• L'histoire du polar - 1ère partie.

    Le Polar de la bible à nos jours...

    1ère Partie: Les grandes lignes de son histoire

    Le genre policier fait l’objet de controverses sur sa définition même, sur sa valeur littéraire et sur ses origines. Toutefois, il s’agit d’un genre qui, sans se renier, est en perpétuellement évolution avec ses variantes dont les auteurs ont un seul but « capturer le lecteur jusqu’à la dernière ligne ».

    On peut faire remonter l’origine du genre aux temps bibliques. Powel s’adressant au bon dieu, lui dit : « Seigneur, tu n’es pas contre l’assassinat, la Bible est pleine d’assassinats… ». J’en ai pour exemple les anecdotes de Daniel et les prêtres, de Suzanne et les vieillards, de Dalila trahissant Samson … On peut citer des tragédies antiques comme Œdipe, Les mille et une nuits, et les grands auteurs grecs ou latins : Esope, Archimède, Pline le jeune ou Cicéron, avec une mention spéciale pour Hérodote et son ouvrage «Les fils de l’architecte » considéré par certains comme la pierre angulaire du genre policier. Un mystère de chambre close en 1237 avant J-C et, comme ingrédients : vols mystérieux, corps sans tête, maison de débauche, bras coupé à un cadavre… Originaire de Carie, un état en Asie mineure conquis par les colons qui massacrèrent les hommes pour épouser les femmes, Hérodote était l’enfant d’un métissage entre l’Asie et l’Europe, d’une double appartenance identitaire. Il est considéré comme un géographe, un sociologue, un ethnographe et un reporter. Il a voyagé beaucoup, remplissant ce qu’il appelait des carnets « d’enquête » qui correspond au mot grec « historia » aux sens de documentation, exploration, découverte. Il racontait surtout les batailles et s’intéressait aux adversaires des Grecs, à leurs us et coutumes notamment. Allant toujours plus loin dans le détail de ses récits, il faisait de nombreuses digressions sur des anecdotes et des petites histoires qu’on lui racontait.

    Plus près de nous, on peut évoquer le cours de médecine légale dans la tragédie de Shakespeare, Henri IV, ou bien les épisodes du « Cheval du roi » et de « L’épagneule de la reine », dans Zadig de Voltaire, la gaieté de l’amateur français de Beaumarchais et même le Barbier de Séville. On trouve dans ces récits des passages dignes de Sherlock Homes.

    Le roman policier est un ouvrage littéraire qui met en scène principalement des personnages policiers ou détectives professionnels ou amateurs, en lutte contre des gangsters ou des criminels. Sur la base de cette définition liminaire et sans remonter aux chalandes grecques, c’est au 19ème siècle, celui de l’industrialisation et de l’urbanisation, que le genre policier va véritablement émerger, en même temps qu’évolue la police. Son inspiration va se trouver dans des biographies de bandits et des récits de meurtres étranges, vendus de porte en porte par des colporteurs. Des personnages deviennent des mythes comme Vidocq. Balzac est considéré, par certains, comme l’auteur des premiers romans noirs avec « La grande Bretèche » en 1832 et « Une ténébreuse affaire » en 1841 (enlèvement du Sénateur Clément de Ris. Mais c’est Edgar Poe en 1841 avec «Double assassinat de la rue Morgue » (première traduction faite par Charles Baudelaire) qui va être considéré comme le père du roman policier. Ce jeune américain a choisi Paris comme cadre de ses premiers romans et pensait avoir découvert une technique de raisonnement applicable à la fiction et fondé sur la détection d’indices. Il explique sa méthode dans « genèse d’un poème ».

    Dans l’hexagone, le roman policier va garder sa spécificité française jusque vers 1918. On part de la découverte d’un crime pour remonter jusqu’aux causes (les mobiles) : un crime, un problème, une enquête. L’archétype du détective (raisonneur et psychologue) naît avec le chevalier Dupin.

    Le premier disciple de POE est Emile Gaboriau, journaliste (C’est un métier qui, comme flic, donnera beaucoup de polardeux) il publie en 1866 « L’affaire Lerouge » avec un personnage dans la filiation de Dupin, c’est le Père Tabaret alias Tirauclair. Ensuite il invente le personnage de l’Inspecteur Lecocq qui , comme Sherlock Holmes plus tard, utilise la déduction et les moyens scientifiques dans ses enquêtes : relevés d’indices matériels, moulage d’empreintes. Les auteurs utilisent les techniques du roman populaire ou les péripéties l’emportent sur la déduction. On peut citer « Le coup d’œil de Monsieur Piédouche » de Fortuné du Boisgobey, « Maximilien Heller » de Henry Cauvin (publié en 1886 dont le héros ressemble à Sherlock Homes qui n’apparaîtra qu’un an plus tard et certains parleront de plagiat en direction de Conan Doyle) ou encore « La chambre du crime » d’ Eugène Chavette.

    Après 1918, les auteurs français vont suivre le modèle anglais en privilégiant l’analyse, la déduction. Jusqu’à la première guerre mondiale (1914-18) le récit policier est surtout distribué par des mensuels. Il entre dans l’édition après guerre, avec l’apparition de deux collections prépondérantes : « L’empreinte » et « Le masque », fondée en 1927 par Albert Pigasse. On passe des nouvelles composées d’une cinquantaine de pages aux livres plus étoffés. Il faut noter que, sur les 60 premières parutions de l’Edition «Le masque », trois seulement étaient françaises.

    Les historiens de polar définissent deux écoles :

    - la française avec Gaboriau qui s’est développée dans la veine des feuilletons alors très en vogue et qui met en scène un policier scientifique et professionnel, tout en préservant l’aspect romanesque du récit.

    - L’anglo-saxonne avec Edgar Poe qui privilégie le déroulement de l’enquête et la figure du détective amateur. Deux ans avant la parution de « double assassinat de la rue Morgue », Thomas de Quincey avait écrit un essai noir « De l’assassinat considéré comme l’un des beaux-arts » 

    Si Edgar Allan Poe et Emile Gaboriau apparaissent comme les précurseurs d’un genre qui a ses codes, les historiographes comme Claude Mesplède ( surnommé « Le pape du polar » par ses amis polardeux en hommage à sa connaissance encyclopédique du genre), citent ensuite les pères fondateurs, inventeurs de héros : Conan Doyle, Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Pierre Souvestre et Marcel Allain, Arthur Bermède (Belphégor) ; Jacques Norbert (Docteur Mabuse), Maurice Renard ( Le mystère du masque et le bracelet d’émeraude) et Gustave Lerouge (Voleur de visages, Le mystérieux docteur Cornélius, Todd Marvel).

    En 1887, Conan Doyle livre les premières aventures de Sherlock Homes avec, en premier lieu, « Une étude en rouge ». Sans doute dépassé par le succès de son héros affublé de son compagnon fidèle, le Docteur Watson, il le tue en 1893 dans « Le dernier problème », pour le ressusciter 10 ans plus tard sous la pression de son lectorat. Entre cette date et 1927, il écrira 4 romans et 56 nouvelles. C’est l’ère du QQOCP qui s’ouvre comme le cri du poulet à l’aube de chaque enquête : Quoi ? Un meurtre. Qui ? Une victime et un coupable. Où ? Découverte du cadavre dans un lieu insolite ou familier. Comment ? Les moyens sont multiples et variés… Pourquoi ? Par vengeance, par cupidité, par sadisme, par folie pure…. Conan Doyle est mort et  Sherlock lui survit même sous les plumes d’autres auteurs qui écrivent des pastiches.

    En 1905, Maurice Leblanc livre les premières aventures d’Arsen Lupin, le gentleman cambrioleur, avec « L’arrestation d’Arsen Lupin ». En 1907, Gaston Leroux est l’inventeur de « Rouletabille », Joseph Joséphin, reporter – détective. On peut citer « Le mystère de la chambre jaune » et « Le parfum de la dame en noir». En 1911, les journalistes Pierre Souvestre et Marcel Allain composent l’anti-Lupin qu’est Fantômas, qui est « personne mais cependant quelqu’un » et « Il fait peur ».

    Maurice Leblanc et Arsène Lupin par Nadia Dhoukar :

    « Arsène Lupin est un personnage de la Belle Epoque, empreint du positivisme et de la frivolité ambiante du moment. Il se divertit sans cesse, n'agit que par goût du jeu ; c'est un individu léger qui aime l'art, le défi et les jolies femmes. A l'instar de Sherlock Holmes, il fait rire et sourire et entraîne son lecteur dans un univers qui se moque des lois et des convenances, et cela, toujours avec intelligence et finesse. Mais surtout, plus que ses homologues tels Holmes ou encore Fantômas, Lupin n'est pas hiératique dans le sens où il prend corps au fil des aventures, change, se remet en question, éprouve des sentiments humains et s'avère plus proche du lecteur anonyme que d'un détective infaillible. La réunion de tous ces éléments a fait de Lupin un personnage qui a plu et qui plaît encore. En effet, Poirot par exemple et son esprit déductif a fait sensation au moment de son apparition, il plaît encore aujourd'hui mais son talent est quelque peu désuet parce qu'il puise la solution de l'énigme dans une analyse psychologique qui apparaît aujourd'hui comme schématique, réductrice et rudimentaire. Lupin lui, illustre une légèreté et une désinvolture qui plaisent de tout temps parce qu'il se joue des limites que les hommes ont tracées, limites qui, si elles se transforment, existent et existeront toujours. De ce fait Lupin possède un caractère qui relève de l'universel : celui du défi. Nous verrons d'abord en quoi Arsène Lupin n'est personne, ensuite de quelle manière, à travers la quête et le duel, il devient quelqu'un ».

     

    Un peu d’histoire de la police : 1790, création du corps des commissaires de police qui remplacent les commissaires enquêteurs –examinateurs. 1791, Antoine Waldec de Lessart est le premier ministre de l’intérieur, gardien de la légalité, garant de la paix publique et de la sécurité des personnes et des biens, tuteur et responsable de l’administration territoriale. 1795, distinction entre police judiciaire et police administrative. 1800, création des commissariats et de le Préfecture de police, et organisation de la police urbaine en Province. 1829, première police en tenue d’uniforme, les sergents de ville. 1854-1856, mise en place de l’îlotage. 1870, remplacement des sergents de ville par les gardiens de la paix. 1879-1882, mise en place de l’anthropométrie inventée par Bertillon, adoptée en 1887 par la Préfecture de police puis répandue dans toute l’Europe. 1888, premières photographies métriques. 1902, Les services de l’Identité judiciaire relèvent et utilisent les empreintes digitales. 1907, création par Clemenceau des Brigades du Tigre qui deviendront les Services régionaux de police judiciaire. 1912, création de le Brigade criminelle. 1920, le commissariats sont équipés de camionnettes de police secours (surnommées par la suite « Les paniers à salades »). 1941, étatisation de la police et création de la police nationale…

    Dans la lignée de ce que l’on appelle l’école anglaise, le roman est construit de façon rationnelle et scientifique. Il s’agit d’un puzzle dont chaque indice est une pièce ou pas. Le lecteur -détective doit faire appel à son esprit d’observation et de déduction pour découvrir la clef de l’énigme avant l’épilogue. C’est Agatha Christie, avec ses héros Hercule Poirot et Miss Marple, qui donnera au roman de détection ( à énigme ) sa marque de fabrique« Made in British ». En 1924, Austin Freeman, médecin et auteur, publie à 62 ans son essai : « L’art du roman policier ». On lui a reproché son approche trop scientifique, sa police de laboratoire qui déconcertait les lecteurs, malgré ses efforts de vulgarisation. Il a écrit de nombreux romans à problème dont : L’œil d’Osiris, L’os chantant, Le singe en argile, le mystère de la rue Jacob… Il est l’inventeur du personnage du policier Thorndyke, raisonneur et pragmatique.

    En 1928, S.S. Van Dine se posera comme le théoricien du genre avec son opus énumérant les « Vingt règles pour le crime d’auteur ». Il est l’inventeur du détective Philo Vance, cultivé et fin psychologue. Pour résumer les règles de Van Dine, dans le roman policier, il doit pas y avoir d’intrigue amoureuse ; le coupable ne doit pas être un détective ou un policier, ni un domestique et il ne doit y en avoir qu’un même si les assassinats sont multiples ; Il doit bien sûr y avoir au moins un cadavre ( et plus ce cadavre est mort mieux ça vaut) et un seul détective ; le coupable doit avoir joué un rôle important dans le récit et l’épilogue doit y transparaître pour un lecteur suffisamment perspicace ; enfin, il faut proscrire les longs passages descriptifs, les analyses trop subtiles et de préoccupation d’atmosphère.


    A la même époque la collection Le Masque ouvre une autre voie, celle des auteurs francophones avec une prépondérance des auteurs français et belges, des romans classiques qui sortent des règles de Van Dine. Dans cette veine, on peut citer Pierre Very, qui voulait « rénover la littérature policière en la rendant poétique et humoristique ». Il invente le personnage de Maître Prosper Lepicq avocat qui traque les criminels pour en faire ses clients. Le belge S.A Steeman invente le personnage d’un ancien policier installé à son compte M. Wens et un précurseur de Maigret, Aima Malaise. Charles Exbrayat entre dans le genre policier à l’âge de 51 ans avec un premier roman « Elle avait trop de mémoire » en 1957 suivi rapidement de deux autres en 1958 « La nuit de Santa Cruz » et « Vous souvenez-vous de Paco ? » pour devenir l’auteur vedette de la collection Le Masque et produite, par la suite, une centaine de titres. Mais l’auteur phare de cette école franco-belge est Georges Simenon, père du Commissaire Maigret, avec 400 livres et des centaines de millions d’exemplaires vendus dans le Monde. Il consacrera au commissaire Maigret, qui naît avec « Pietr le Letton » en 1929, 76 romans ou nouvelles avec la devise de son héros : « comprendre et ne pas juger ».

    Le roman noir connaîtra son âge d’or dans les années 30-40 d’abord aux Etats-Unis, dans le contexte de la crise économique de 1929 et d’une société violente, avec Dashiel Hammet et la génération de ceux que l’on a surnommés les « fouille-merde » (Muckrakers). Ce sont les américains qui ont sorti le polar des salons feutrés anglo-saxons et ont mis au goût du jour le Thriller, découvert et apprécié en France dans les années 1950. Gallimard crée la collection prestigieuse « Série noire » après avoir créé en 1936 celle « Le scarabée d’or ». Aujourd’hui, en coup de chapeau à la Série noire, une collection « Suite noire » a été créée récemment par Jean-Pierre Pouy, auteur et éditeur qui fait partie de l’aventure du Poulpe.

    Avec Hammet, c’est donc les américains qui ont inspiré le roman noir français. Dans la suite, Chandler disait que Hammet « a arraché le meurtre du vase vénitien et l’a jeté dans la rue ». Pour Hammet, un détective devait « être un type dur et rusé, capable de se tirer de toutes les situations ».

     

     

    Le roman noir américain :


    Dashiel Hammet
    en est donc le père fondateur avec une première nouvelle « L’incendiaire ». Il se développe au temps de la prohibition dans des magazines à bon marché, les dime-novels au début des années 20 puis avec les Pulps dont le plus célèbre est Pulp Black Mask. Avec Hammet, naissent les personnages de détectives cyniques et désenchantés qui évoluent dans des milieux glauques sur fond de violence, de corruption et de misère sociale. Le sang appelle le sang et le coupable meurt par où il a péché. Dans ses écrits, Hammet fait aussi une critique acide des institutions américaines, ce qui lui vaudra un emprisonnement sous Mac Carthy. On peut citer parmi ses ouvrages : La moisson rouge et La sang maudit écrits en 1929 , mais aussi le faucon de Malte ( titre en coup de chapeau au Faucon Maltais) avec le privé Sam Spade, et encore La clé de verre (1930) et L’introuvable (1934).


    Hammet va fasciner un autre auteur américain, Raymond Chandler qui publie son premier roman en 1939 « Le grand sommeil » avec l’apparition de Philip Marlowe qui traînera sa dégaine dans 6 autres titres qui suivront dont le dernier « The Pencil » écrit en 1958 et édité en 1960 après la mort de l’auteur qui survient en 1959. Chandler s’est voulu aussi théoricien du nouveau roman criminel avec son opus : »L’art d’assassiner ou la moindre chose » (1944). Son œuvre noire est parmi les plus violentes de son époque, avec des descriptions très visuelles et des atmosphères dans des récits facilement adaptables au cinéma.

    Entre 1935 et 1939, un certain William Irish écrivait une centaine de nouvelles dans les Dime Détective et Black Mask. Il publie son premier roman, en 1940, sous le pseudonyme de Woolrich Cornell : « La mariée était tout en noir » , avant sa suite noire de cinq titres : Retour à Tillary street, Alibi noir, Ange, Une peur noire, Rendez-vous en noir, mais, à la même période, c’est William Irish qui signera Lady Fantôme, L’heure blafarde, la sirène du Mississipi et enfin j’ai épousé une ombre (1948). Il vivait avec sa mère malade et quand celle-ci décède, il se retire dans la solitude et l’alcoolisme. Après l’amputation d’une jambe à cause de la gangrène, il meurt d’une attaque dans l’oubli, tout en restant le maître du roman à suspens avec ses récits qui machiavéliques.

    Il faut citer ensuite William Riley Burnett qui se fait connaître en 1929 avec la parution de « Le petit césar » , vie d’un truand inspiré de celle d’Al Capone, suivie d’une trilogie urbaine avec Quand la ville dort, Rien dans les manches et Donnant -donnant. Il a obtenu l’Oscar du meilleur scénario pour La grande évasion en 1962. James Cain décrit un monde qui a pour métaphysique le sexe et de l’argent, notamment avec « Le facteur sonne toujours trois fois » (1934) et Assurance sur la mort (1936). Celui qui se dit l’écrivain maudit du roman noir, Horace MC Coy et qui est journaliste sportif, écrit « On achève bien les chevaux », en 1935, mais aussi « Un linceul n’a pas de poches » en 1937 et publié qu’en 1948.


    Un arrêt sur Jim Thomson
    , un des plus noirs avec une galerie de personnages désespérés et désespérants, en passant par le shérif de « 1275 âmes » ( en France n° 1000 de la série noire), le représentant de commerce parano dans Des cliques et des claques) , le journaliste alcoolo dans M. Zéro, le garçon de café complètement névrosé dans La mort viendra, petite ou encore le nervi tueur dans Nuit de fureur. Une équipe de dessinateurs et scénaristes ont réalisé les deux premiers tomes d’une trilogie « Sans pitié » en rendant hommage à cet auteur. La premier page du premier tome, montre un ballez en train de lire : « Deuil dans le coton » (titre original : Cropper’s Cabin). Ce roman est sorti en 1952. Le premier roman de Jim Thomson est Now et Earth (1942), traduction littérale « Maintenant et ici-bas » ayant donné le titre français « Ici et maintenant ».

    Jim Thomson a été découvert en France avec la parution de son roman « 1275 âmes » (J.B Pouy en comptera 5 de plus), n°1000 de la Série noire (titre original : Pop 1280 et adaptation cinématographique de Tavernier dans « coup de torchon »).Plusieurs de ses romans, alors qu’il est mort dans l’indifférence aux Etats Unis, ont été adaptés au cinéma. En France, on peut citer aussi « Série noire » d’Alain Corneau.

    Cet auteur texan a été comparé à Céline et avait une vision apocalyptique du monde. Il a raconté sa vie dans Bad boy (1953). Il a travaillé avec Stanley Kubrick pour « Ultime razzia » et pour « Les sentiers de la gloire » (1955). On le voit apparaître dans le film « Farewell My Lovely » de Dick Richard qui lui a donné le rôle d’un juge trompé par son épouse. Il a écrit dans les Pulps d’où ont émergé les premiers auteurs du hard boiled qui ont inspiré le genre noire en France et « les arpenteurs du réel » auxquels fait allusion Daeninckx, qu’ils soient de Marseille ou d’ailleurs.

    David Goodis était reporter et explorer les bas-fonds urbains, se déguisant même en clodo. Il a mis en scène des anti-héros, galériens urbains qui se révoltent dans un sursaut de dignité humaine avant de sombrer définitivement dans le néant. Pour exemples quelques titres évocateurs: La nuit tombe, Epaves, Sans espoir de retour.. Il est l’auteur de « Ne tirez pas sur le pianiste adapté au cinéma par Truffaut en 1957.

    Un écrivain noir dans la Noire, Chester Himes qui, après avoir purgé sept ans de pénitencier aux USA pour braquage, s’installe en France où il rencontre Marcel Duhamel et écrit « La reine des pommes » en 1958 et « Fossoyeur Jones et Ed Cercueil », deux flics violents qui séviront dans une série de 9 romans. On peut citer aussi L’aveugle au pistolet, Affaire de viol et Fin du primitif. Aujourd’hui, un autre écrivain américain et noir vit en France. Il s’agit de Jake Lamar dont deux ouvrages sont publiés chez Payot et Rivages "Nous avions un rêve" (Thriller) et "Le caméléon noir" (noir). Il est né et a grandi à New York dans le Bronx. Il est journaliste diplômé de Harvard. Il était venu visiter la France en 1993 et s’y est établi. Le Caméléon noir est l’histoire d’un journaliste noir américain, Clay Robinette, épinglé pour une histoire de falsification de source d’information et recyclé dans l’enseignement. Son ami Reggie Brogus, obèse et ancien militant de la cause noire, trouve le cadavre nu d’une jeune femme blanche, une étudiante avec laquelle Clay a une liaison. Malgré les soupçons qui pèsent sur Brogus, Clay va se fourrer dans les ennuis pour couvrir son ami. L’autre roman est une anticipation de l’avenir policier et judiciaire de l’Amérique avec camps de rééducation des toxicos, exécutions télévisées des condamnés à mort de plus en plus nombreux, rétablissement de la pendaison par souci d’économie… et tout cela sous la houlette d’un attorney en passe de devenir le premier vice-président noir des Etats-Unis.

    Il y a en d’autres écrivains américains comme Mickey Spillane, inventeur de Mike Hammer, Erie Stanley Gardner, père de Perry Mason, Ed Mc Cain et son commissariat du 87ème district ou encore James Hadley Chase et ses 89 romans dont « Pas d’orchidées pour Miss Blandish, adapté au théâtre. On ne peut tous les citer. Il existe des dictionnaires du polar. Il y a aussi de bons libraires qui mettent même des fiches de lecture dans leurs livres.

     

    Evolution du roman policier en France :


    Le 20ème siècle, une pègre organisée s’est établie en France. Parmi les truands, des Corses mis en scène dans le décor parisien et notamment le quartier de Pigalle, qui devient le haut lieu de la drogue et de la prostitution. En France, alors qu’il devient un genre répandu chez les lecteurs, les auteurs et les éditeurs, le polar reste cantonné dans le giron de la capitale, Paris ou bien à l’étranger car les éditeurs choisissent le plus souvent d’éditer des traductions de romans américains.

    Pendant que, aux USA , le détective « hard boiled » ( dur à cuire) enquête dans le roman noir, la France se plonge dans le Milieu, le Mitan et ses truands hauts en couleurs avec leur langage argotique. C’est la belle époque des tractions avant et des gros coups, mais aussi des auteurs à succès alimentant avec leurs romans le grand écran avec des belles gueules d’acteurs : Jean Gabin, Eddy Constantine, Lino Ventura, Bernard Blier, Michel Constantin, …


    En 1953, Albert Simonin publie « Ne touchez pas au Grisbi », adapté au cinéma par Jean Beckert. Ce premier roman consacré à des truands vieillissants, sera suivi de deux autres : « Le cave se rebiffe » adapté au cinéma par Gilles Grangier en 1961, et « Grisbi or not Grisbi » adapté au cinéma par Georges Lautner sous un autre titre « Les tontons flingueurs » en 1963. Simonin a initié le lecteur à l’emploi de l’argot et a même écrit un dictionnaire de mots argotiques : « Petit Simonin illustré par l’exemple » ( édité en 1968) . Son ultime roman est « L’élégant » (1973).

    José Giovanni est d’origine corse. Il a connu la prison. Il a été incarcéré à 22 ans, condamné à mort puis sa grace a été obtenue par son père qui l’a toujours soutenu lors de son incarcération. Il devient écrivain à 34 ans. Son premier ouvrage « Le trou », écrit en prison, sort en 1958 et s’inspire de sa propre tentative d’évasion de la prison de la Santé. En 1960, il sera adapté au grand écran par Jacques Becker et à l’affiche, apparaissent Jean Keraudy et Michel Constantin. Le réalisateur décédera le 21 février 1960 sans assister à la sortie de ce film qui sera suivie, jusqu’en 1988, d’une longue filmographie pour le nouvel écrivain, scénariste et réalisateur, José Giovanni : Le nommé Rocca d’après le roman « L’excommunié », La loi du survivant, Le rapace, Un aller simple, Dernier domicile connu, La Scoumoune, Deux hommes dans la ville, Le gitan, Comme un boomerang, Les égouts de Paris, Une robe noire pour un tueur, Le Ruffian, Les loups entre eux, Mon ami le traître. Dans ces films, ont joué les plus grands acteurs français du genre : Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Paul Meurisse, Marcel Bozzufi, Annie Giradot… La même année que « Le trou », il sortait ses romans « Le deuxième souffle, Classe tous risques et l’excommunié.

    Après une adolescence agitée, José Giovanni a beaucoup écrit dans la série noire. Il a souvent décrit avec justesse et réalisme, le milieu carcéral et le monde des voyous. Il a été un auteur prolifique dans le genre policier et d’aventure dans une œuvre où est présente une dimension sociale et politique. Il s’est montré préoccupé par le devenir de la jeunesse et la délinquance. Il s’insurgeait contre toute violence « qui ne tient pas compte de la valeur d’un être humain » et considérait la pornographie comme dégradante et destructrice chez les jeunes. En 1995, il sort le roman « Il avait dans le cœur des jardins introuvables » (Chez Robert Laffont), qu’il adaptera au cinéma avec son ami Bertrand Tavernier. Le film sortira sous le titre « Mon père ». C’est l’histoire de José Giovanni et de son père, qui s’est battu pour que son dernier fils échappe à la peine capitale dans la France d’après-guerre. Il met en scène ce père qui gagne l’argent du procès en jouant par habitude, par nécessité et parce que c’est le meilleur moyen, pour lui, de gagner cet argent. Très présent dans le monde du polar, josé Giovanni participait à de nombreux évènements organisés en France. Ilest décédé le 21 avril 2004 à Lausanne. Il avait 80 ans et s’était marié avec Zazie, secrétaire de Bernard Queneau.

    Alphonse Boudard sait aussi de quoi il s’agit lorsqu’il parle de prison. Il a été maquisard pendant la dernière guerre et s’est reconverti ensuite dans le cambriolage, ce qui lui a valu de connaître les cellules de Fresnes. En 1962, il sort « La métamorphose des cloportes ». Une trentaine de romans suivront. Comme Simonin, il utilisera l’argot dans certains, comme « Les combattants du petit bonheur » ou « L’éducation d’Alphonse ». Il a travaillé pour le cinéma et la télévision avec de grands acteurs comme Jean Gabin, Alain Delon ou Simone Signoret.

    On peut citer aussi André Héléna (Les héros s’en foutent , Les flics ont toujours raison) , Pierre Lesou (Le doulos) et bien sûr Auguste Le Breton ( Du rififi chez les hommes, Rafles sur la ville) qui, à l’instar de Simonin, écrivit un dictionnaires « Argotez, argotez ».

     

    Le roman noir en France :


    « Le roman policier ne voit de mal que dans l’homme alors que le polar voit le mal dans la société » selon Jean-Patrick Manchette, né à Marseille.


    Deux noms vont marquer le roman noir français dans la deuxième moitié du 20ème siècle : Léo Malet avec son héros Nestor Burma et Frédéric Dard avec le commissaire San Antonio, affublé de l’inspecteur Bérurier comme faire-valoir.

    Léo Malet, connu comme poète surréaliste anar, a d’abord publié sous des romans populaires sous des pseudonymes (Frank Harding, Léo Latimer, Jean de Selneuves et Lional Doucet). En 1943, il sort sous son nom 120, rue de la Gare et invente le personnage de Nestor Burma, détective français inspiré de son confrère américain. Mlle Nadia Dhoukar, a fait un énorme travail sur Léo Malet chez Laffont. Elle nous dit :

    « Léo Malet (1909-1996) a toujours été passionné de mystères. Né à Montpellier d'un père employé de commerce et d'une mère couturière, il est élevé par son grand-père, tonnelier de son état, qui l'initie au socialisme de Jean Jaurès et à la littérature de Victor Hugo, de Maurice Leblanc et d'Alexandre Dumas. A huit ans, il écrit ses premiers romans ; à seize, il vit à Paris de petits boulots et de chapardage et se produit comme chansonnier au cabaret de La Vache enragée. André Breton l'introduit auprès des surréalistes et l'encourage à publier ses poèmes (Ne pas voir plus loin que le bout de son sexe, 1936; L'arbre comme cabane, 1937; ...Hurle à la vie, 1939). Déporté dans un camp de travail allemand, il revient à Paris huit mois plus tard et aborde le roman policier par des chemins buissonniers, servi par une plume acérée et des penchants libertaires. Il commence à publier des " polars " à l'américaine sous les pseudonymes de Frank Harding et Léo Latimes. C'est en 1943 qu'il signe sous son vrai nom 120, rue de la Gare, la première enquête de Nestor Burma, un " détective de choc " qui lui ressemble (signes particuliers: libre et aventurier) et qui lui survivra. Léo Malet est mort le 3 mars 1996, laissant une oeuvre placée sous le double sceau de l'humour et de la poésie. Cette nouvelle édition en quatre volumes des romans de Léo Malet suit pas à pas la biographie fictive de Nestor Burma. Le lecteur découvrira en lui l'un des personnages les plus originaux de toute la littérature policière ».


    Léo Malet, créateur de Nestor Burma aux éditions Robert Laffont, collection Bouquins.
    « Léo Malet est de retour. Curieux homme, vagabond, anarchiste, vendeur de journaux à la criée, surréaliste, puis inventeur de Nestor Burma, ce personnage de détective privé (signe particulier : libre et aventurier) qui lui ressemble tellement. Etrange écrivain, qui a influencé beaucoup de nos auteurs de policiers et donné un nouveau style, sensible et poétique, au roman noir. Francis Lacassin l’avait aidé pour la première publication de ses œuvres chez « Bouquins ». Aujourd’hui, c’est Nadia Dhoukar qui a veillé sur cette nouvelle édition. Elle a notamment rédigé une biographie de Léo Malet placée en début de volume et nous offre quelques textes (chansons, poèmes, nouvelles, articles) en best off… note de l’éditeur.

    Frédéric Dard, avec sa verve déjantée et son commissaire San Antonio, policier infaillible et tombeur de femmes, est un immense succès populaire et le nombre de sites qui lui sont dédiés est impressionnant. Il faut bien sûr citer l’inspecteur Bérurier, boulimique, gros, crasseux, libidineux, vulgaire et fort en gueule, mais virtuose du calembour, son épouse monumentale, Berthe, et son collègue Pinuche, minuscule, oublié et décalé. Dard fils a bien essayé de prendre la relève de Frédéric père en continuant à exploiter le filon paternel mais le charme est rompu. San Antonio restera orphelin. Frédéric Dard a su conquérir un large lectorat par un mélange subtil de burlesque jusqu’à l’extravagance et de rigueur dans l’intrigue dans des récits sûrs se déroulant sans détours inutiles et ménageant le suspense.

    Nous vous signalons un site à la fois très personnel et très documenté sur la bibliographie des San Antonio: http://www.crescenzo.nom.fr/san-antonio.html


    Pierre Boileau et Thomas Narcejac sont connus comme théoriciens du genre, notamment dans l’opus commun « Le roman policier » ou bien « Esthétique du roman policier et une machine à lire : le roman policier » de Narcejac seul. Ils ont collaboré avec succès en écrivant L’ombre et la proie (sous le pseudonyme de Allain Bouccarèje). Le film « Les diaboliques » réalisé par Henri -Georges Clouzot est une adaptation de leur roman « Celle qui n’était plus » sorti en 1952. Hitchcock a adapté un autre roman intitulé « D’entre les morts » en lui donnant le titre Vertigo/Sueurs froides. On peut citer « Les louves » mais aussi « Les victimes » qui, au début de l’intrigue, donne davantage d’importance à la victime.

    On peut citer aussi Jean Meckert qui a écrit, sous le pseudo de Jean Amila, dans la série noire : Y a pas de bon dieu en 1950, Le loups dans la bergerie, Noces de soufre, jusqu’à plus soif et langes radieux, La lune d’Omaha (Il y règle ses comptes avec la guerre). Après 1968, il invente le personnage d’un flic hippie surnommé Géronimo qui est « au service des victimes et pas au service des puissance » : Le grillon enragé, la nef des dingues, Contest-flic... Alain Demouzon écrit des romans utilisant le jargon du quidam (Quidam est un de ses livres paru en 1980) dans des atmosphères grises et pluvieuses. Après avoir abordé le genre noir avec son titre « Un coup pourri » et son héros le détective Placard , il écrit, en 1978, Adieu ma jolla, en hommage à Chandler… Georges J. Arnaud qui signe « ne tirez pas sur l’inspecteur » sous le pseudo de Saint-Gilles (1954), puis continue à écrire des romans noirs sous son nom dont « Le coucou » en 1978… Raf Valet avec Mort d’un pourri et Adieu Poulet…

    Ajoutons Pierre SINIAC né le 15 juin 1928 à Paris. Il a donc connu les deux guerres. C’était un auteur prolifique. Le grand public a pu faire sa connaissance avec l’adaptation cinématographique de son roman " Les Morfalous ", qui traitait déjà de l’héroïsme en temps de guerre. Il a obtenu le grand prix de la Littérature policière en 1981. De cet auteur, on peut citer " Illégitime défense ", son premier roman en 1958, " Monsieur cauchemar " en 1960, " L’unijambiste de la côte 284 ", " reflets changeants sur marre de sang ", " Femmes blafardes ", " Aime le maudit ", " Des amis dans la police ", " Le mystère de la sombre Zone " …. Il a inventé aussi les personnages étonnants de Luj Infernan et la Cloducque. Pierre SINIAC est mort dans l’indifférence et l’anonymat en mars 2002. On a découvert son corps le 11avril 2002 dans son HLM d’Aubergenville (Yvelines).  Il a écrit " la course du hanneton dans une ville détruite " (ou " Corvée de soupe " ) en 1994. Ce livre sera édité 4 ans après son décès. (Rivages/noir).

    Bien sûr la liste n’est pas exhaustive et, pour les autres,  je vous renvoie à l'excellent dictionnaire des littérarures policières ( deux tomes) écrit par Claude Mesplède.

    Après 1968, apparaît le néo-polar dont le chef de file est Jean-Patrick Manchette…

    A suivre…

     


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