A propos du polar régional
1°/ Définition de la littérature régionale par Elodie Charbonnier, docteur es Lettres modernes :
Les écrits de Nathalie Caradec proposés dans une étude sur la littérature de Bretagne illustrent parfaitement la difficulté de donner une définition, ne serait-ce qu’à l’échelle d’une seule région :
Nous considérons la littérature bretonne de langue française comme si l'ensemble ainsi défini allait de soi, pourtant nous ne pouvons pas éviter le débat lancé depuis une trentaine d'années sur cette terminologie. En effet, dans les années 1970, la discussion a été ouverte dans les colonnes de la revue Bretagnes […]. Cette revue littéraire et politique a soulevé un certain nombre de questions et cherché des critères pour caractériser cette littérature. […] Plus récemment, Pascal Rannou s'est penché sur le sujet […]. En 1993, il retrace la chronologie de ce débat inachevé et problématique. Quelques années plus tard, Marc Gontard souligne la « difficulté de mettre en œuvre des critères décisifs de détermination » mais essaie de trouver « un certain nombre d'indices, thématiques ou formels, spécifiques d'un imaginaire ou d'une pratique textuelle, qui [lui] semblent caractériser cet ensemble nécessairement « pluriel » […] pour lequel on peut revendiquer le nom de littérature bretonne de langue française. » Plus récemment, Marc Gontard considère que l'expression désigne « toute pratique textuelle où la question de l'identité, comme patrimoine culturel, travaille la question de l'écriture. »
Privilégiant l’expression « littérature régionale » et non « régionaliste », toute connotation à caractère uniquement politique est donc exclue de cette étude. J’entends ainsi parler d’une littérature en région et non pas seulement d’un mouvement littéraire revendicateur ou contestataire. Néanmoins, la question de l’identité régionale reviendra obligatoirement dès lors que nous nous attacherons à l’étude de régions comme la Corse, la Bretagne ou le Pays basque.
Si la littérature se décline en plusieurs genres reconnus, la « littérature régionale » n’en fait pas partie. Pourtant, il s’agit bien d’une forme littéraire particulière se distinguant du roman ou de la nouvelle généraliste. Présente au cœur de nos terres, cette littérature porte en elle une culture et retranscrit l’âme de sa région. Certes, notre étude ne portera pas sur les langues régionales mais il est indéniable que cette littérature contient des particularismes linguistiques propres au régionalisme. Ainsi, les nombreuses expressions linguistiques régionales ne sont guères employées dans la littérature dite « généraliste ». De fait, il ne faut pas ignorer les spécificités propres à chacune de ces régions pour les englober dans une unicité nationale.
La littérature corse résulte des pratiques ancestrales d’une littérature orale. Ayant subi des transformations constantes par l’alphabétisation et l’apparition de supports écrits ou audiovisuels, elle conserve encore aujourd’hui les traces de son histoire. Ainsi, certaines pratiques des littératures orales se sont donc transformées en littératures écrites ou même chantées. Évidemment, toutes les régions françaises ne revendiquent pas autant les questions identitaires que la Corse, l’Alsace ou bien la Bretagne. Néanmoins, toutes les régions possèdent une identité, une histoire et des particularismes propres parfaitement représentés par la littérature régionale.
Garante de la conservation et de la protection d’un patrimoine culturel, la « littérature régionale » devrait être au cœur de certaines préoccupations. En effet, à l’heure de la mondialisation, nombreuses sont les entreprises réalisées pour préserver les régions d’une unicité nationale ôtant toutes les spécificités locales. Ainsi, la démarche de reconnaissance d’une littérature régionale en tant que telle s’inscrit dans le contexte actuel de conservation de l’identité des minorités culturelles.
Souvent jugée péjorativement et réduite au simple folklore local, la « littérature régionale » est pourtant un genre abondant qui concerne de nombreux acteurs du livre. Il répond ainsi à une demande d’un public soucieux de se rapprocher de sa région, de sa culture.
« [C]'est au moment fort [d'une] prise de conscience que la littérature régionale émerge de par la volonté d'un groupe qui la voit comme un bien collectif important à revendiquer et à développer ». La littérature régionale, liée au développement et à la survie du groupe qu'elle représente, « vivra plus ou moins dans la mesure où elle accompagnera ce groupe dans son cheminement historique ».
Je considère comme littérature régionale tout ouvrage littéraire de langue française affichant un rapport à sa région et édité dans celle-ci.
Le choix des auteurs régionaux est le premier critère de sélection des ouvrages. Selon moi, l’auteur ne doit pas nécessairement être issu de la région dont il s’inspire, ni forcément y écrire, pour l’utiliser à des fins littéraires. Dans l’objet de ma problématique, il semble moins intéressant de considérer comme écrivain régional l’auteur qui possède ses racines en région, qui y écrit et y est édité mais qui n’y s’y réfère jamais.
Différentes thématiques permettent de situer les ouvrages littéraires régionaux. Utiliser la région comme lieu d’action romanesque est une première possibilité ; ainsi, elle apparaît comme un repère géographique et culturel pour l’auteur mais aussi pour le lecteur. L’intervention d’un folklore régional incluant contes et légendes populaires est un autre moyen de « régionaliser » son ouvrage tout comme l’utilisation de la mémoire collective ; par cette dernière, j’entends parler des ouvrages littéraires liés à une histoire locale touchant des événements comme la Résistance en Alsace au cours de la seconde Guerre Mondiale ou le Débarquement en Normandie."
Extrait de la Thèse de Doctorat présentée par Elodie Charbonnier.
2°/ Le polar régional :
En premier lieu en France et en Italie., le polar régional doit sans doute beaucoup au néo –polar, comme celui-ci doit quelque chose au roman noir américain… On peut considérer que, sous l’influence de Hardboiled, le roman noir français a évolué en roman social baptisé « Néo-polar ». C’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression!... C’est aussi le roman de la ville : « … La ville reste plus que jamais le lieu privilégié du polar. Seulement ce n’est plus le centre urbain qui prime. L’action se passe maintenant dans les banlieues, la zone, ou les quartiers populaires, voire marginaux. De nouvelles couches sociales sont apparues. Les minorités : arméniennes, bretonnes, travailleurs immigrés, délinquants, terroristes, paumés, zonards, trimards, mouisards, loubards, losers, toutes générations confondue… » ( Annne Pambrun Bibliosurf ).Le polar a fini par quitter ses capitales : Paris, Londres , new-York…
C’est Manuel Vasquez Montalban, avec sa ville Barcelone, qui en a ouvert la voie dans les années 1970. Il est l’inventeur de Pépé Carvalho, personnage représentatif de la capitale catalane espagnole. Il a déclenché l’apparition d’une vague d’auteurs revendiquant leur identité, leur culture, leur ville… En Italie, Andrea Camilleri va même appeler son héros récurrent « Montabalno » en hommage à l’auteur Catalan et en France, Jean-Claude Izzo va s’inspirer de Pépé Carvalho pour inventer Fabio Montale (Montale comme Montalban).
Andréa Camilleri est l'auteur le plus lu en Italie. Son héros le commissaire Montalbano est un sicilien acharné à faire toute la lumière au bout de ses enquêtes. Camilleri n’a jamais caché que, depuis son enfance, il vouait un culte particulier au Commissaire Jules Maigret. Il a lu Simenon alors qu’il signé encore sous le nom de Georges Sim et qu’il était publié par un bimensuel italien, avant de découvrir une série complète des Maigret éditée par Mondadori, éditeur italien. Maigret est devenu son modèle pour Montalbano.
Si le polar régional a trouvé un large lectorat avec de Montalban, Camilleri et Izzo, il a cependant d’autres précurseurs dans certaines régions comme la région marseillaise…
3°/ Le polar marseillais :
« Marseille est très loin de la France profonde engourdie dans ses principes. Métropole orientale, flibustière et vaguement métèque, elle présente le visage ambigu d’un monde pétri de misères et d’ambition » nous dit Mauirice Gouiran, auteur marseillais.
Avec son roman Total Khéops nparu en 1995, Jean-Claude Izzo a fait monter le polar marseillais à Paris et, si Philippe Carrèse peut mettre en avant la publication de « Trois jours d’engatse » ( 1994, Collection Misteri de l’Editeur corse Méditorial) antérieure à celle de Total Khéops, on pourrait aussi citer d’autres polars plus anciens comme Les Chapacans d’Anne Barrière paru en 1993. Le débat sur l’antériorité des uns et des autres, nous fait remonter beaucoup plus loin, avant la première guerre mondiale, pour retrouver les pionniers de ce polar régional : Pierre Yrondy et Jean-Toussaint Samat.
Marius Pegomas , détective marseillais crée par Pierre Yrondy :
D’abord, il faut expliquer le patronyme Pegomas qui est aussi le nom d’une petite ville entre les massifs de l’Esterel et du Tanneron, dans la région de Grasse et le département des Alpes Martimes. Le mot provençal de « Pegomas » signe la « pégue » , la colle provençale. Ce mot à donné Pégon pour désigner un individu collant dont on ne peut pas se débarrasser. Voilà une indication sur l’acharnement du détective Marius Pegomas lorsque il a un os à ronger.
Son créateur Pierre Yrondy a créé ce personnage récurrent qui a fait l’objet de la parution de 35 fascicules connus aux Editions Baudinière. Tel qu’il apparaissait en illustration, il s’agit d’un personnage faisant les 30 à 40 ans, cheveux noir coupés courts et coiffés vers l’avant , portant une petite moustache bicéphale et une barbichette partant en pointe du milieu de la lèvre supérieure pour s’évaser sur le menton. Il a les yeux bleus très clairs, sourcils, barbes et moustaches soignés, le visage rond, le nez plongeant et fin. De ses lèvres bien dessinées, sort une pipe droite qu’il serre dans ses dents, crispant donc les mâchoires, ce qui a pour effet de faire descendre les commissures des lèvres donnant à la bouche une impression de sourire inversé, alors que le front fuyant marqué par quelques rides est soucieux.
Les 35 fascicules, publiés en 1936 par L’éditeur Baudinière, étaient vendus 1 francs. Nous avons retrouvé les titres : Les gangsters de la joliette – Le crime de l’Etang de Berre – Le trafiquant d’opium – Ficelé sur le rail – L’ogresse de la Canebière – L’étrange aventure de M. Toc – Les bijoux de Lady Merry – L’énigme de Monte Carlo – La terreur d’Aubagne – Un drame au Palis du Cristal – Le naufrage du Sphinx – Un vol de 3 millions – L’aveugle de N-D de la Garde – Le bout de cigare – Une disparition de Bourse – Un mariage tragique – Le Mystère du cabanon – Le revenant d’Aix – Les ciseaux d’argent – Le moulin sanglant – Les incendiaires de La Ciotat – Le doigt coupe – Le Roi de la neige – Une macabre distribution – Le vampire de Martigues – Un cimetière dans le jardin – Le sourire de mort – Un enlèvement audacieux – Le cœur percé – Le village malade – Le Tyran de Nîmes – Une atroce machination - Le laboratoire diabolique – Un dangereux bandit.
Pierre Yrondy est aussi l’auteur de pièces de théâtre comme « Un crime, les fusillés de Vingré » sur la guerre 14/18 pièce de 1924 et « Sept ans d’agonie – le martyre de Sacco et Vanzetti » pièce de 1927. Nous avons trouvé aussi une histoire vécue avec le titre de l’ouvrage : « De la cocaïne… au gaz ! », roman publié par les Editions Baudinière en 1934.
Jean Toussaint SAMAT et ses polars régionaux :
Un auteur contemporain marseillais Jean Contrucci a obtenu le prix de roman policier Jean -Toussaint SAMAT en 2003 avec son roman « L’énigme de la Blancarde ». Ce prix est un hommage au père des romans polar marseillais puisqu’il a publié son premier opus « L’horrible mort de Miss Gildchrist » en 1932 avec lequel il fut lauréat du prix du roman d’aventure. En 1928, il avait déjà co-écrit un ouvrage engagé sur les trafics d’armes et d’hommes sous le titre « Aux frontières de l’Ethiopie ». Après son premier roman, il enchaîne les titres avec d’abord « Circuit fermé » en 1933. Il écrit deux romans d’espionnage en 1934 : « Les espionnes nues » et « L’espionne au corps bronzé ». Il revient au roman policier en 1935 avec « Circuit fermé » et « Le mystère du Mas piégé ». En 1946, il publie plusieurs polars : « La mort du vieux chemin « , « Le mort de la Canebière », « Le mort à la fenêtre » et « Le mort du vendredi saint »; en 1947 « Erreurs de caisse » ; en 1949 « Le mort et la fille » ; en 1950 « Concerto pour meurtre et orchestre », qui a été récemment repris en feuilleton par le Journal littéraire (2004-2005). Il a publié la plupart de ses romans policiers dans la collection « Cagoule « des Editions La Bruyère. Nous avons retrouvé une édition de « Le mort de la Canebière », Les Editions de France avec en première page la contre indication « … à ne pas lire la nuit ! ».
Et quelques décennies plus tard…
Le terme de polar marseillais recouvre une production très hétérogène et n’a donc aucune signification. Par contre, compte tenu de la publication foisonnante de romans noirs sur Marseille… nous pouvons nous interroger sur les raisons de cet engouement… Pour le polar, Marseille est plus qu’un décor, c’est souvent une héroïne (sans mauvais jeu de mot) parce que cette ville possède, pour des raisons à la fois historiques, économiques, sociologiques et politiques, tous les ingrédients du (bon) roman noir… explique Maurice Gouiran dans un article consacré au polar de la revue culturelle de la ville de Marseille n°213 de juin 2006. Les raisons sont les nombreuses migrations avec la constitution de familles, de clans avec des éléments au sang chauffé par le soleil qui exacerbe les haines et les passions dans la tradition méditerranéenne entre esbroufe et obstination, fraternité et conflits, vengeance et violence sur fond de misère sociale avec des poussées xénophobes dans des relations intercommunautaires pourtant paisibles. Une ville, terre de drames et de tragédies, donc de littérature noire.
Quelques éditeurs : Editions L’Ecailler du Sud, Edition Jigal, Editions Autres temps…
Une librairie spécialisée dans le polar : L’écailler, rue Barbaroux 13001 Marseille.
Quelques auteurs actuels: Gilles Del Pappas, Philippe Carrese, François Thomazeau, Jean Contrucci, Maurice Gouiran, Michel Jacquet, g-m Bon, Serge Scotto, André De Rocca, Marc Spaccesi …
Les événements sur le polar à Marseille :
L’association Le Pôle Art Marseillais organise des mardis littéraires au restaurant Le Corleone, rue sainte à Marseille et l’évènement « Le balcon marseillais du polar ». Le prochain est prévu pour le 13 septembre 2009.
Dans le cadre d’une semaine noire, l’association l’écrit du Sud avec Les Editions de L’écailler et en partenariat avec la municipalité de Septèmes les Vallons organisent les Terrasses du Polar cours julien à Marseille (pendant la fête du plateau) et à Septèmes les valons. Les prochaines terrasses sont prévues pour les 19 et 20 septembre 2009.
2°/Le polar corse :
Le Sicilien Andréa Camilleri a forcément une influence particulière sur des auteurs corses de polars, par l’insularité partagée sur des îles aux histoires parallèles. Il en est de même pour Izzo, marseillais d'origine italienne, lorsque l'on sait le nombre de Corses vivant dans la cité phocéenne.
Le roman est un genre qui a eu du mal à s’enraciner en Corse ou la culture est de tradition orale, donc plus tournée vers la poésie et le théâtre. La littérature orale corse n'a jamais été fermée sur elle-même et visait à intéresser toutes les classes de la société. Les œuvres circulaient sur l’île, véhiculées par les bergers transhumants, les marchands ambulants, les colporteurs et de simples voyageurs. Elles s'exportaient parfois au-dehors, notamment vers les îles voisines comme la Sardaigne qui est la plus proche.
La diffusion de la littérature orale n'a pas de frontières matérielles et morales. Les créations littéraires insulaires ont subi des influences extérieures et, en particulier, venues d’Italie géographiquement proche. La littérature orale insulaire s’est donc formée à partir des mélanges de plusieurs littératures populaires et étrangères.
L'influence des diverses idéologies et des divers phénomènes culturels du bassin méditerranéen est indéniablement ressentie au travers de la littérature populaire corse. Le polar est une littérature populaire qui fait la suture entre le parlé et l’écrit. Imagine ! me disait Joël Jegouzo (du site Noir comme polar). Savoir, comme dans un chjam’é rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjam’è rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée.
Le polar corse existe… Les thèmes imaginaires ou réels inspirent les auteurs corses dans une île noire et rouge sur fond de bleu marin et azuréen. On peut en dresser un inventaire en vrac et non exhaustif : la politique, les autonomistes, les barbouzes, les révoltes, la musique et les chants, l’écologie, la désertification, la pauvreté, le chômage, le huis clos, les mythes, les légendes, le banditisme… mais aussi les particularités : l’omerta, l’honneur, le clanisme, la cursita (ce mal du pays qui rend l’exil, douloureux, cette nostalgie hors de l’île bien particulière apparentée à la " saudade " brésilienne et portugaise. En Corse, le tragique côtoie l’humour… L’humour y plusieurs formes ; le taroccu fait de malice et de mélancolie… la macagna plus caustique et l’autodérision. Il y a surtout la volonté d’être corse : un corps, plutôt qu’un corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent d’une terre mystifiée — et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies.
Dans une anthologie présentée par Roger Martin, on peut lire au sujet du genre policier comme étant universel : « Cette universalité –société, police, crime, nature humaine – permet d’avancer que le genre policier, qu’il soit français, anglais, espagnol, russe ou japonais, s’abreuve à des sources communes, auxquelles bien entendu, il convient d’ajouter celles propre au génie et à l’histoire de chaque peuple »
La Corse est une terre de romans noirs et de polars. Dernièrement, un hebdomadaire publiait un article «Terreur sur Ajaccio » sous-titre « Le gang qui fait trembler la Corse ». La première phrase est « Ils sont tous des enfants du cru et forment le noyau dur de la bande du Petit bar. Des tueurs sanguinaires… » N’y a-t-il pas là le titre et le début d’un polar bien noir avec des héros Hardboiled ? On y trouve même des idées de dialogue : « Hep, salut ! Je t’aurais bien offert un café… - Vaut mieux pas s’attarder aux terrasses de bistrot en ce moment, c’est trop risqué !... »L’article relate la réalité d’une série d’assassinats qui serait la suite d’une lutte sanglante entre bandes rivales venant déranger les vieux truands jusque dans leur « semi -retraite » ( Le point , du 19 octobre 2006 ).
Depuis quelques années, on a vu émerger le polar de terroir. Alors que Marseille et la Corse ont alimenté l’imaginaire de bon nombre d’auteurs et de cinéastes, mais il faudra attendre 1995 et Jean-Claude Izzo pour consacrer le polar marseillais en le faisant connaître à Paris. Et la Corse ? A la même époque, un éditeur ajaccien, Les Editions Méditorial, avait créé une « collection Misteri » qui a édité, entre autres, Philippe Carrese et François Thomazeau. Tous les deux font partie aujourd’hui des auteurs de polars connus. « Les trois jours d’engatse » de Carrese a été d’abord édité dans la collection « Mistéri » en 1994 (un an avant Total Kéops qui a fait émerger le polar marseillais), puis réédité au « Fleuve noir » en 1995. François Thomazeau est l’auteur de plusieurs polars édités dans la collection Misteri et a créé, avec deux autres auteurs, « L’écailler du Sud », éditeur marseillais qui obtient un réel succès. Les premiers polars de Thomazeau de la collection Misteri ont été réédités par Librio. L’éditeur ajaccien Méditorial a fait connaître aussi des auteurs corses comme Ange Morelli, Elisabeth Milleliri et Marie-Hélène Cotoni.
Des auteurs de nouvelles, précurseurs du polar et du roman noir, se sont inspirés de la « légende noire de la criminalité insulaire », d’autres ont choisi plus tardivement le roman. A partir de 2004, la production corse de polars s’est développée, des personnages corses sont nés comme, pour exemples, le commissaire Batti Agostini, le commisaire Pierruci ou encore Mathieu Difrade dit le Flicorse.
Par ailleurs, les éditions Albiana ont lancé, en 2004, leur collection « Néra » qui compte déjà plusieurs polars dans son catalogue. Elles éditent quatre à cinq polars par an. La relève est assurée. Des auteurs corses se ré –approprient la Corse noire. L’éditeur ajaccien écrit : « Qui douterait encore que la Corse ne soit malheureusement définitivement, une terre de polar et de romans noirs ?... La collection Nera ouvre les portes des bas-fonds du crime avec l’aide des auteurs insulaires… Elle propose de donner à lire cette profonde noirceur, ce goût pour le drame et la mort chevillé à l’âme, avec l’indispensable dimension littéraire qui seule peut rendre justice des mécanismes à l’œuvre. Loin des clichés, jouant parfois avec eux, elle ouvre des espaces de pensée d’autant plus efficaces qu’ils viennent de l’intérieur de la société, des meurtrissures vécues enfin domptées par l’écriture. Néra est une jalousie précautionneusement ouverte sur la rue, sur la vie insulaire, ce que l’on voit et qui ne se dit pas… » (Il faut lire l’interview de Bernard Biancarelli par Joël Jegouzo sur le site www.noircommepolar.com )
Déclarations de M. Bernard Biancarelli, directeur de la collection Nera : »
« La collection noire, j'en rêvais depuis mon arrivée aux éditions Albiana (en 1998). Mais il existait déjà un éditeur à Ajaccio quasiment spécialisé dans le noir (Méditorial) et plutôt bon dans ses choix (il fut l'éditeur de Thomazeau par exemple, qui a ensuite fondé « L'écaillers du Sud », une petite maison du Noir qui monte, qui monte,…). Sa collection était bien implantée et puis on ne marche pas sur les plates-bandes de quelqu'un que l'on connaît et que l'on respecte. Bref, nous étions restés en retrait. Son arrêt et notre envie toujours présente ont permis d'ouvrir le chantier. La collection Nera permettait aussi de dynamiser notre ligne éditoriale, de signaler au public que nous étions toujours en évolution et prêts pour les aventures. Nous avions au cours des années précédentes pris des risques éditoriaux chaque année, en publiant notamment pas mal de premiers romans ou des recueils de nouvelles, en dépit des préventions largement répandues dans la profession à ce sujet. Nombreux sont assez durs et violents, sans concession souvent pour le petit monde dans lequel nous vivons, mais ce qui selon moi les caractérise, c'est qu'ils ont laissé de côté le victimisme et le désir de justification, le pamphlet ou l'explication de texte, notamment du « problème corse » qui sont autant de pertes de temps et qui éloignent fatalement de la littérature. Il s'agit d'un vrai mouvement qui est la mutation du «Riacquistu » dont je parlais précédemment. Une attention soudaine pour la Corse d'aujourd'hui (ni celle d'hier, ni celle que désire l'Autre - ou que nous croyons qu'il désire - ni celle des cartes postales, ni celle des chromos) s'est manifestée et il nous a juste fallu aider à l'éclosion. La collection noire est évidemment pour nous un des outils qui nous manquaient pour aider à cet avènement. Et je peux certifier que son apparition a donné un coup de fouet qui s'est traduit par l'arrivée d'un grand nombre de manuscrits. Non seulement la collection Nera était profondément désirée chez nous, mais elle était probablement attendue par les auteurs, et certainement aussi, par les lecteurs qui lui ont réservé un très bon accueil."Pour consulter l'article de Joël Jegouzo sur le site noircommepolar, cliquer ci-dessous:
http://www.noircommepolar.com/ktml2/images/uploads:pdf/albiana.pdf
L’association Corsicapolar :
Aujourd’hui, de nombreux auteurs corses écrivent des polars. Début 2007, certains se sont réunis dans une association Corsicapolar qui organise chaque année en juillet le festival corse et méditerranéen du polar (troisième édition en juillet 2009) et qui a, parmi ses membres, Michèle Witta conférencière et bibliothécaire de la Bibliothèque des Littératures Policières, unique en France. Lucienne Gaspari, Ajaccienne lectrice de polars, est la présidente de l’association et les autres membres du conseil d’administration sont des auteurs en commençant par l’initiateur du festival Jean-Pierre Orsi associé à Marie-Hélène Ferrari, Ugo Pandolfi et Jean-Paul Ceccaldi. La liste serait trop longue pour citer tous les autres membres et de nouveaux auteurs viennent rejoindre l’association chaque année.
Sites corses en partie dédiés au polar :
- Corse noire : http://blog.ifrance.com/flicorse
. Corsicapolar.eu : http://www.corsicapolar.eu
Autre site :
- K-libre : http://www.k-libre.fr/klibre-ve/