• Une littérature orale...

    Des conteurs sur le cours Julien à Marseille les 27 et 28 juin 2009

     

     

    C’est aussi de la littérature…

     Les gens qui prennent le temps d’un apéritif ou d’un café dans un bar de quartier sont les auditeurs d’un littérature de l’instant. C’est une littérature orale qui met en œuvre des mots de conteurs avec les couleurs d’un accent et des talents de comédien. On se surprend même à se dire : " Tiens une métaphore ! " " Tiens un euphémisme ! " " Tiens une ellipse ! " Et oui, des procédés de rhétorique dans un lieu populaire !

    Vous prendriez bien un petit apéro ?

    A Marseille, dans un bar de quartier où je traînais dans ma jeunesse, j’ai entendu une histoire racontée par un docker. Il a commencé par commander une Mauresque (mélange de pastis et d’orgeat dans un petit verre laissant peu de place à l’eau). Et puis il a dit : " Vous savez ce qui est arrivé hier sur les quais?" Le chœur des piliers du bistrot a alors répondu à l’unisson "  Non ! "...

    Lui : Je vais vous le raconter. Je me suis levé vers 6 Heures et ma mère m’a préparé le petit déjeuner . J’ai pris ma douche et , bien sûr, elle a fouillé mon " larfeuille "pour ramasser mes noisettes et  les porter à l’Ecureuil ( Traduire : Elle a pris mon argent dans mon portefeuille pour le placer à la Caisse d’Epargne). J’ai déjeuné et je suis allé sur les quais. J’ai pointé à l’entrée comme d’habitude . J’ai rencontré le grand Gérard et mon ami Doumé. Nous avons discuté un moment en attendant les consignes.

    Le Chœur : Et alors ?

    Lui : Le Chef m’a dit que je devais participer au déchargement d’un bateau qui était en train d’accoster…

    Le chœur : Et alors ?...

    Lui : J’ai pris le temps de boire mon café...

    Le Chœur : Et alors ?

    Lui : Et puis je me suis rendu au môle 4 . C’était un gros cargo. Le grutier était déjà dans sa cabine et il avait commencé à faire descendre les containers.

    Le Chœur : Et alors ?

    Lui : Le grand Gérard, il avait commencé à décharger le premier container et un deuxième arrivait.

    Le Chœur : El alors ?

    Lui : Et bien j’ai dit à mon ami Louis que le container balançait.

    Le chœur : Et alors? ...

    Lui : Le container, il balançait toujours…

    Le chœur : Et alors ?

    Lui : Et bien le grand Gérard, il était dessous…

    Le chœur : Et alors ?

    Lui : Le container balançait toujours et je m’inquiétais d’autant plus que j’avais entendu dire qu’il était arrivé qu’un container tombe…

    Le chœur : Et alors?...

    Lui : J’ai dit à mon ami Louis que j’étais inquiet. Louis ne s’inquiète jamais dans le boulot. Ses inquiétudes, il les réserve à sa femme avec qui il est toujours aux petits soins. Et même qu’un jour….

    A ce moment là, l’un des piliers vacillants de comptoir s’impatienta et dit au narrateur :  Tu nous les brises avec Louis. Tu vas la finir ton histoire !...  

    Le narrateur prit le temps de terminer son verre et annonça en tournant le dos à l’assistance : "  Le lendemain, la quête ! " avant de demander un autre pastis.

    Vous aimeriez peut-être savoir ce qu’il allait dire sur le prénommé Louis et ses inquiétudes conjugales. C’est une autre histoire.

    Vous devez vous dire :   " mais pourquoi il raconte cette histoire de comptoir ? "

    D’abord, parce que le docker était corse et qu’il la racontait mieux que je ne vous la rapporte. Ensuite parce qu’elle illustre l’existence d’une forme de littérature orale vivante. Ce narrateur interpelle l’auditoire et capte son attention en le questionnant : "  Vous savez ce qui est arrivé hier sur les quais ?" Cette question laisse pressentir un drame. Par une entame humoristique sur les larcins de sa mère, il désoriente son public qui  attend de savoir ce qui s’est passé de dramatique. Ensuite, il fait durer le suspense, usant même de la digression. Il termine par de l’humour noir en faisant une ellipse laissant à son auditoire imaginer tout ce qui a suivi. Il faut alors deviner la suite : le container est tombé sur le grand Gérard qui est décédé. Le lendemain, ses camarades faisaient donc la quête pour la famille. Le drame n’exclut pas l’humour.
    Avec cette chronique de comptoir de bar, j’avais déjà des décors et des ingrédients de polar: l’humour, le suspense, la mort, l’alcool, le bar de quartier, le travail et l’entraide sur les quais.. En allant plus loin, on pouvait imaginer un roman social avec une grève des dockers, un meurtre derrière cet accident de travail et des magouilles sur le Port autonome de Marseille... et un magnifique tableau d’Antoine Serra ou un poème de Louis Brauquier.

    A l’époque, de nombreux dockers étaient corses et, parmi eux, ce narrateur qui , sans avoir fait ses humanités, avait le sens du dialogue et du récit. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la trouvaille spontanée de la fin elliptique : " Le lendemain, la quête ! "…

     

    " C'est que le langage est ellipse ", disait Sartre dans Situations II. L’auditeur est la cible autant que le complice. Faire appel à l’imaginaire, n’est-ce pas l’effet recherché par les écrivains ? Nous étions en 1968. J’écoutais un conteur imprégné d’une littérature orale qui ne s’apprend pas à l’école et qui usait d’une figure de style. Dans son récit (pourtant dit en langue française) , j’avais entendu une musique que je connaissais et que je n’ai identifiée que bien plus tard, lorsque j’ai fait le lien avec les traditions orales corses. C’est dans ces formes anciennes mais toujours vivantes que des auteurs corses contemporains vont puiser.

     

    Aujourd’hui 27 juin et demain 28 juin, vous pouvez aller à la rencontre de conteurs sur le cour Julien à Marseille… Il y aura un FESTIVAL DES CONTES VOYAGEURS.

     

    LES CONTES CORSES SERONT PRESENTS : racontés (sous la tente )le SAMEDI  dans l'après-midi (où différents conteurs se succèderont ) 

     

    DIMANCHE:   l'album bilingue "la légende du brocciu" sera   présenté   A noter la présence de l'association "contes en toutes langues " qui œuvre  dans divers départements du sud de la FRANCE ) . Vous y rencontrerez  Francette Orsoni.      Ce sera 'occasion d'une promenade en famille ou en solitaire car " le conte n'a pas d'âge ,  il est pour tous les âges ": telle est la devise de la BALEINE QUI DIT VAGUES  et......  organise

    Pour en savoir plus : consulter http://labaleinequi ditvagues. org/spip 

    Le programme :

    Samedi 27 ET dimanche 28 juin - 10h-20h

    Sous l’olivier - Impromptus contés

    Sur la place - 9e salon du livre de conte grande librairie / éditeurs spécialisés / livres bilingues

    Sous la tente - Ateliers (matin)

    SAM - La fôret en papier - Le magasin des merveilles « pour créer sa potion imaginaire »

    DIM - Jany TROUSSET - livre association "contes en toutes langues"

    Sous la tente - Contes (après-midi) R. AKBAL - P. ALLARI - L. DAYCARD - A. DIOP DANY - P. FAULIOT K. GUENNOUN - S. JAMES - J. LA BOUCHE - J.N. MABELLY - F. ORSONI

    À La Baleine - Rencontres et signatures (16-17H30)

    SAM - Pascal FAULIOT. Conteur, spécialiste des contes d’Asie, de la transmission orale au décryptage symbolique

    DIM - Francette ORSONI. Auteure, conteuse qui croise les pratiques artistiques et porte le festival « Conteurs dans la ville » à Ajaccio

    Dimanche 28 juin - Clôture - 18h

    À La Baleine - Fatigues ! Fatigues ! par Luigi RIGNANESE et le quatuor à contes Un conte merveilleux d’amour compliqué… et trois vieilles qui interviennent pour que ça se termine bien… (Public familial / réservation obligatoire)

     


     


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