeler, n’est pas un magistrat. Ce n’est pas lui qui prononcera la mise en examen, l’incarcération et la condamnation. Par contre le sérieux de son travail et la rigueur de la synthèse qu’il fera seront les éléments précieux pour atteindre la vérité judiciaire.

    Lorsque Fred Vargas fait penser à son commissaire Adamsberg que «la police n’est pas à conseiller à un type qui espère fébrilement en la grâce de l’humanité. »… . C’est sans doute le point de vue de l’auteure mais ce n’est pas le mien. Pour moi, parler d’humanisme pose surtout la question des idéaux humanistes. En tant que flic, non seulement il ne faut jamais abandonner les idéaux mais ils aident dans la vie professionnelle. Il y a d’abord les droits de l’homme mais aussi la devise républicaine : Liberté, égalité, Fraternité. J’ajoute à titre personnel la solidarité.

    Si la littérature offre un miroir, il faut que ce soit un «miroir critique ». Si le rôle de l’écrivain est, selon l’expression d’André Malraux, de «tenter de donner conscience aux hommes de la grandeur qu’ils ignorent entre eux », je suis d’accord pour dire qu’il faut aussi que les humains soient conscients de leurs bassesses et de cette part de l’autre, ce mal qu’ils ont en eux.

    Comment littérariser la réalité policière ? M’a demandé un professeur de Lettres qui enseigne à la Faculté d’Aix-en-Provence.

    Gombrowicz, grand écrivain et philosophe polonais, disait : ." Il faut abandonner l’excès de théorie et les attitudes pédantes. Le style est le véhicule pour atteindre, non les théories mais les hommes ". Il poursuivait dans ce sens en affirmant que "de nos jours, le courant de pensée le plus moderne sera celui qui saura redécouvrir l’individu". C’est en d’autre terme que Simenon parlait de Maigret mais les propos se rejoignent (j’y reviens) : Chez Maigret, «reste la matière vivante, reste l’homme tout nu ou tout habillé, l’homme de partout ou l’homme de quelque part ». Ce qui entre dans le champ de la littérature, c’est l’aspect humain de la réalité policière. Et puis, la nouvelle policière est l’un genre complexe à aborder. Ce n’est pas si facile de trouver une victime, un assassin ou voleur, une énigme, un mobile, des indices, sans verser dans le poncif et le cliché. C’est aussi vrai pour le polar. L’exercice devient de plus en plus acrobatique devant la profusion d’ouvrages parus et à paraître. Je ne rentrerai pas dans la querelle d’arrière-garde entre le roman policier, le thriller, le polar et le néo-polar ou roman noir social. Je laisse à Jean-Bernard Pouy ses coups de gueule qui enfoncent le roman policier dans les poubelles de l’Histoire, le thriller dans les chiottes du néo-freudisme et le roman à énigme dans le compost du sudoku. ».

    Les auteurs du néo polar se disent «arpenteurs du réel » tout en écrivant des fictions. Si l’on prétend littérariser la réalité policière, il faut, à notre sens, l’intégrer dans une fiction qui est ce qu’il y a de littéraire dans le roman au sens premier du terme. Il ne s’agit donc pas d’écrire un ouvrage technique ou documentaire. Même si, par formation, on est poussé à coller à la réalité en respectant par exemple des règles de procédure que l’on a appliquées dans la vie professionnelle, il ne s’agit pas de relater simplement des faits comme dans un rapport de police ou une ordonnance de renvoi devant une juridiction. Il faut donner chair aux personnages. Dans mes deux premiers ouvrages, j’ai voulu faire peser sur le récit le poids de la procédure et de sa routine, tout en m’en servant pour relancer l’intrigue. Pour cela, je n'utilise pas des affaires que j’ai eu à connaître. Je préfère inventer les intrigues et les faits. Ensuite les personnages et les lieux peuvent être inspirés du réel et des anecdotes pousser à la réflexion, mais je n’écris pas pour transmettre un savoir greffé sur ma trajectoire de policier. J’écris d’abord comme je lis, c’est-à-dire par plaisir. Alors, ensuite, si ce plaisir est partagé, j’en suis comblé. Selon Claude Roy : « La littérature est parfaitement inutile ; sa seule utilité est qu’elle aide à vivre. » Bien sûr, si elle pousse à la réflexion et éveille des consciences, c’est important si on le fait à la façon de Diogène. Ce serait toutefois prétentieux de revendiquer le statut d’éveilleur des consciences et dérisoire de sombrer dans le certitude et l'autosatisfaction.

    Mon polar « Tamo ! Samo ! » est plutôt un thriller. Il suit le déroulement d’une enquête judiciaire avec un personnage surnommé le Flicorse en un seul mot. Etre flic est plus qu’une profession, cela devient une identité puisqu’on l’est 24 heures sur 24. Mais ce n’est pas la seule identité que l’on porte. On porte aussi son identité d’origine et celle que l’on se construit. Dans ce roman, je me suis servi de l’enquête judiciaire comme moteur de l’intrigue. Dans le prochain "Complices obscurs" qui est en cours d’édition, je fais sortir le Flicorse de la légalité et du confort administratif pour une enquête officieuse qui doit établir l’innocence d’un homme que tout accuse d’un meurtre sans qu’il ne puisse échapper à la procédure judiciaire. Je quitte la légalité pour chercher une autre vérité que celle établie par une enquête officielle. La vérité n’est pas toujours du côté de l’ordre établi. A travers le polar, on dispose d’une liberté totale d’écriture. C’est une offre que l’on ne peut refuser après avoir vécu dans des carcans administratifs et juridiques.

    On écrit aussi pour être lu. Sartre l’a dit et c’est une évidence. Le polar est de la littérature ou de la para littérature. A chacun d’en juger. Pour moi, la question ne se pose pas vraiment. C’est de la Noire. Il faut suivre l’avis de Paco Ignacio Taïbo II et maintenir la tension du noir dont l’intrigue est le noyau dur. On essaie avec modestie de le faire. L’écriture, c’est aussi beaucoup de travail de corrections dans un souci esthétique. Lorsque l’on parle d’esthétique, on aborde le langage avec toutes les figures de rhétorique. Le polar prend en compte l’oralité qui est une forme de littérature avec son esthétisme. Combien de fois, assis dans un café de quartier et écoutant des conteurs de comptoir, je me suis surpris à penser : Tiens un euphémisme, tiens une métaphore, tiens une ellipse ou un oxymore. Je me souviens de quelques perles : « Marcel, c’est un con intelligent » ou bien ce docker qui mettait un temps fou à relater un accident sur le port autonome, multipliant les digressions savoureuses et qui, pressé par son auditoire, a écourté subitement son histoire en disant «le lendemain : La quête ! ». Par ellipse il suggère la fin : un container, qui balançait longuement, était tombé sur un autre docker et l'avait tué sur le coup… donc le lendemain une quête avait été effectuée au profit de la famille. En Corse, un personnage populaire de la culture orale porte un surnom qui est un oxymore « Grosso minutu » (gros-maigre). Enfant chétif, il était devenu un adulte grassouillet. Les figures de rhétorique sont dans la rue et dans l’oralité autant que dans la l’écriture, avec la spontanéité en plus. Je n’ai pas honte de dire que j’écoute du slam et du rap. On y entend parfois en quelques minutes ce que l’on ne trouve pas dans un pavé littéraire de 800 pages.

    Le polar permet de puiser dans la culture orale. Bien sûr, écrire en langue corse un roman relève du militantisme et des auteurs s’y sont essayés pour revenir à la langue française. Certains persistent avec succès mais ils sont rares. Ce n’est donc pas d’actualité. Toutefois, si vous prenez l’auteur irlandais Joyce, il n’écrit pas en gaélique. Comme me l’avez fait remarquer Joël Jégouzo (site Noir comme polar ) «il sait faire chanter sa langue natale dans la langue des Britanniques, pliant au passage les règles du roman moderne au grain hérité du plus profond de son histoire. Cette jouissance séminale de la parole à la suture du parlé et de l’écrit, c’est dans son roman qu’il va donc la faire passer, abusant de phonétique, jouant du surgissement du son dans le mot… » Le polar permet cette suture de la parole entre le parlé et l’écrit. Jean-Toussaint Desanti, éminent philosophe corse disait : « Jamais je n'ai écrit en langue corse une ligne de philosophie. Mais là n'est pas l'essentiel. Je crois avoir pratiqué la forme de philosophie qu'exigeait mon origine. Dans ce champ aussi j'ai, autant que je l'ai pu, pourchassé l'indétermination, fait violence à la culture, effacé la mer, celle qui sépare et engloutit ». Je pense aussi à Aimé Césaire qui vient de nous quitter et qui disait : « J'ai plié la langue française à mon vouloir-dire ».

    Sur la réalité policière, un ouvrage:

    Le crime transparent ou l’histoire de la preuve judiciaire, livre du Professeur Nossintchouk aux éditions Oliver Orban .

    Cet ouvrage mêle judicieusement littérature, histoire et science. L’aspect « Police technique et scientifique » y tient une grande place avec de multiples informations. Les grands thèmes comme le sang, les empreintes digitales, la génétique entr’autres, sont repris à travers des chapitres aux titres évocateurs : « Les voies du sang », « Sueurs froides, « Crime et génétique ». L’auteur ne s’en tient pas aux acquis mais fait l’historique des recherches avec leurs balbutiements avant qu’une découverte soit considérée comme irréfutable. Cette marche dans le temps s’égrène d’anecdotes et de personnages comme ce médecin de la cour de Jacques Ier, le docteur William Harvey qui imagina en 1615 que le cœur pouvait fonctionner comme une pompe assurant la circulation du sang. Ce livre est aussi une intéressante analyse du tryptique Justice-Science et preuve avec , pour corollaire, l’évolution des méthodes de police judiciaire. Le professeur Nossintchouk relève que, jusqu’au 19ème siècle, le seul moyen de preuve est l’aveu, l’aveu qui était obtenu par tous les moyens, y compris la torture légale même contre la vérité. C’est dans ce 19ème siècle que, en même temps qu’apparaissent les progrès techniques et scientifique, naît toute une littérature policière qui, d’Edgar Poe, en passant par Gaboriau jusqu’à Conan Doyle fait de l’enquêteur un être observateur et perspicace capable de reconstituer le fait criminel, de démasquer le coupable en s’appuyant sur l’analyse d’indices matériels… Depuis lors, la démonstration du fait criminel est en train de trouver un équilibre grâce aux moyens de preuve que fournissent les sciences appliquées. Toutefois, espérons ne pas en arriver à ce que ces moyens, par leur efficacité systématique, ne nous fassent pas basculer dans un monde inquiétant, un monde façon Adlous Huxley, dans lequel l’homme n’aurait même plus la liberté de reconnaître qu’il est coupable, puisque cela deviendrait inutile.



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