-
Par Difrade le 5 Juillet 2009 à 17:08
A propos de la lecture d’un texte par un acteur, à l’occasion du Centenaire René Char et du texte inaugural de Daniel Mesguich en lien avec l'Ecole des lettres , Hélèné Boutin avait eu un entretien avec l’acteur sur le site Educnet – section théâtre… L’article est du 19 juin 2006 mais nous vous y revenons pour sa valeur pédagogique.
Extraits de l’entretien :
"Pour tout texte, quel qu’il soit, au fond de l’encrier, ou de l’ordinateur, il y avait d’abord une voix. Une lecture rend la voix à la voix : ce qui est venu d’une voix retourne donc à la voix. La voix d’un autre. Aucun livre, aucun imprimeur au monde ne rendra cette voix si quelqu’un d’autre ne s’en mêle pas. Voilà ce qui justifie une lecture, ce qui en constitue le statut et l’autorisation.
Le lecteur silencieux est seul. Bien sûr, il dialogue avec son livre, il entre dans le texte, mais ceci est insuffisant. Une lecture, grâce à la voix et, peut-être aussi, à l’apparence du lecteur/acteur, se saisit du texte, sans mise en scène, sans maquillage, sans mouvement, sans costume, sans effet de lumière particulier - une lecture suppose simplement une table, une chaise, peut-être un micro et un livre avec un lecteur qui lit - et, avec ce minimum-là qui n’est pas du théâtre, montre au lecteur un autre lecteur, autrement dit lui-même. Tout à coup le lecteur devient la mesure de toute chose. Ce qui se donne à lire n’est pas le livre mais le livre lu. C’est un pont, le livre fait la moitié du chemin, est apprivoisé. Le lecteur/acteur dans le texte, faisant corps au texte, change le goût du livre et efface une grande partie de l’intimidation de la lettre, littéralement. Se voir soi-même lire le livre ne remplace pas la lecture silencieuse et intime, mais constitue un acte très fort, d’une égale légitimité. J’imagine une société où les citoyens se liraient sans cesse des livres et où cet acte serait naturel et normal.
Ne pas confondre lecture et théâtre.
Aujourd’hui nous assistons à une floraison de lectures, " ça lit " de tous les côtés. Pour des raisons économiques, les lectures remplacent le théâtre : cela coûte bien moins cher d’avoir un seul acteur qui lit un livre que dix acteurs qui l’ont appris par cœur et répété deux mois, qui ont besoin de lumière, de costumes. L’inflation des lectures à laquelle nous assistons menace le théâtre... si toutefois la place respective de chacun n’est pas repensée.
Je lis moi-même beaucoup en public, par plaisir, et parce que j’aimerais être de ceux qui, un peu comme les gens de théâtre d’avant-guerre (Cocteau, Guitry...), avaient un pied dans la littérature et un autre dans le théâtre, le cinéma ou la danse. Je trouve tout à fait normal pour moi de fréquenter autant d’écrivains que d’acteurs. Après la guerre, les arts se sont spécialisés. Peu à peu la mouvance du théâtre populaire a fermé la porte aux poètes, aux peintres. De son côté le cinéma a subi positivement, mais aussi négativement, la Nouvelle Vague : théâtre, peinture, textes, ont tendu à disparaître au cinéma.Lecture régressive ?
Nous sommes en train de réinventer l'hypocrites du pré- théâtre grec. Le théâtre a commencé avec Eschyle décidant de placer non plus une seule personne devant le chœur, mais deux acteurs entrant en dialogue. Cet écart entre les hypocrites a fait naître la scène. Trop souvent, les lectures pratiquées aujourd'hui restent en amont du théâtre ; elles sont le signe d'une réelle régression car elles suscitent souvent une ferveur presque religieuse : l'acteur/lecteur est pris pour un pasteur, un passeur lisant La Parole. L'auteur importe peu. Ecriture et parole sont confondues : le prêtre ne parle pas, il est parlé par l'écriture. Tout à coup, la parole semble devenir pleine. Alors que la poésie doit, au contraire, nous faire suspecter la langue, nous faire entendre d'autres mondes. Sa lecture devrait provoquer un « dé-collage » de la parole et de l'écriture, un « dé-tatouage ».
Poésie et lecture
La poésie contemporaine appelle la lecture : les poèmes sont des voix glacées dans l'encre qui doivent être libérées du livre-objet par de la voix. La poésie est un appel, tout simplement. Même la poésie très écrite de Mallarmé se lit et se dit : il y a une voix derrière elle. Dans les textes d 'Hélène Cixous, l'indécidable (entre le féminin et le masculin par exemple) prend une large place et leur lecture suscite d'autres formes d'indécidable, de pluriels… pourtant rien ne peut échapper à la voix. Les phrases ou les vers les plus abstraits sont encore de la voix parce que la poésie suppose rythme, longues et brèves, jeu des assonances et des allitérations, ce qu'un lecteur « à l'œil », tenant le livre à la main ne lit pas, n'entend pas.
Pour accéder au dossier complet sur cet événement à portée nationale, voir notre partie "pilotage national" au lien ci-dessous…
http://www2.educnet.education.fr/sections/theatre/pilotage/evenements-nati/centenaire-rene
… et, pour illustrer nous vous proposons « Le bateau ivre » de Rimbaud dit par Gérard Philippe ( source : Youtube ).
votre commentaire -
Par Difrade le 27 Juin 2009 à 16:34
Des conteurs sur le cours Julien à Marseille les 27 et 28 juin 2009
C’est aussi de la littérature…
Les gens qui prennent le temps d’un apéritif ou d’un café dans un bar de quartier sont les auditeurs d’un littérature de l’instant. C’est une littérature orale qui met en œuvre des mots de conteurs avec les couleurs d’un accent et des talents de comédien. On se surprend même à se dire : " Tiens une métaphore ! " " Tiens un euphémisme ! " " Tiens une ellipse ! " Et oui, des procédés de rhétorique dans un lieu populaire !
Vous prendriez bien un petit apéro ?
A Marseille, dans un bar de quartier où je traînais dans ma jeunesse, j’ai entendu une histoire racontée par un docker. Il a commencé par commander une Mauresque (mélange de pastis et d’orgeat dans un petit verre laissant peu de place à l’eau). Et puis il a dit : " Vous savez ce qui est arrivé hier sur les quais?" Le chœur des piliers du bistrot a alors répondu à l’unisson " Non ! "...
Lui : Je vais vous le raconter. Je me suis levé vers 6 Heures et ma mère m’a préparé le petit déjeuner . J’ai pris ma douche et , bien sûr, elle a fouillé mon " larfeuille "pour ramasser mes noisettes et les porter à l’Ecureuil ( Traduire : Elle a pris mon argent dans mon portefeuille pour le placer à la Caisse d’Epargne). J’ai déjeuné et je suis allé sur les quais. J’ai pointé à l’entrée comme d’habitude . J’ai rencontré le grand Gérard et mon ami Doumé. Nous avons discuté un moment en attendant les consignes.
Le Chœur : Et alors ?
Lui : Le Chef m’a dit que je devais participer au déchargement d’un bateau qui était en train d’accoster…
Le chœur : Et alors ?...
Lui : J’ai pris le temps de boire mon café...
Le Chœur : Et alors ?
Lui : Et puis je me suis rendu au môle 4 . C’était un gros cargo. Le grutier était déjà dans sa cabine et il avait commencé à faire descendre les containers.
Le Chœur : Et alors ?
Lui : Le grand Gérard, il avait commencé à décharger le premier container et un deuxième arrivait.
Le Chœur : El alors ?
Lui : Et bien j’ai dit à mon ami Louis que le container balançait.
Le chœur : Et alors? ...
Lui : Le container, il balançait toujours…
Le chœur : Et alors ?
Lui : Et bien le grand Gérard, il était dessous…
Le chœur : Et alors ?
Lui : Le container balançait toujours et je m’inquiétais d’autant plus que j’avais entendu dire qu’il était arrivé qu’un container tombe…
Le chœur : Et alors?...
Lui : J’ai dit à mon ami Louis que j’étais inquiet. Louis ne s’inquiète jamais dans le boulot. Ses inquiétudes, il les réserve à sa femme avec qui il est toujours aux petits soins. Et même qu’un jour….
A ce moment là, l’un des piliers vacillants de comptoir s’impatienta et dit au narrateur : Tu nous les brises avec Louis. Tu vas la finir ton histoire !...
Le narrateur prit le temps de terminer son verre et annonça en tournant le dos à l’assistance : " Le lendemain, la quête ! " avant de demander un autre pastis.
Vous aimeriez peut-être savoir ce qu’il allait dire sur le prénommé Louis et ses inquiétudes conjugales. C’est une autre histoire.
Vous devez vous dire : " mais pourquoi il raconte cette histoire de comptoir ? "
D’abord, parce que le docker était corse et qu’il la racontait mieux que je ne vous la rapporte. Ensuite parce qu’elle illustre l’existence d’une forme de littérature orale vivante. Ce narrateur interpelle l’auditoire et capte son attention en le questionnant : " Vous savez ce qui est arrivé hier sur les quais ?" Cette question laisse pressentir un drame. Par une entame humoristique sur les larcins de sa mère, il désoriente son public qui attend de savoir ce qui s’est passé de dramatique. Ensuite, il fait durer le suspense, usant même de la digression. Il termine par de l’humour noir en faisant une ellipse laissant à son auditoire imaginer tout ce qui a suivi. Il faut alors deviner la suite : le container est tombé sur le grand Gérard qui est décédé. Le lendemain, ses camarades faisaient donc la quête pour la famille. Le drame n’exclut pas l’humour.
Avec cette chronique de comptoir de bar, j’avais déjà des décors et des ingrédients de polar: l’humour, le suspense, la mort, l’alcool, le bar de quartier, le travail et l’entraide sur les quais.. En allant plus loin, on pouvait imaginer un roman social avec une grève des dockers, un meurtre derrière cet accident de travail et des magouilles sur le Port autonome de Marseille... et un magnifique tableau d’Antoine Serra ou un poème de Louis Brauquier.
A l’époque, de nombreux dockers étaient corses et, parmi eux, ce narrateur qui , sans avoir fait ses humanités, avait le sens du dialogue et du récit. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la trouvaille spontanée de la fin elliptique : " Le lendemain, la quête ! "…
" C'est que le langage est ellipse ", disait Sartre dans Situations II. L’auditeur est la cible autant que le complice. Faire appel à l’imaginaire, n’est-ce pas l’effet recherché par les écrivains ? Nous étions en 1968. J’écoutais un conteur imprégné d’une littérature orale qui ne s’apprend pas à l’école et qui usait d’une figure de style. Dans son récit (pourtant dit en langue française) , j’avais entendu une musique que je connaissais et que je n’ai identifiée que bien plus tard, lorsque j’ai fait le lien avec les traditions orales corses. C’est dans ces formes anciennes mais toujours vivantes que des auteurs corses contemporains vont puiser.
Aujourd’hui 27 juin et demain 28 juin, vous pouvez aller à la rencontre de conteurs sur le cour Julien à Marseille… Il y aura un FESTIVAL DES CONTES VOYAGEURS.
LES CONTES CORSES SERONT PRESENTS : racontés (sous la tente )le SAMEDI dans l'après-midi (où différents conteurs se succèderont )
DIMANCHE: l'album bilingue "la légende du brocciu" sera présenté A noter la présence de l'association "contes en toutes langues " qui œuvre dans divers départements du sud de la FRANCE ) . Vous y rencontrerez Francette Orsoni. Ce sera 'occasion d'une promenade en famille ou en solitaire car " le conte n'a pas d'âge , il est pour tous les âges ": telle est la devise de la BALEINE QUI DIT VAGUES et...... organise
Pour en savoir plus : consulter http://labaleinequi ditvagues. org/spip
Le programme :
Samedi 27 ET dimanche 28 juin - 10h-20h
Sous l’olivier - Impromptus contés
Sur la place - 9e salon du livre de conte grande librairie / éditeurs spécialisés / livres bilingues
Sous la tente - Ateliers (matin)
SAM - La fôret en papier - Le magasin des merveilles « pour créer sa potion imaginaire »
DIM - Jany TROUSSET - livre association "contes en toutes langues"
Sous la tente - Contes (après-midi) R. AKBAL - P. ALLARI - L. DAYCARD - A. DIOP DANY - P. FAULIOT K. GUENNOUN - S. JAMES - J. LA BOUCHE - J.N. MABELLY - F. ORSONI
À La Baleine - Rencontres et signatures (16-17H30)
SAM - Pascal FAULIOT. Conteur, spécialiste des contes d’Asie, de la transmission orale au décryptage symbolique
DIM - Francette ORSONI. Auteure, conteuse qui croise les pratiques artistiques et porte le festival « Conteurs dans la ville » à Ajaccio
Dimanche 28 juin - Clôture - 18h
À La Baleine - Fatigues ! Fatigues ! par Luigi RIGNANESE et le quatuor à contes Un conte merveilleux d’amour compliqué… et trois vieilles qui interviennent pour que ça se termine bien… (Public familial / réservation obligatoire)
votre commentaire -
Par Difrade le 23 Juin 2009 à 16:34
Boris Vian, une légende depuis 50 ans...
Le 23 Juin 1959, au cinéma parisien Le Marboeuf, Boris Vian s’effondrait sur son siège à la première du film « J’irai cracher sur vos tombes », adaptation qu’il jugeait médiocre de son livre et pour laquelle il n’avait pu obtenir que son nom n’apparaisse pas au générique. Victime d’une crise cardiaque, il décède lors de son transport vers l’hôpital. Il n’avait que 39 ans et la jeunesse des sixties s’est emparée de son œuvre. Cinquante ans ont passé qui nous ont fait basculer dans un autre siècle. Philippe Kobly lui a consacré un « portrait-roman », film intitulé "Boris Vian, la vie jazz " et programmé le 18 juin sur Arte en rappelant que : « Boris Vian reste un personnage difficile à cerner, d’abord parce qu’il était multiple et hérissé de défenses – ses poses de dandy, ses gestes provocateurs. Mais surtout parce que depuis sa mort s’est forgée une légende : la mélancolie de L’écume des jours , la fièvre des nuits de Tabou ( célèbre club de St Germain des près ), le scandale de J’irai cracher sur vos tombes …» et, en souvenir du trompettiste de jazz qu’était aussi l’écrivain , il ajoure « Pour lui, le jazz, c’était plus qu’une musique, c’était son oxygène, le sang qui coulait dans ses veines, une manière de vivre, de penser, de sentir. Il l’a accompagné toute sa vie, cristallisant son désir de liberté, influençant jusqu’à son écriture…»
De santé fragile depuis l’enfance, il avait choisi de vivre dans l’urgence. A 12 ans il avait souffert de rhumatisme articulaire aigu qui était à l’origine de sa maladie cardiaque. Boris Vian, l’homme pressé, était dès lors en avance sur tout. Même sur la mort, explique sa seconde femme, Ursula Vian-Kübler.
A sa première épouse Michèle, il avait dédié « L’écume des jours » où apparaît le personnage du philosophe « Jean-Sol Partre ». C'est un ouvrage noir publié en 1947, classé à la 10e place des 100 meilleurs livres du XXe siècle.
Boris Vian , écrivain iconoclaste et traducteur de polars noirs made in US pour la Série noire, a, en précurseur, influencé des auteurs du néo-polar.
Sous le pseudonyme de Vernon Sulllivan, il a écrit deux "polars" à la mode du roman noir américain: « J'irai cracher sur vos tombes » et « Et on tuera tous les affreux »
Hommage de Louis Cabanes relevé sur le site Bakshish : « Boris Vian est au XXème siècle ce que Janus fut à la mythologie romaine. Un dieu des commencements, du passage de tout état à un autre : du roman à la poésie, du théâtre aux nouvelles, de l’essai à la chanson. Toujours au galop. Le siècle au pas de course. Mort à 39 ans, il s’amusait à greffer ses dons sous différents noms, en anagrammes, comme autant de visages pour exprimer son art multiple. Un jour Bison Ravi, l’autre Baron Visi, parfois Brisavion. Avec pour cible, le cloître des conservatismes de l’après-guerre dont il fût l’un des torpilleurs au côté des surréalistes et de son ami « Jean-Sol Partre »
votre commentaire -
Par Difrade le 2 Juin 2009 à 16:59
Entretien avec Georges Bataille à propos de son ouvrage « La littérature et le mal ». Archives INA, 1958.
Marguerite Yourcenar Le paradoxe de l'écrivain - extrait d'une série d'entrevues données en 1981.
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique