• Approche personnelle sur réalités et fictions policières - partie 1/2.


    Le terme « Flic » est fréquent dans les romans policiers. Son origine est-elle connue ? J’ai une explication. Sous l’Ancien régime, l’armée engageait des soldats de métiers français ou étrangers. A l’époque de Louis XIV, le lieutenant La Reynie, ancêtre des Préfets de police, recruta un bataillon d’Ecossais pour remplacer le guet moyenâgeux. C’est ce bataillon d’Ecossais qui était chargé d’assurer la sécurité de Paris. Ils étaient munis d’une sorte de badine appelée « Flick » en patois écossais. Les Parisiens les ont appelés du nom de ce bâton, devenu leur signe distinctif et l’emblème de leur pouvoir de police. Il y a d’autres sobriquets comme «bourre, cogne, argousin, roussin, poulet, condé, keuf, babylone, schmit… » Celui que je préfère est de Marseille. Il n’est pas très connu si ce n’est par de vieux truands marseillais. Il s’agit de «baffi » qui en argot signifie aussi moustaches et correspond à l’image jaunie des policiers qui, tels les Dupont et Dupont de Hergé, se déplacent par deux et ont tous des moustaches. On dit 22 les flics, car, selon l’adage les flics vont par deux. C’est le minimum requis pour intervenir en toute sécurité. Toutefois, le policier peut agir seul car des enquêtes ou des parties d’une enquête ne nécessitent qu’un travail individuel. Ensuite l’effectif engagé va dépendre du travail à effectuer et des risques encourus.

    Pour mémoire, le terme " police " recouvre deux concepts étroitement liés : d’une part, l’ensemble des prescriptions imposés aux citoyens en vue de la sauvegarde de l’ordre public ; d’autre part, l’ensemble des services chargés de faire respecter ces prescriptions. Dans une démocratie, les prescriptions sont votées par le Parlement et le sénat (les lois) ou édictées par des élus qui sont détenteurs d’un pouvoir exécutif local ou national (les règlements). La démocratie est le seul cadre légitime de l’action des policiers.

    De façon liminaire, la mission de police judiciaire en droit commun est accomplie en France principalement par trois services. Deux d'entre eux, qui sont appelés l'un «sécurité publique » et l'autre «police judiciaire » appartiennent à la police nationale, administration civile dépendant organiquement et fonctionnellement du ministère de l’intérieur. Le troisième est la gendarmerie nationale, corps militaire dépendant organiquement du ministre de la Défense, mais dont l’emploi policier et judiciaire relève de la responsabilité du ministre de l’intérieur.

    En ce qui concerne le personnel actif de la police nationale, il a fait dans les années 1990 l’objet d’une réforme importante qui a réuni les corps de la tenue et des civils, séparés jusque là. Les appellations d’inspecteur de police (civil) et d’officier de paix (tenue ) ont été supprimées. Aujourd’hui, on distingue les grades suivants : gardien de la paix, brigadier, major, lieutenant, capitaine, commandant, commissaires et contrôleurs généraux. Le personnel chargé des missions judiciaires se divise en officiers de police judiciaire (O.P.J.) et agents de police judiciaire (A.P.J.). Donc, en marge de la hiérarchie administrative, il existe des habilitations données par la Justice. Des policiers sont Agents de police judiciaire et d’autres Officiers de police judiciaire habilités dans le ressort local, régional ou national de leur mission judiciaire. Seul l’OPJ peut user des mesures coercitives (garde à vue, fouille, perquisition.) et comminatoires (réquisitions…) Seul, il peut exécuter les commissions rogatoires des juges d’instruction. L’APJ assiste les OPJ. Il peut dans le cadre d’enquêtes préliminaires et de flagrant délit procéder à des investigations et des auditions sans user de moyen coercitif.
    Tous les policiers sont APJ dans le ressort de leur mission et l’habilitation comme OPJ peut être donnée à partir du grade de gardien de la paix.

    Sans entrer dans les détails, il y a trois cadres juridiques des enquêtes judiciaires. D’abord, il y a l’enquête de flagrant délit… L’infraction vient tout juste de se commettre et le policier dispose de quelques jours pour enquêter avec tous les moyens coercitifs que lui confère le code de procédure pénale. Il peut fouiller à corps, mettre en garde à vue, perquisitionner, réquisitionner par écrit… mais tout cela avec l’obligation d’avertir le Procureur de la république ou l’un de ses substituts et de le tenir informer du déroulement de la garde à vue et de l’enquête
    Ensuite, lorsqu’il n’y a pas flagrance, c’est le Procureur de la République qui doit ordonner par écrit l’enquête dite préliminaire. L’enquêteur ne peut pas interpeller par la force mais peut user des prérogatives de la garde à vue et perquisitionner avec l’assentiment du mis en cause. Dans ce cas, le mis en cause est convoqué. S’il ne se présente pas à la convocation, le Procureur peut ordonner son interpellation par la force. Il faut d’abord constater le refus de se présenter à la convocation et l’absence de motif valable pour la carence.
    Enfin, l’enquête sur commission rogatoire qui est délivrée par un juge d’instruction dans la mesure où une information judiciaire a été ouverte par le Procureur de la République et que le juge en est saisi. C’est le magistrat instructeur qui prescrit, par délégation de pouvoir, des actes d’enquêtes avec un délai d’exécution. Pour agir hors de France, un OPJ ne peut le faire que sur commission rogatoire internationale délivrée par un Magistrat et avec l’accord du pays étranger reçu par voie diplomatique. Il sera alors assisté sur place par un policier du pays d’accueil qui sera seul habilité à exercer les actes de procédure demandés dans la C.R.I (Commission Rogatoire Internationale )

    Dans le cadre de délits et crimes de droit commun, la garde à vue est de 24 H heures renouvelable pour une deuxième période de 24 Heures. Les délais sont plus longs jusqu’à quatre jours pour les affaires de stupéfiants et de blanchiment. En France, il n’existe pas de mandat de perquisition. Par contre, il existe des mandats permettant des interpellations et des incarcérations : ce sont les mandats d’amener et les mandats d’arrêts délivrés par les magistrats.

    Le travail judiciaire du policier est contrôlé à plusieurs niveaux. Il fait un métier hiérarchisé. D’abord, il est au sein d’un groupe avec un chef de groupe. Au-dessus, à chaque échelon des services, il y a un chef. Cette hiérarchie administrative, à chaque étage des structures internes, veut être renseignée, donne des directives, surveille les fonctionnaires et évalue leur travail. Sur les seuls actes qui relèvent de sa décision, l’OPJ engage sa responsabilité A cet égard, même si l’OPJ est soumis à un pouvoir hiérarchique par ses fonctions administratives et au pouvoir décisionnel des Magistrats par ses missions judiciaires, on ne peut lui imposer l’usage des moyens coercitifs comme une interpellation, une mise en garde à vue, une perquisition ou une saisie judiciaire en dehors de prescriptions écrites faites par un magistrat. Toutefois, de façon plus générale, il ne peut et ne doit agir que dans la légalité républicaine, «pour et en vertu des lois de la République». Il doit donc se refuser à tout acte illégal. Il est responsable du placement en garde à vue et de son déroulement.

    Pourquoi cette présentation succincte ? Simplement pour mettre en évidence que, contrairement aux héros des polars, un policier n’est pas un électron libre : il agit en fonction de lois votées et de règlements, sous la direction d’une hiérarchie et sur les prescriptions des magistrats. Lorsqu’il engage sa responsabilité et en cas d’infraction ou de faute professionnelle, il risque des sanctions judiciaires aggravées par sa qualité et des sanctions administratives qui vont du simple avertissement jusqu’à l’exclusion temporaire ou définitive. Les devoirs et les manquements des policiers font l’objet d’un code de déontologie. Le respect de ce code fait l’objet d’enquêtes administratives. Ceux qui ont lu Vargas et Mankel (pour en citer deux) auront noté que les commissaires Adamsberg et Wallander, comme d’autres héros de papier, ont des collaborateurs. C’est conforme à la réalité. Le policier n’est pas un solitaire. Tout ne s’apprend pas dans les livres et c’est vrai pour le métier de policier. Je reviens à Wallander. C’est son collègue Rydberg qui a fait de lui un policier en lui apprenant à poser les bonnes questions et l’art difficile de déchiffrer le lieu d’un crime. Il continue des conversations silencieuses avec son maître lorsque, dans une enquête complexe, il ignore comment orienter son travail.

    Comme dans le roman, l’enquête naît de la violation de l’ordre représenté par la loi et a pour but son rétablissement par l’arrestation du mis en cause. Pour agir sur le plan judiciaire, le policier doit, en premier lieu, être en présence d’une infraction, c’est-à-dire d’un délit ou d’un crime. Dans le cas d’un homicide, le crime est défini dans le Code pénal qui rassemble toutes les infractions avec leurs éléments constitutifs que sont l’élément légal (existence d’une loi ) l’élément matériel (l’acte commis) et l’élément moral. Pour que l’infraction existe juridiquement, il ne suffit pas qu’un acte matériel soit commis, il faut encore que cet acte ait été une œuvre de la volonté de son auteur. Les Anglais appelle l’élément moral, la volonté criminelle. Dans la loi, cet élément se retrouve sous les termes employés de «volontairement, frauduleusement, sciemment, à dessein, avec préméditation… » Les infractions sont de trois niveaux correspondant à trois niveaux de juridiction judiciaire : en partant de la plus vénielle, la contravention (du ressort du Tribunal de police), le délit (du ressort des tribunaux correctionnels) et le crime (du ressort des cours d’assises). Seules les infractions correctionnelles et criminelles permettent aux policiers d’user de moyens coercitifs tels que la perquisition et la garde à vue.

    Donc la première question que se pose le policier pour agir est «suis-je en présence d’une contravention, d’un délit ou d’un crime ? » Et la deuxième : "Dans quel cadre juridique dois-je agir ? Un flagrant délit ou une enquête préliminaire ?" La question se posera ensuite de savoir si les instructions écrites du Parquet ou l’ouverture d’une information judiciaire sont nécessaires. Dans ce dernier cas, c’est le Parquet qui en décidera. Le policier a plusieurs bréviaires : le code pénal qui contient les infractions condamnables en définissant pour chacune les éléments constitutifs dont j’ai parlé mais aussi les peines encourues. Dans la pratique, l’OPJ doit suivre les prescriptions du Code de procédure pénale qui édicte les règles des actes de l’enquête. Nous avons déjà cité le code de déontologie.

    Dans la réalité policière, l’enquêteur et ses collaborateurs savent immédiatement ce qu’ils doivent faire, se répartissent les tâches, en discutent entre eux, mais aussi avec un chef de service et des magistrats. L’enquêteur doit se trouver d’abord en présence de l’élément matériel et de l’élément légal pour ensuite, dans le cadre juridique adéquat, identifier un suspect et le confondre en établissant l’élément moral de l’infraction. En charge d’un délit ou d’un crime, il faut toujours avoir en tête ce que j’appelle le cri du poulet à l’aube d’une nouvelle enquête, soit le QQOQCP, moyen mnémotechnique pour se rappeler qu’on doit s’interroger sur le Quoi, le Quand, le Où, le Qui, le Comment et le Pourquoi. Chaque réponse peut entraîner d’autres questions. Il faut aller jusqu’au bout des interrogations, tirer le fil d’une pelote mais la pelote peut être faite de plusieurs fils. En les tirant jusqu’au bout, on peut trouver le bon. Ensuite la justice pourra revenir sur la culpabilité, le pourquoi, s’interroger sur les mobiles et la responsabilité du criminel en essayant de refaire le chemin mental qu’il a suivi pour arriver à l’acte.

    Nos propos concernent plus particulièrement le crime et plus précisément l’homicide. Pour simplifier, nous disons homicide car le code pénal prévoit plusieurs cas selon que nous sommes en présence d’homicides involontaires (qui peuvent engager la responsabilité de l’auteur par exemple par son imprudence) ou d’homicides volontaires. Dans les homicides volontaires, l’assassinat est d’une gravité supérieure au meurtre par le biais de circonstances aggravantes dont, pour exemple, le guet-apens, la préméditation. Au-delà de l’identification et de l’arrestation d’un suspect, c’est cette réalité juridique que l’enquêteur devra chercher à établir.

    L’enquête policière est, d’abord, une routine. Elle a ses règles de procédure immuables et elle est inexorable, car elle ne s’arrêtera que lorsque le coupable sera renvoyé devant un tribunal, ou lorsque toutes les pistes auront été explorées. Le policier entame toujours une enquête avec des méthodes routinières, une routine au caractère immuable, liée au caractère répétitif des actes d’enquête et de procédure. C’est de l’ordre du fatum, dans le sens où tout est écrit presque à l’avance au moins dans la forme et que la fin prévisible est l’interpellation d’un criminel. Concrètement et schématiquement sur le plan de l’écrit de la procédure, le premier procès verbal est appelé « PV de saisine », il contient l’heure de la saisine, ses circonstances et l’avis donné au Parquet (entité englobant les procureurs et leurs substituts). Ensuite viennent le transport, les constatations et les mentions de toutes les diligences effectuées sur le lieu du crime. C’est l’OPJ saisi de l’enquête qui dirige les opérations et qui devra penser à toutes les diligences. C’est lui qui demandera aux fonctionnaires de l’I.J de relever toutes les traces, de prendre des photographies et d’établir des plans des lieux. Après les constatations, sur instructions du Procureur de la République ou d’un Juge d’Instruction si une information a été ouverte, l’OPJ assistera à l’autopsie pratiquée par un médecin légiste (ou deux) désigné par un magistrat. C’est l’OPJ qui confectionnera les scellés des prélèvements effectués sur le corps pour ensuite, par voie de réquisitions judiciaires, demander tous les examens et analyses nécessaires. Bien sûr, après l’autopsie, le corps est restitué à la famille dans des formes de droits avec un permis d’inhumer.

    L’enquête est régentée par le temps qui joue contre l’enquêteur. Sa réussite dépend de la rapidité de la découverte et des premières investigations. C’est dans les premières heures que les indices et les traces peuvent disparaître et être brouillés. C’est dans les premières heures que les témoins se souviennent le mieux de ce qu’ils ont vu et entendu. Ensuite lorsque le suspect est arrêté, l’enquêteur dispose d’un temps limité, le temps de la garde à vue pour faire tous les actes d’enquête avant de la clore sa procédure.

    On fait remonter l’origine du genre policier à un texte d’Hérodote « La maison de l’architecte » et une tragédie de Sophocle « Œdipe-roi ». Hérodote ne pouvait pas encore savoir que, avec les moyens actuels, le corps du voleur, même sans tête, aurait pu permettre de l’identifier par les empreintes et l’ADN. Son frère aurait pu alors être confondu par des comparaisons d’ADN. Des indices auraient été relevés. Pour exemple, en Corse, un corps nu a été découvert sans tête dans un véhicule. Il a été identifié sans la tête. C’était celui de Joseph Vincensini, gérant de bar assassiné fin janvier 2005. Le meurtrier a été arrêté en mars 2005. Le crâne a été découvert par les services de la gendarmerie le 23 avril 2008 dans un puits de la région de Corte. Le récit d’Hérodote contenait déjà l’idée que des coupables tentent de supprimer les indices laissés derrière eux après leurs méfaits
    Si nous devions faire un lien entre la tragédie grecque d’Œdipe et l’enquête judiciaire (réalité à problème), nous le ferions d’abord avec le «fatum »… la fatalité qui écrase le héros. L’homicide est un acte absolu. On ne peut pas le réparer. On peut considérer que la pièce de Sophocle est la première pièce policière. Oedipe y apparaît comme un enquêteur qui doit retrouver un coupable et le punir de ses crimes. Michel Butor, dans L'emploi du temps, explique cet aspect policier du théâtre de Soplocle : " tout roman policier est bâti sur deux meurtres dont le premier, commis par l'assassin, n'est que l'occasion du second dans lequel il est la victime d’un meurtrier pur et impunissable, le détective qui le met à mort, non par un de ces moyens vils que lui-même était réduit à employer, le poison, le poignard, l'arme à feu silencieuse, ou le bas de soie qui étrangle, mais par l'explosion de la vérité… »

    Les mots ont leur histoire et leurs secrets. Le fatum porterait le mot grec de «l’atè » qui signifie erreur. Cette association arrange notre propos. Les deux mots «fatalité » et «erreur » concernent aussi l’enquête judiciaire. Le coupable en est le héros tragique. Lorsqu’il a commis son acte, il va laisser derrière lui des traces et des indices qui vont sceller son destin dans la mesure où l’enquêteur ne négligera rien pour faire exploser la vérité. Toutefois, l’erreur est humaine : le coupable et l’enquêteur, peuvent en commettre.

    « Avec Edgar Pöe, comme l’a écrit Borgès, le récit policier est considéré comme un genre intellectuel. Un crime est découvert par quelqu’un qui raisonne dans l’abstrait et non par des délations ou par les maladresses des criminels... Dupin est un aristocrate et non pas un policier ». Le policier, lui-même, ne peut éviter les déductions et les supputations. Il ne peut échapper à la tentation de la démarche intellectuelle pour trouver parfois des suspicions qui peuvent être démenties par des preuves. Il ne peut se contenter de raisonner dans l’abstrait même si, parfois, il en est tenté. Le vrai danger est de vouloir passer de la suspicion à l’aveu, sans véritable enquête, c’est-à-dire sans la recherche et l’exploitation de tous les indices et sans l’exploration de toutes les pistes. Les avancées des sciences appliquées ont fait faire d’énormes progrès à l’enquête judiciaire qui, rappelons-le, dans des temps pas si lointains faisait passer un individu de la suspicion à la culpabilité lorsque les aveux étaient arrachés par la torture qui peut être physique mais aussi mentale.

    C’est Didier Daeninckx qui a défini le roman policier en disant qu’il était «un type de roman dont l’objet se situe avant la première page » Après la découverte d’un homicide, l’objet de l’enquête se situe aussi avant la première page de la procédure qui débute par la découverte d’un cadavre et qui va s’attacher à établir le moment où a eu lieu l’homicide et ce qui s’est passé avant. Dans le roman-problème avec notamment Allan Edgar Poe, il y a deux histoires, celle cachée du crime et celle racontée de l’enquête. Alors revenons sur l’enquête judiciaire qui va chercher à décrypter l’histoire cachée d’un crime. Dans le roman policier, comme dans l’enquête judiciaire, l’action se fait à contre-courant, puisqu'elle commence par la découverte d’un crime, aboutissement de drames que l’enquêteur doit retrouver peu à peu. Il faut explorer des événements antérieurs à celui par lequel il commence : le crime.

    Ce sont les indices qui permettront cette descente de police rétrospective. Le policier doit remonter le temps comme Œdipe mais pas avec une mèche lente. Il n’a pas à faire durer le suspense. Au contraire, pour faire exploser la vérité, le temps de l’enquête lui est compté. Il ne doit toutefois pas confondre vitesse et précipitation. Il faut aller vite pour identifier le suspect puis il faut prendre son temps pour enquêter.

    Le policier est d’abord un technicien du droit pénal et non pas un moralisateur. Le polar-problème représente la société qu’il décrit sous une clef manichéenne : la lutte du bien contre le mal. Le détective incarne le bien ; le lecteur s’identifie avec lui. Dans la réalité, le policier doit se garder de tout manichéisme car son travail est avant tout technique. Il n’a pas pour vocation de porter des jugements moraux. Il n’incarne pas le bien : Il agit en fonction des lois et des règlements.

    Lorsqu’un policier dirige une enquête, il doit écouter tout le monde et se poser les bonnes questions. C’est une démarche socratique et cela permet d’introduire le doute qui, pour moi, est le moteur de l’enquête. C’est le doute qui motivera ce que d’aucuns prendront pour de l’acharnement. Cela devient de l’acharnement si le doute n’est plus permis, si la culpabilité ne peut plus être établie ou si l’innocence est avérée. Il faut savoir que la réussite d’une enquête est liée à la rapidité d’intervention mais aussi à la persévérance et l’entêtement qui ne doivent pas conduire à la perversité.

    L’enquêteur doit agir rapidement sur le lieu du crime pour récolter les indices et les témoignages. Les premiers éléments, c’est le mort qui les donne et c’est sur lui que le policier se renseigne. Une enquête de voisinage est immédiatement effectuée pour identifier et entendre des témoins éventuels avant de fouiller dans le passé proche et lointain de la victime mais aussi de son entourage au sens le plus large du terme, c’est-à-dire pas seulement familial mais aussi amical et professionnel … C’est dans les premières heures que les témoins se souviennent le mieux de ce qu’ils ont vu et entendu.

    Lorsqu’un suspect est interpellé et passe aux aveux, il faut que ces aveux soient circonstanciés. Ils serviront à la reconstitution qui est un acte essentiel de l’instruction judiciaire. Lorsque l’on dit «circonstanciés », cela signifie que l’auteur doit fournir des détails qui pourront être vérifiés à la lueur des faits et des constatations. Lors de la reconstitution, il refera les gestes qu’il a faits et ces gestes devront être en adéquation avec les constatations, les témoignages et tous les indices relevés. Il peut arriver qu’un mis en cause reconnaisse un crime qu’il n’a pas commis, parfois pour couvrir le véritable auteur qui est un de ses proches.

    Le paradoxe de la routine policière, c’est qu’elle est à la fois un outil d’objectivation par l’application de règles procédurales, et un facteur d’erreur judiciaire. La procédure judiciaire apparaît routinière. Elle est écrite et donc donne lieu à un formalisme qui génère une paperasse volumineuse. Rapidement, le policier va avoir l’impression de répéter à chaque enquête le même cheminement, et cette routine va lui donner le sentiment d’être, à chaque fois, le simple rouage d’un destin tout en croulant sous les exigences de la procédure écrite. Malgré cela, il doit se garder de devenir le ludi magister d’un jeu de rôle et de se prendre pour le Prospero de la Tempête de Shakespeare. Il n’écrit pas un roman policier. Il doit rester ancré dans la réalité des faits et tout ce qu’il décrit doit en être le reflet le plus fidèle. Ce sont les indices qui permettent des déductions. On doit se garder d’interpréter les indices en les adaptant à un scénario imaginé ou hâtivement déduit. L’enquête est jalonnée de tâtonnements, de fausses pistes et d’erreurs. L’essentiel est de s’en rendre compte et d’explorer les autres pistes devenues moins nombreuses. C’est donc aussi un travail par élimination de pistes y compris celles auxquelles le policier croyait fermement. A cet égard, la théorie de Kehlweiler dans un roman de Fred Vargas, m’apparaît intéresser la réalité policière. Le policier doit se servir de ses deux mains… La main gauche imparfaite, malhabile, hésitante, et donc productrice salutaire du cafouillis et du doute, et la main droite, assurée, ferme, détentrice du savoir-faire. Avec elle, la maîtrise, la méthode et la logique. Un extrait l’illustre : « Attention, Vincent, c'est maintenant qu'il faut bien me suivre : que tu penches un peu trop vers ta main droite, deux pas de plus, et voilà poindre la rigueur et la certitude, tu les vois ? Avance un peu plus loin encore, trois pas de plus, et c'est la bascule tragique dans la perfection, dans l'impeccable, et puis dans l'infaillible et l'impitoyable. Tu n'es plus alors qu'une moitié d'homme qui marche penché à l'extrême sur ta droite, inconscient de la haute valeur du cafouillis, cruel, imbécile fermé aux vertus du doute ; ça peut venir plus sournoisement que tu ne te le figures, te crois pas à l'abri, faut se surveiller, t'as deux mains, c'est pas fait pour les chiens ».

    Les erreurs et le doute font donc avancer les enquêtes. En littérature policière, Conan Doyle l’avait compris en créant le personnage du Docteur Watson dont le manque de perspicacité et les erreurs servent à Sherlock Holmes. Si la procédure est une routine avec des tâtonnements et des risques d’erreurs, l’enquêteur doit veiller à ne pas tomber dans la facilité et se faire piéger par cette routine de pure forme. Il n’a pas une obligation de résultat mais de moyen. Il ne s’agit pas de trouver un coupable à tout prix mais de réunir les indices et d’identifier le suspect pour, dans la légalité, procéder à des actes d’enquête. Dans cette routine apparente, le nouveau apparaîtra dans l’aspect humain. Le délinquant et le criminel sont des êtres humains, et il faut se garder des amalgames et des stéréotypes. Dans une émission de la chaîne Arte, Karim Fossum expliquait qu’elle avait écrit son premier polar après avoir assisté à un meurtre dont elle connaissait la victime et l’auteur qu’elle connaissait depuis 18 ans. Elle le trouvait estimable. Il s’agissait de quelqu’un de respecté et de respectable. Elle a assisté à l’enterrement de la victime et ce fut pour elle un très fort moment d’émotion. Elle reste persuadée que le meurtrier porte toujours une part de bien en lui. Pour commenter les propos de l’auteure norvégienne et, en faisant référence à Mankel et à son personnage Wallander, nous avons relevé une phrase dans un de ses ouvrages : « Les hommes sont rarement ce que l’on croit qu’ils sont ».

    L’enquêteur doit aussi prendre conscience de la part importante qu’il représente lui-même dans l’enquête, alors que son premier souci est de rester objectif. Finalement, la seule chose qui peut emballer la machine ou l’arrêter, c’est le facteur humain. Dans les affaires d’homicides, si la procédure reste immuable, l’aspect humain ne l’est pas. Dans la confrontation entre le policier et le meurtrier, dès deux, le seul impliqué personnellement est le meurtrier. Le policier doit rester neutre pour rester lucide. En matière d’homicide, les preuves matérielles ne permettent pas toujours l’identification d’un mis en cause. L’aboutissement de l’enquête va dépendre de la capacité de l’enquêteur à écouter les témoignages et mener les interrogatoires. L’enquêteur va alors devoir s’impliquer davantage. Son expérience, son vécu et sa culture vont forcément influencer son cheminement intellectuel. Cette même influence peut apparaître lorsqu’il procède à l’audition du mis en cause. Pour limiter toute dérive subjective venant de lui-même, l’enquêteur s’évertuera à ne jamais perdre de vue les questions soulevées par les pièces et les détails du dossier. Il doit faire fonctionner son intelligence et non pas ses émotions ou ses opinions. Par contre c’est son humanité qui lui permettra d’établir un lien avec le criminel pour obtenir de sa part une certaine collaboration dans l’audition. Le criminel a besoin d’être compris mais il accepte mal d’être jugé. Le but de l’audition est de confondre le meurtrier plus que d’obtenir les aveux. Les mensonges ont autant d’importance que les aveux. En mentant, le mis en cause affiche sa mauvaise foi et s’engage dans une impasse. Il va mentir effrontément dans une première audition. Ensuite il devra revenir sur ses mensonges devant les preuves qui se sont accumulées. Qu’il le fasse devant le policier, devant le juge d’instruction ou devant un tribunal ne doit avoir aucune importance pour le policier, lorsqu’il ne cherche que la vérité et non pas une satisfaction personnelle ou une récompense. Contrairement à l’opinion commune, l’aveu n’est jamais satisfaisant pour l’enquête lorsqu’il est prématuré. Des affaires médiatisées ont démontré que des aveux rapides entraînent la négligence de certains indices et des incarcérations préventives qui débouchent sur des non-lieux et des relaxes, voire des erreurs judiciaires lorsqu’il y a eu condamnation. La vérité ne peut être qu’une mais toute piste non exploitée peut avoir au bout une autre vérité qui annule la première.

    Il faut retenir que le policier n’a pas pour tâche d’apporter une résolution définitive de l’enquête. Il doit explorer toutes les orientations et toutes les pistes même les plus improbables. Au bout, il fera état de la réalité de l’infraction, des indices graves et concordants relevés à l’encontre d’un ou plusieurs mis en cause. Tout au long de l’enquête, il reste un technicien du droit pénal, préoccupé par l’aspect juridique du dossier et les indices. L’identification du mis en cause et son arrestation ne marquent pas la fin de l’enquête qui se poursuivra pour vérifier même les aveux et aller jusqu’au bout de toutes les questions sur la sa culpabilité qui devront avoir des réponses le jour de jugement, notamment sur sa responsabilité. Même lorsqu’il passe aux aveux, un criminel va souvent s’attacher à minimiser son acte et pour cela, il ira jusqu’à noircir la victime ou impliquer une autre personne.

    En apparence seulement, la démarche de l’enquêteur n’est pas différente de celle de l’auteur de roman policier. Toutefois ce dernier invente les hypothèses pour en retenir une. Le policier n’invente rien. Ce n’est pas lui qui écrit le scénario. Il avance pas à pas et revient en arrière lorsqu’il le faut. Une enquête n’est pas forcément linéaire comme un polar car souvent les pistes sont multiples et variées. L’enquêteur doit se garder de toute certitude et surtout ne pas s’y enfermer. Il n’est pas rare de devoir changer d’avis sur un mis en cause pourtant fortement soupçonné.

    Quelques mots sur les indices apportés par le témoignage humain. C’est ce que l’on appelle la «preuve testimoniale » c’est-à-dire la relation verbale ou écrite d’impressions sensorielles. Les erreurs qui altèrent le témoignage humain se rencontrent à tous ses stades : à celui de la perception (au moment de l’événement) à celui de la narration (au moment de la déposition) et à celui de la fixation situé entre les deux précédents. La limitation du champ de l’attention au moment des faits, l’état présent du témoin, ses besoins organiques ou affectifs, ses habitudes mentales influeront, à son insu, sur sa déposition. Il en résulte qu’un témoignage entièrement exact est une exception : les renseignements faux étant donnés avec autant d’assurance que les vrais ; d’autre part, le témoin reconstitue souvent ses souvenirs en fonction de ce qui lui paraît vraisemblable tout autant qu’en ce qu’il a réellement vu. Particulièrement inexacts sont les témoignages sur les couleurs, les mouvements, les nombres, l’évaluation des durées. A ces causes involontaires d’altération du témoignage peuvent s’ajouter des causes volontaires inspirées par la jalousie, la crainte, la vanité… voire des préjugés moraux ou autres. Alors, est-ce dire que la preuve testimoniale doit être rejetée ou négligée ? Non, et l’on ne concevrait pas une enquête menée sans tenter de la recueillir. Malgré son caractère plus ou moins fallacieux, elle en est la base mais pas la construction.

    En fait, le policier serait plus près du lecteur critique que du héros et de l’auteur de roman policier. Il est un lecteur actif et réactif car c’est lui qui découvre et évalue les indices. Il doit en avoir une lecture objective et, par déduction, arriver à une analyse qui le mène à une conclusion démontrée. Le mis en cause sera jugé en premier ressort et, dans le cas d’une condamnation, la justice offre heureusement des voies de recours. Une personne condamnée en premier ressort, peut être relaxée en appel. Est-ce que cela veut dire que l’enquête a été mal faite ? Cela peut être le cas mais ce n’est pas une généralité. On peut aussi revenir sur des fictions et s’amuser à démontrer, comme l’a fait Pierre Bayard, qu'Œdipe n’a pas tué son père ou que l’affaire du chien des Baskerville n’a pas été élucidée par Sherlock Holmes. Et si Sherlock Holmes s’était trompé ? C’est ce doute effronté que se permet Pierre Bayard après la relecture d’une des plus célèbres aventures du plus célèbre des détectives. (Pierre Bayard est déjà responsable de la contre-enquête sur le meurtre de Roger Ackroyd, récit d’Agatha Christie). Pierre Bayard fait une relecture qui s’appuie sur la critique policière, partant du postulat que des meurtres racontés par la littérature n’ont pas été commis par ceux que l’on a accusés. "En littérature comme dans la vie, dit-il, les véritables criminels échapperaient souvent aux enquêteurs en laissant accuser et condamner des personnages de second ordre." La critique policière de Pierre Bayard n’accepte alors aucun témoignage sans réserve et met systématiquement en doute tout ce qui lui est rapporté. Il décrypte la méthode de travail du détective, analyse le rapport de l’auteur avec son héros, la subjectivité voir la capacité de manipulation du narrateur… il intègre les interactions entre les mondes réels et fictionnels, admet l’existence autonome des personnages en action et démonte l’inébranlable croyance du lecteur en ce que lui propose l’auteur. Alors n’hésitez pas à votre tour : faites votre propre enquête en lisant un polar et n’acceptez pas forcément le dénouement de l’auteur dont l’enquête n’a pas été contrôlée et sanctionnée par des magistrats. Bayard repère dans le livre de Conan Doyle des indices que son propre héros n'aurait pas vus. Il nous oriente vers un autre coupable. Derrière la prouesse, on comprend le message : un livre s'écrit toujours à deux.

    Ce que Bayard propose, des magistrats, des avocats et des journalistes le feront avec l’enquête effectuée par la police judiciaire. Finalement le risque d’erreur est peut-être moins important dans la réalité judiciaire que dans la littérature. L’auteur n’accorde aucune voie de recours au coupable en dehors de celle du lecteur critique.

    Pour le réhabiliter après la contre-enquête de Bayard, je citerai Sherlok Holmes. : « Une fois l’impossible écarté, tout le reste, même l’improbable, est vrai » car ce qui a peu de chance de se produire n’est jamais à exclure dans la fiction comme dans la réalité. Dans la réalité, le premier travail de l’enquêteur est essentiellement de préserver les lieux d’un crime pour que des techniciens des scènes de crimes y trouvent un maximum de traces et indices. Aujourd’hui, la police scientifique est en passe d’éclipser le commissaire Maigret et autre Hercule Poirot. Les nouveaux héros sont des experts en blouse blanche de Manhattan, de Miami et de Las Végas… et maintenant en France avec la série de TF1, RIS (recherche, investigation scientifique). Il faut savoir qu’en France, le terme de police scientifique est purement générique et recouvre des laboratoires. Sur le terrain, ce sont des policiers techniciens des services de l’Identité judiciaire qui sont chargés de relever les traces et indices sur les scènes de crimes.

    En 1887 Alphonse BERTILLON invente l’anthropométrie adoptée par la Préfecture de Police de Paris, puis par toute l’Europe. 1898 marque la mise au point des premières photographies métriques. En 1902 : Les services de l’Identité Judiciaire utilisent les empreintes digitales. C’est Alphone Bertillon qui met au point une méthode scientifique d’identification des criminels : l’anthropométrie. C’est un tournant dans l’enquête policière qui va par la suite avoir de plus en plus recours à des techniques et aux sciences. Aujourd’hui la police dispose d’un service d’Identité judiciaire avec ses techniciens de scènes de crime et de laboratoires performants qui procèdent à toutes les analyses qui pourront orienter l’enquête et servir de preuves. Sur le terrain dans chaque service, des fonctionnaires sont formés pour intervenir en lieu et place de leurs collègues de l’Identité judiciaire qui ne pouvaient répondre à toutes les sollicitations notamment en matière de constatations sur les cambriolages. Donc, on arrive à une plus large et plus professionnelle utilisation des techniques d’Identité judiciaire. Ce sont ces traces et indices qui permettront de prouver une culpabilité mais aussi de démontrer une innocence. Il faut donc que le premier intervenant évite le brouillage et la destruction d’éléments d’enquêtes qui peuvent s’avérer déterminants.

    Le problème de cette conservation des traces et indices n’est pas ignoré par la loi puisque le code de procédure pénale indique que «en cas de crime flagrant, l’officier de police judiciaire veille à la conservation des indices susceptibles de disparaître »

    En premier lieu, on peut distinguer deux grandes catégories de traces :
    - Les traces indéterminantes : elles le sont car elles ne montrent pas la relation qui les lie à l’auteur. Les indices indéterminants peuvent être des traces chimiques constituées par des tâches et des débris. Elles ont une nature compositionnelle et structurale donnée autorisant une étude de matière. Il y a les traces biologiques (les micro-organismes, des plantes… Les autres sont d’origine non biologique (eau, terre, peinture, métaux…). Leur composition peut permettre d’identifier un lieu, un outil, un produit utilisé pour exemples… Leur présence peut par exemple établir la présence dans un lieu d’un corps et son déplacement dans un autre lieu mais aussi la présence d’un suspect sur le lieu du crime.
    - Les traces déterminantes : elles conservent une relation entre un objet et l’auteur. Ce sont principalement les empreintes digitales, l’ADN … donc des dépôts de matières par impression, frottement ou arrachement. Il peut arriver d’avoir une association trace-tâche, par exemple l’empreinte d’un doigt tâché de sang.

    En ce qui concerne l’empreinte digitale, il faut savoir qu’à partir du relevé de 17 points de coïncidence entre deux empreintes, on considère que la similitude est établie et que l’identification est confirmée. Ce nombre de 17 n’est pas déterminé par le hasard mais résulte d’un calcul de probabilité qui précise le risque d’erreur ; il faudrait examiner 17.179.869.184 empreintes pour trouver ces 17 caractéristiques sur deux empreintes différentes appartenant à deux sujets différents. Les empreintes digitales se forment très tôt et avant la naissance, au 6ème mois de la vie fœtale et ne disparaissent qu’après la mort par le processus de décomposition du corps. La croissance ne peut les modifier et elles sont donc des marques personnelles immuables. Sur un cadavre en mauvais état de conservation, on peut injecter de la paraffine chaude dans le doigt pour récréer le volume et tendre la peau avant de relever les empreintes mais il est recommandé de découper la zone de peau qui sera ensuite traitée pour obtenir un maximum de lignes. Toutefois, souvent les traces papillaires laissées sur les lieux des délits et des crimes sont partielles, imprécises et difficiles à lire ou illisibles.

    Les services de l'identité judiciaire assurent la signalisation des personnes en vue de leur identification, les relevés photographiques, la recherche et la révélation des traces et indices sur les lieux d'infraction. Ils participent à l'exploitation de certains indices, effectuent des examens techniques à la demande des enquêteurs ou des magistrats. Ils tiennent à jour les fichiers dactyloscopiques. Dans l’enquête, le relevé des traces et indices est du ressort des fonctionnaires de l’identité judiciaire et la partie scientifique est de celui des experts requis. L’exploitation des indices va mettre en œuvre des méthodes et procédures techniques et scientifiques. L’enquêteur devra exploiter les résultats.

    Dans Coule la Seine, Fred Vargas cite comme présent sur le lieu de découverte du cadavre de la femme noyée deux agents, le médecin légiste, les types du labo, et le photographe… D’abord, il n’y a pas de types du labo et de photographe mais deux policiers de l’Identité judiciaire dont l’un relève les traces et l’autre prend les photos… Ils sont des policiers formés à ces techniques. Dans les circonstances de la découverte d’un cadavre, l’enquête s’ouvre par la recherche des causes de la mort qui est une procédure apparentée au flagrant délit et donc sous les instructions de Procureur ou de l’un de ses Substituts qui, sauf empêchement, se rend sur place. Les autres intervenants sont un médecin qui constate le décès (c’est le médecin légiste lorsque la mort est avérée d’origine criminelle et que tout soin apparaît inutile), les fonctionnaires de l’Identité judiciaire (pour relever les traces et indices, prendre des photos et constituer un plan des lieux), et l’OPJ saisi de la découverte. C’est lui qui dirige les constatations et qui en rend compte par écrit. Il n’y a aucun représentant du laboratoire de police scientifique qui sera mis à contribution par la suite sur réquisitions écrites.

    Les enquêteurs peuvent par leur seule présence sur les lieux polluer le site avec leur propre ADN, en n’y perdant qu’un seul cheveu. Les analyses peuvent s’en trouver perturbées et les résultats invalides. Les experts de l’Identité Judiciaire (I.J) portent des combinaisons intégrales en plastique, un calot, une paire de gants et couvrent leurs chaussures. Ensuite, ils ont à leur disposition des produits et du matériel : seringues, grattoirs, pinces, tamponnoirs (pastilles d’aluminium recouvertes d’un adhésif double face qui permet de récolter toutes les particules, à usage unique et immédiatement rangées dans des tubes hermétiques).

    Si on prend pour exemple le sang, la disposition des tâches est un indice en soi car leur situation, leur nombre et leur texture renseignent sur la chronologie des différentes séquences d’un crime. Le sang est composé d’une suspension cellulaire (les globules rouges et blancs, les plaquettes). Les prélèvements peuvent être liquides ou secs. Ces prélèvements nécessitent des précautions et des conditions de conservation. Dans une flaque, on utilise une seringue nettoyée au sérum physiologique si elle n’est pas stérile et sans aiguille. En l’absence de seringue, on utilisera un papier absorbant non coloré qui sera emballé après séchage. Le sang liquide doit être conservé à une température de +4 à +8°. Ensuite il faudra l’identifier c’est-à-dire savoir d’abord s’il s’agit bien de sang, si son origine est humaine ou animale, déterminer le groupe et le Rhésus qui permettront d’écarter des sujets et de restreindre les hypothèses. C’est le travail du laboratoire.
    Même après un nettoyage, grâce à la lumière bleue ou rouge, on peut déceler des contrastes sur certaines surfaces qui ont été souillées par le sang. Avec l’ultraviolet, on peut même révéler des traces invisibles de sang. C’est ce qui a été expérimenté dans l’affaire Flactic (l'affaire du quintuple assassinat de la famille Flactif au Grand Bornand le 11 avril 2003). Un linge imbibé de sang, même après lavage, peut être discriminant. Le tissu va réagir à l’eau oxygénée et, par réaction chimique avec le sang, mousser (vous avez pu le constater en désinfectant une plaie) : l’hémoglobine fixe, transporte et décompose l’eau oxygénée. Ensuite, pour confirmation, on utilise le spectroscope pour rechercher l’homochromogène alcalin, dérivé chimique de l’hémoglobine qui montre qu’il s’agit bien de sang. Si on a trouvé du sang mais pas de corps, comment démontrer qu’il s’agit de sang humain ? On dilue le sang dans du sérum physiologique. On y ajoute un sérum antihumain qui contient des anticorps anti-immunoglobine et, si le sang est humain, on obtient une agglutination antigène-anticorps.

    Des recherches d’indices sont donc effectuées post mortem sur la victime et c’est le rôle de l’autopsie. Des prélèvements de sang mais aussi d’urine sont opérés sur la victime et feront l’objet d’examen de toxicologie notamment pour déterminer la présence de substances médicamenteuses ou autres, voire de poisons.

    La trace la plus ancienne de l’utilisation de la médecine pour résoudre un crime remonterait à 1248 en Chine. Il s’agissait de distinguer une noyade d’une strangulation. En Europe, on considère que le pionnier de la médecine légale fut Mathieu Orfila (1764-1835), médecin et chimiste français d’origine espagnole. Il a écrit divers ouvrages notamment sur des leçons de médecine légale (1821-1823), un traité d’exhumations juridiques (1830)et un traité de médecine légale (1847).

    Le médecin-légiste pratique le curage des ongles pour analyser les déchets qui peuvent être ceux d’un poil, de fibres textiles, de sols et autres résidus divers qui pourront donner des indications sur le lieu et les circonstances du crime ou dans le cas d’éléments contenant de l’ADN le génome d’un suspect. Ensuite, il pratique un examen anatomique pour déceler les lésions apparentes et utilise si nécessaire la radiographie. Il procède à des prélèvements de liquides biologiques pour analyses mais aussi de d’organes sur lesquels seront effectués des examens anatomopathologiques.

    Si on prend encore pour exemple un texte de Fred Vargas dans « Coule la Seine » qui part de la découverte d’un fragment d’os dans une crotte de chien. Cela est suffisant pour savoir que si la crotte est animale, l’os est humain.

    Pour savoir si l’os est humain, on utilise trois méthodes, la méthode ostéologique, la méthode histologique et la méthode sérologique. Les deux premières méthodes permettent par le calcul d’un indice dont le résultat est différent chez l’homme et l’animal, de déterminer l’origine humaine d’un os. La Sérologie le fait par utilisation de sérums précipitants.

    Lors d’une découverte de cadavre, des indices vont être recherchés sur le moment de sa mort. C’est le médecin-légiste qui va analyser les éléments visuels d’état cadavérique et de décomposition. Lorsque la mort remonte à plusieurs jours, les indices seront des larves de mouches. Il faut savoir qu’un cadavre est colonisé par plusieurs vagues d’espèces de mouches à des intervalles connus. La présence ou l’absence d’une espèce donne une indication sur la date de la mort. Nous sommes dans le domaine de l’entomologie. En France, le médecin légiste est expert inscrit sur la liste d’une Cours d’appel, comme les autres experts requis dans les enquêtes judiciaires. Il est habilité à procéder aux autopsies qui sont des actes importants et nécessaires dans le cas des homicides ou de la recherche des causes d’une mort suspecte. Il va devoir déterminer les causes de la mort en fournissant des éléments scientifiques qui seront autant d’indices pour en déterminer au plus près les circonstances. Il ne peut pratiquer l’autopsie qu’en présence d’un Officier de Police judiciaire et y assiste parfois un magistrat du Parquet ou de l’Instruction.... A SUIVRE!



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  • Suite 2/2: l'approche sur réalités et fictions policières - point de vue.


    Le témoignage des faits reste la preuve indiciale car c’est par ou avec des choses que l’on commet une infraction. Au cours de l’action, le malfaiteur abandonne souvent à son insu des traces sur les lieux de l’infraction ; réciproquement, il y recueille, sur sa personne, ses vêtements, ses armes, son matériel, d’autres indices souvent imperceptibles mais caractéristiques de sa présence ou de son action. Leur diversité permet de les classer selon les deux catégories (déjà évoquées) d’indices indéterminants et déterminants. A cet égard l’ADN est la preuve indiciale la plus déterminante.


    De nos jours, la police et la justice profitent des avancées scientifiques qui repoussent les limites du visible avec des instruments de plus en plus performants en microscopie optique. L’apport des méthodes physico-chimiques a permis d’aller plus loin dans la révélation des empreintes digitales. On utilise maintenant des produits de plus en plus efficaces dont des colles qui peuvent être pulvérisées par exemple sur un véhicule dans une cabine du genre de celle utilisée par les carrossiers pour la peinture. Il se forme sur toutes les surfaces une matière blanche qui peut être photographiée directement sous radiations ultraviolettes ou encore sous laser, après renforcement par un colorant fluorescent (donc dans l’obscurité et non pas sous des projecteurs pour pouvoir filmer un épisode de série policière). Toutes les traces et tâches apparaissent alors sans laisser la moindre portion de surface inexploitée. Diverses poudres et divers produits chimiques sont utilisés en fonction des conditions de découverte et la nature des objets examinés. On peut par exemple faire apparaître des empreintes sur un objet qui a séjourné dans l’eau.

    Pour ceux qui lisent Simenon et connaissent Maigret, ce commissaire épais, lent, casanier, fidèle et si efficace, rappelons qu’il est apparu au public en 1931 aux Editions Fayard qui, pour l’occasion de sa sortie, avait organisé un «bal anthropométrique » qui rassembla le tout Paris des lettres et du spectacle. Simenon n’a pas oublié la police scientifique : Maigret ne manque jamais de faire venir sur les lieux du crime l’Identité judiciaire, c’est-à-dire l’Inspecteur Moers et son équipe, qui prennent photographies, relèvent les empreintes, analysent les cendres de cigarettes et les poussières. Maigret admire le Docteur Paul, le médecin-légiste et adresse systématiquement les armes et les munitions à l'expert Gastine-Renette qui déterminera facilement qu'il s'agit d'un Browning Calibre 6,38 m/m auquel on a mis un silencieux… Maigret hante les combles du Palais de justice où sont installés le laboratoire et le service de l’Identité judiciaire. Bien sûr, on pourrait noter des inexactitudes et quelques entorses à la vraisemblance. Mais qu’importe. Maigret, qu’il se fâche, qu’il hésite, qu’il ait peur ou qu’il tende un piège… pour citer Simenon : « Reste la matière vivante, reste l’homme tout nu ou tout habillé, l’homme de partout ou l’homme de quelque part ».

    L’enquêteur doit aller, sans préjugé, le plus loin possible dans la connaissance de la personnalité du meurtrier, dans ses motivations et dans tout ce qui a un rapport avec son degré de responsabilité. Pour établir la culpabilité, la responsabilité pénale est décortiquée dans chacun des actes de l’assassin, d’abord pour des raisons juridiques. Finalement, ces raisons toutes procédurales rejoignent aussi la curiosité de l’enquêteur. A la fin de l’enquête, le Flic a emmagasiné des questions sur les meurtres commis et sur les personnalités de l’auteur, des complices éventuels et de la victime. Il s’est immergé dans son enquête. Pour en sortir, il a besoin d’aller au fond des choses et pour cela, il dispose des délais de garde à vue et des interrogatoires. Mais le policier, il faut encore le rappeler, n’est pas un magistrat. Ce n’est pas lui qui prononcera la mise en examen, l’incarcération et la condamnation. Par contre le sérieux de son travail et la rigueur de la synthèse qu’il fera seront les éléments précieux pour atteindre la vérité judiciaire.

    Lorsque Fred Vargas fait penser à son commissaire Adamsberg que «la police n’est pas à conseiller à un type qui espère fébrilement en la grâce de l’humanité. »… . C’est sans doute le point de vue de l’auteure mais ce n’est pas le mien. Pour moi, parler d’humanisme pose surtout la question des idéaux humanistes. En tant que flic, non seulement il ne faut jamais abandonner les idéaux mais ils aident dans la vie professionnelle. Il y a d’abord les droits de l’homme mais aussi la devise républicaine : Liberté, égalité, Fraternité. J’ajoute à titre personnel la solidarité.

    Si la littérature offre un miroir, il faut que ce soit un «miroir critique ». Si le rôle de l’écrivain est, selon l’expression d’André Malraux, de «tenter de donner conscience aux hommes de la grandeur qu’ils ignorent entre eux », je suis d’accord pour dire qu’il faut aussi que les humains soient conscients de leurs bassesses et de cette part de l’autre, ce mal qu’ils ont en eux.

    Comment littérariser la réalité policière ? M’a demandé un professeur de Lettres qui enseigne à la Faculté d’Aix-en-Provence.

    Gombrowicz, grand écrivain et philosophe polonais, disait : ." Il faut abandonner l’excès de théorie et les attitudes pédantes. Le style est le véhicule pour atteindre, non les théories mais les hommes ". Il poursuivait dans ce sens en affirmant que "de nos jours, le courant de pensée le plus moderne sera celui qui saura redécouvrir l’individu". C’est en d’autre terme que Simenon parlait de Maigret mais les propos se rejoignent (j’y reviens) : Chez Maigret, «reste la matière vivante, reste l’homme tout nu ou tout habillé, l’homme de partout ou l’homme de quelque part ». Ce qui entre dans le champ de la littérature, c’est l’aspect humain de la réalité policière. Et puis, la nouvelle policière est l’un genre complexe à aborder. Ce n’est pas si facile de trouver une victime, un assassin ou voleur, une énigme, un mobile, des indices, sans verser dans le poncif et le cliché. C’est aussi vrai pour le polar. L’exercice devient de plus en plus acrobatique devant la profusion d’ouvrages parus et à paraître. Je ne rentrerai pas dans la querelle d’arrière-garde entre le roman policier, le thriller, le polar et le néo-polar ou roman noir social. Je laisse à Jean-Bernard Pouy ses coups de gueule qui enfoncent le roman policier dans les poubelles de l’Histoire, le thriller dans les chiottes du néo-freudisme et le roman à énigme dans le compost du sudoku. ».

    Les auteurs du néo polar se disent «arpenteurs du réel » tout en écrivant des fictions. Si l’on prétend littérariser la réalité policière, il faut, à notre sens, l’intégrer dans une fiction qui est ce qu’il y a de littéraire dans le roman au sens premier du terme. Il ne s’agit donc pas d’écrire un ouvrage technique ou documentaire. Même si, par formation, on est poussé à coller à la réalité en respectant par exemple des règles de procédure que l’on a appliquées dans la vie professionnelle, il ne s’agit pas de relater simplement des faits comme dans un rapport de police ou une ordonnance de renvoi devant une juridiction. Il faut donner chair aux personnages. Dans mes deux premiers ouvrages, j’ai voulu faire peser sur le récit le poids de la procédure et de sa routine, tout en m’en servant pour relancer l’intrigue. Pour cela, je n'utilise pas des affaires que j’ai eu à connaître. Je préfère inventer les intrigues et les faits. Ensuite les personnages et les lieux peuvent être inspirés du réel et des anecdotes pousser à la réflexion, mais je n’écris pas pour transmettre un savoir greffé sur ma trajectoire de policier. J’écris d’abord comme je lis, c’est-à-dire par plaisir. Alors, ensuite, si ce plaisir est partagé, j’en suis comblé. Selon Claude Roy : « La littérature est parfaitement inutile ; sa seule utilité est qu’elle aide à vivre. » Bien sûr, si elle pousse à la réflexion et éveille des consciences, c’est important si on le fait à la façon de Diogène. Ce serait toutefois prétentieux de revendiquer le statut d’éveilleur des consciences et dérisoire de sombrer dans le certitude et l'autosatisfaction.

    Mon polar « Tamo ! Samo ! » est plutôt un thriller. Il suit le déroulement d’une enquête judiciaire avec un personnage surnommé le Flicorse en un seul mot. Etre flic est plus qu’une profession, cela devient une identité puisqu’on l’est 24 heures sur 24. Mais ce n’est pas la seule identité que l’on porte. On porte aussi son identité d’origine et celle que l’on se construit. Dans ce roman, je me suis servi de l’enquête judiciaire comme moteur de l’intrigue. Dans le prochain "Complices obscurs" qui est en cours d’édition, je fais sortir le Flicorse de la légalité et du confort administratif pour une enquête officieuse qui doit établir l’innocence d’un homme que tout accuse d’un meurtre sans qu’il ne puisse échapper à la procédure judiciaire. Je quitte la légalité pour chercher une autre vérité que celle établie par une enquête officielle. La vérité n’est pas toujours du côté de l’ordre établi. A travers le polar, on dispose d’une liberté totale d’écriture. C’est une offre que l’on ne peut refuser après avoir vécu dans des carcans administratifs et juridiques.

    On écrit aussi pour être lu. Sartre l’a dit et c’est une évidence. Le polar est de la littérature ou de la para littérature. A chacun d’en juger. Pour moi, la question ne se pose pas vraiment. C’est de la Noire. Il faut suivre l’avis de Paco Ignacio Taïbo II et maintenir la tension du noir dont l’intrigue est le noyau dur. On essaie avec modestie de le faire. L’écriture, c’est aussi beaucoup de travail de corrections dans un souci esthétique. Lorsque l’on parle d’esthétique, on aborde le langage avec toutes les figures de rhétorique. Le polar prend en compte l’oralité qui est une forme de littérature avec son esthétisme. Combien de fois, assis dans un café de quartier et écoutant des conteurs de comptoir, je me suis surpris à penser : Tiens un euphémisme, tiens une métaphore, tiens une ellipse ou un oxymore. Je me souviens de quelques perles : « Marcel, c’est un con intelligent » ou bien ce docker qui mettait un temps fou à relater un accident sur le port autonome, multipliant les digressions savoureuses et qui, pressé par son auditoire, a écourté subitement son histoire en disant «le lendemain : La quête ! ». Par ellipse il suggère la fin : un container, qui balançait longuement, était tombé sur un autre docker et l'avait tué sur le coup… donc le lendemain une quête avait été effectuée au profit de la famille. En Corse, un personnage populaire de la culture orale porte un surnom qui est un oxymore « Grosso minutu » (gros-maigre). Enfant chétif, il était devenu un adulte grassouillet. Les figures de rhétorique sont dans la rue et dans l’oralité autant que dans la l’écriture, avec la spontanéité en plus. Je n’ai pas honte de dire que j’écoute du slam et du rap. On y entend parfois en quelques minutes ce que l’on ne trouve pas dans un pavé littéraire de 800 pages.

    Le polar permet de puiser dans la culture orale. Bien sûr, écrire en langue corse un roman relève du militantisme et des auteurs s’y sont essayés pour revenir à la langue française. Certains persistent avec succès mais ils sont rares. Ce n’est donc pas d’actualité. Toutefois, si vous prenez l’auteur irlandais Joyce, il n’écrit pas en gaélique. Comme me l’avez fait remarquer Joël Jégouzo (site Noir comme polar ) «il sait faire chanter sa langue natale dans la langue des Britanniques, pliant au passage les règles du roman moderne au grain hérité du plus profond de son histoire. Cette jouissance séminale de la parole à la suture du parlé et de l’écrit, c’est dans son roman qu’il va donc la faire passer, abusant de phonétique, jouant du surgissement du son dans le mot… » Le polar permet cette suture de la parole entre le parlé et l’écrit. Jean-Toussaint Desanti, éminent philosophe corse disait : « Jamais je n'ai écrit en langue corse une ligne de philosophie. Mais là n'est pas l'essentiel. Je crois avoir pratiqué la forme de philosophie qu'exigeait mon origine. Dans ce champ aussi j'ai, autant que je l'ai pu, pourchassé l'indétermination, fait violence à la culture, effacé la mer, celle qui sépare et engloutit ». Je pense aussi à Aimé Césaire qui vient de nous quitter et qui disait : « J'ai plié la langue française à mon vouloir-dire ».

    Sur la réalité policière, un ouvrage:

    Le crime transparent ou l’histoire de la preuve judiciaire, livre du Professeur Nossintchouk aux éditions Oliver Orban .

    Cet ouvrage mêle judicieusement littérature, histoire et science. L’aspect « Police technique et scientifique » y tient une grande place avec de multiples informations. Les grands thèmes comme le sang, les empreintes digitales, la génétique entr’autres, sont repris à travers des chapitres aux titres évocateurs : « Les voies du sang », « Sueurs froides, « Crime et génétique ». L’auteur ne s’en tient pas aux acquis mais fait l’historique des recherches avec leurs balbutiements avant qu’une découverte soit considérée comme irréfutable. Cette marche dans le temps s’égrène d’anecdotes et de personnages comme ce médecin de la cour de Jacques Ier, le docteur William Harvey qui imagina en 1615 que le cœur pouvait fonctionner comme une pompe assurant la circulation du sang. Ce livre est aussi une intéressante analyse du tryptique Justice-Science et preuve avec , pour corollaire, l’évolution des méthodes de police judiciaire. Le professeur Nossintchouk relève que, jusqu’au 19ème siècle, le seul moyen de preuve est l’aveu, l’aveu qui était obtenu par tous les moyens, y compris la torture légale même contre la vérité. C’est dans ce 19ème siècle que, en même temps qu’apparaissent les progrès techniques et scientifique, naît toute une littérature policière qui, d’Edgar Poe, en passant par Gaboriau jusqu’à Conan Doyle fait de l’enquêteur un être observateur et perspicace capable de reconstituer le fait criminel, de démasquer le coupable en s’appuyant sur l’analyse d’indices matériels… Depuis lors, la démonstration du fait criminel est en train de trouver un équilibre grâce aux moyens de preuve que fournissent les sciences appliquées. Toutefois, espérons ne pas en arriver à ce que ces moyens, par leur efficacité systématique, ne nous fassent pas basculer dans un monde inquiétant, un monde façon Adlous Huxley, dans lequel l’homme n’aurait même plus la liberté de reconnaître qu’il est coupable, puisque cela deviendrait inutile.



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  • La violence ? Moralistes, qu’en pensez-vous ?


    La violence est la " trame des drames " ( Oui ! J’aime bien la redondance avec l’âme ) que l’on trouve dans le polar et le roman noir. Lorsque l’on pousse la réflexion sur la violence d’un point de vue moral, les approches des auteurs sont le plus souvent absentes. En ces temps de paranoïa collective et de terrorisme international où, dans nos sociétés dites civilisées, des politiques exploitent le sentiment d’insécurité pour justifier des lois plus répressives et des guerres, peut-on s’autoriser toutes les violences au nom de la morale ? Avec la violence, se pose donc la question de la morale , c’est-à-dire de son pouvoir par rapport à la réalité et à la condition humaine.

    La violence désigne un certain état des relations humaines, tel que la morale ne voudrait pas qu’il soit. Sous ses diverses formes, dans ses manifestations individuelles et dans ses manifestations collectives, la violence semble la réalité de la condition humaine et des rapports humains ; elle est dans l’oppression, la méchanceté, la brutalité, l’agression ; elle existe dans les rivalités, les oppositions dont la guerre, sous ses diverses formes, est l’exemple le plus frappant. En opposition à ce monde réel ( mis en fiction par le roman noir), il y a le monde moral défini par le respect mutuel des individus, le respect de la dignité humaine, la coopération, le travail collectif, la promotion vers une humanité meilleure. Le moraliste est par définition partisan de la réalisation de ce monde moral qu’il voudrait substituer au monde réel de la violence. A partir de cette opposition, quelle doit être son attitude. Doit-il condamner la violence en plaidant pour le monde moral ? Doit-il désespérer de supprimer la violence ? Ne doit-il plus rechercher au niveau de l’idéal mais plutôt descendre dans le réel pour supprimer les conditions qui font que les rapports entre les hommes passent par la violence ?

    Les morales antiques sont des morales individuelles dans lesquelles le sage exclut la violence de son salut personnel, en se proposant la tranquillité, la " vie cachée ". Le sceptique refuse de s’engager, prêche la tolérance, réprouve la violence sans vraiment se préoccuper de la supprimer. Cette position fait de la morale un système de valeurs inapplicables. Elle construit des idéaux, produits d’une réflexion de qualité inspirée par un " sens élevé de la dignité de la personne humaine " et aspire à une humanité idéale mais coupée des passions, des intérêts qui sont des facteurs de la violence. Peguy disait des moralistes idéalistes: " Les Kantiens ont les mains propres mais ils n’ont pas de main ". Donc, le danger qui guette toute théorie morale consiste justement à développer une théorie pure de la conduite humaine sans considération de la réalité, sans poser le problème de l’existence du " mal " dans les rapports entre les hommes. Dans ces conditions , la morale apparaît inefficace, un peu comme un certain pacifisme qui n’a aucune chance de faire cesser les guerres.

    Alors, peut-on intégrer la violence dans un système moral, du moment qu’une morale séparée de la violence apparaît insuffisante ? A l’intérieur d’un groupe social, considéré comme un système fermé sur lui-même ( Morale close de Bergson ), le moraliste dans la personne du Juge répond aux crimes et aux violences par des sanctions qui peuvent être elles-mêmes violentes. C’est ce que l’on peut appeler " l’institutionnalisation " d’une lutte violente contre la violence ; ici, la violence est un mal dont la société doit se débarrasser même si elle est obligée de se servir de moyens violents pour y arriver. Il y a donc une attitude morale et légale qui ne s’interdit pas la violence, dès que l’ordre public et l’harmonie de la cité sont troublés par des forfaits criminels violents.

    Mais si l’on passe de l’acte criminel individuel d’une rébellion violente contre l’ordre légal à la violence insurrectionnelle d’une partie de la société contre la moralité des hommes " constitués en dignité et en puissance ", on aboutit à une autre forme de morale dans laquelle la " terreur " est le commencement nécessaire vers la promotion d’un nouvel ordre des choses, vers une nouvelle organisation de la société où l’égalitarisme remplacera les " abus de l’Ancien régime ". Ici c’est la violence et son organisation méthodique qui deviennent le commencement de la morale : on vise, après la terreur, un " nouvel ordre des choses ", où les maux et les violences anciennes seront supprimés. C’est la morale qui prend sa forme la plus nette avec la Révolution française et qui devait devenir le modèle de toutes les morales révolutionnaires à venir.

    Certains théoriciens, et en particulier Clausewitz, disent que la guerre, malgré son caractère de violence est la " continuation de la politique par d’autres moyens ". La violence, même dans ses formes les plus extrêmes (comme la guerre et l’usage de la torture), devient le moyen d’application d’une politique, c’est-à-dire d’une morale. Si on entend par morale, préservation des intérêts d’un pays et aussi réactions aux violences de l’adversaire ( casus belli), on peut parler de justification de la violence. En effet, si les intérêts d’un pays engendrent des droits et des devoirs qui font apparaître ce qu’on appelle une idéologie dans le langage moderne et si cette idéologie doit être appliquée et réalisée, il est évident que le recours à la violence se trouve être , dans ce cas, un moyen cruel mais nécessaire. Il y a l’application d’une idéologie par la diplomatie ou par la propagande, et il y a l’application d’une idéologie par la violence. On va mettre au point une réglementation internationale de la Guerre. Cela confirme que la violence guerrière , à l’intérieur des lois de la guerre, est justifiée par la morale, par l’idéologie, par l’existence de valeurs nationales qu’il est nécessaire de sauvegarder ; ici, le " moraliste " , qui s’élevait contre l’emploi de la violence au nom d’une idéologie pacifiste internationaliste ou humaniste, n’a aucune chance d’être entendu et risque même d’être accusé et réprouvé au nom des idéologies patriotiques nationales.

    On voit donc qu’il y a, pour le moraliste, deux tentations ; la première est la construction de la norme sans communication avec la réalité ; la seconde est de pénétrer dans la réalité et dans la politique en approuvant la violence comme un mal nécessaire pour la réalisation d’un bien ou comme la seule arme efficace pour rétablir l’équilibre détruit par le mal et par la violence ; cette seconde tentation est aussi dangereuse que la première, car elle risque de mener rapidement à une apologie de la violence. Cette apologie apparaît morale au niveau de la politique et d’une légalité étatique, puisque, dans un monde où règne la violence, se couper d’elle, c’est l’accroître tandis que essayer de la légaliser pourrait éventuellement mener à la promotion de la paix, si il n’est pas utopique de dire que l’on fait la guerre pour faire la paix . La violence légalisée n’a généralement pas pour effet une diminution mais plutôt une augmentation de la violence et un accroissement des rivalités et des tensions. Le moraliste qui s’efforce de justifier la violence est bien un réaliste mais ce réalisme est sur la pente de l’immoralité. Même dans la réglementation de la violence, il y a une tentation d’accroissement de la violence. Selon la formule de Pascal : " Ne pouvant fortifier la justice, on justifie la force " ( Les Pensées) et Corneille ajoute : " A force d’être juste, on est souvent coupable " ( Pompée ).

    On est donc amené à constater la dualité de la morale et la difficulté ( l’aporie) sur laquelle cette dualité débouche : ou bien une morale de promotion individuelle vers un idéal, une sagesse " au dessus de la mêlée " ; ou bien une morale qui se veut réaliste, qui l’est mais qui se perd rapidement en tant que morale. Comment résoudre cette difficulté?

    Au niveau politique, la tache du moraliste ne doit donc être ni de formuler un bien sans s’interroger sur les conditions de réalisation générale, ni de rester réaliste si cela veut dire considérer la violence comme une donnée inévitable. Sa démarche devrait être de se préoccuper d’abord du mal et de la violence, de se demander comment et pourquoi ils apparaissent et sont l’un des traits essentiels de la réalité humaine. Au lieu de faire une théorie de la vertu, le moraliste doit commencer par faire une explication du vice, arriver en quelque sorte à une science du mal. Cette science est possible, elle va se subdiviser en science de la violence individuelle ( criminologie) , en science de la violence sociale ( prise de conscience des conflits d’intérêts dans la société), et enfin en science de la violence internationale (explication économique des conflits d’intérêts provoquant l’affrontement des belligérants). Il devrait en ressortir que la violence n’est peut-être pas une donnée essentielle de la condition humaine, donc immuable, mais la suite et la conséquence de données essentielles qu’on pourra par conséquent essayer de limiter et, dans la mesure du possible, éviter.

    La violence n’est donc pas le domaine d’où la morale doit s’écarter mais celui où elle doit pénétrer ; si elle le fait, elle peut s’apercevoir que la violence a des causes, ce qui veut dire qu’elle n’est pas forcément une donnée essentielle, première, de la condition humaine. Contrairement à la violence dans le monde animal (La violence y fait partie du jeu biologique des rapports entre les espèces ), quand le problème est chez l’Homme, au moins le moraliste peut montrer que la violence est insensée, peut désigner les causes qui sont à l’origine de son apparition et peut donc la supprimer. L’instinct de violence lié à une agressivité hormonale n’est pas le plus important, car la violence la plus significative , c’est la violence historique où les Hommes deviennent victimes d’une non - maîtrise des conditions de leur existence. Or comme l’histoire montre que l’Homme peut acquérir cette maîtrise, il n’est pas totalement utopique d’affirmer qu’il pourrait arriver, par la connaissance des causes, à une suppression relative de la violence….

    Qu’en pensez-vous ?

    Notre propos n’est pas de vous donner un plan de dissertation philosophique sur la violence et de nous poser en donneur de leçon, mais, simplement et modestement, de susciter votre propre réflexion en vous donnant l’occasion de repenser un sujet malheureusement toujours et plus que jamais d’actualité. Le Victor Hugo des Misérables écrivait : " L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. L’homme qui médite vit dans l’obscurité…. " Est-ce que nous n’avons que le choix du noir ?

    " Le roman noir, c’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression! " Ses auteurs sont les témoins du chaos et de cette réalité : la violence. Ils la montrent sous ses formes les plus insidieuses, les plus perverses, les plus cyniques… Ils peignent les mœurs, c’est-à-dire les caractères, les passions, l’homme, les coutumes, les usages d’un groupe… Ils ne vous proposent aucune morale théorique. Comme André Gide, ils pensent que , avec de bons sentiments, on fait de la mauvaise littérature. Dans le Noir, à chacun de trouver des raisons d’espérer ou de désespérer.


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  • Menus cellulaires pour romans sur le pouce :

    Des livres écrits sur les téléphones cellulaires ...Une plaisanterie ? Erreur. Ils sont devenus populaires au Japon. L’auteur n’écrit plus avec une plume mais avec son pouce. Vous avez le choix des étiquettes : message des textes, téléphone de cellules, roman, texte, pouce, écriture, auteur…  Un jour viendra où il n’y aura plus qu’un coup de pouce à donner. Aragon était-il visionnaire en écrivant cela ?



    Article dans le New York Times :

    Thumbs Race as Japan’s Best Sellers Go Cellular


    Des romans japonais écrits avec le pouce et destinés aux téléphones cellulaires. En 2007, 5 des 10 livres les plus vendus dans l'Empire du Soleil Levant étaient des romans pour téléphones mobiles. On vous donne un synopsis à vous d’en faire un best-seller cellulaire. "Aimez le ciel," le premier roman d’ une jeune femme appelée Mika, a été lu par 20 millions de personnes sur des cellulophones ou sur des ordinateurs. Un autre comportant sexe, viol, grossesse et une maladie mortelle - a capturé de la jeune génération. Publié sous la forme de livre, c'est devenu l'année dernière le roman de plus vendu avant d’être transformé en un film.

    Sur ces dix dernières années, cinq romans les plus vendus étaient à l'origine des romans de cellulophone, la plupart du temps des histoires d'amour écrites avec une écriture sans référence avec les romans traditionnels. Ces romans ont des caractéristiques précises : phrases courtes, caractéristiques du SMS, personnages peu développés, descriptions rares, prédominance des dialogues. La plupart des romans est écrite par des femmes à la première personne comme des journaux intimes, et parlent d'affaire de cœur... C’est la nouvelle littérature populaire? Cette cyber-littérature présente—telle une menace pour les livres imprimés, comme les blogs menaceraient l’avenir des journaux ? Au Japon, le risque existerait car la popularité des romans de mobilophone est en constante progression.

    Toutefois, que les lettrés se rassurent : Il paraît que "Depuis qu'une des auteurs est passé sur un ordinateur pour écrire son nouveau roman, son vocabulaire est devenu plus riche et ses phrases plus longues."

    Au Japon, pays qui a donné au monde son premier roman - "le conte de Genji", l'accessibilité des cellulophones a coïncidé avec une génération de Japonais pour qui les cellulophones, plus que des PC, avaient été une partie intégrale de leurs vies depuis le lycée. Ainsi ils ont lu les romans sur leurs cellulophones, même si les mêmes emplacements de Web étaient également accessibles par ordinateur. Ils ont poinçonné hors des messages des textes avec leurs pouces avec la vitesse sans visibilité, et ont employé des expressions et des émoticônes, comme les smilies et les notes musicales. Ils ont eu le désir d'écrire et le cellulophone s'est avéré justement être là. Chiaki Ishihara, un expert en matière de littérature japonaise à l'université de Waseda, qui a étudié des romans de cellulophone, leur a accordé de donner le désir d’écrire." Des romanciers de cellulophone n'avaient jamais écrit de la fiction auparavant, et plusieurs de leurs lecteurs n'avaient jamais lu des romans, selon des éditeurs.

    Deux avis :

    James Bridle vient de terminer la lecture de son premier roman sur mobile et, enthousiaste, il va désormais lire plus de livres de cette manière.
    Voir article à l’adresse :  Going mobile

    Mike Elgan pour ComputerWorld s'interroge : Est-ce que les téléphones mobiles sauveront les livres ? Après avoir souligné la difficulté à reproduire le modèle japonais aux Etats-Unis, il fustige le déclin de la lecture causé selon lui par la même chose qui cause le déclin de la télévision : le fait de ne pas devenir suffisamment participatif !
    Voir article à l’adresse : Will cell phones save books?


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    Les bons polars de l'été (qu'on se le dise) par Okuba Kentaro

    Notre ami Denis Blémont-Cerli, Vox clamanti in deserto, a beau s’époumoner dans des diatribes rageuses que le monde entier nous envie, les ravages de la haute température se font désormais sentir dans les rangs. A l’heure où le site de Corsicapolar propose, de manière si alléchante, quarante-et-une secondes de sieste, le devoir nous appelle. Foin de cette propagande insidieuse, et des relents racistes, forcément racistes, qu’elle véhicule par l’eau claire de sa fontaine, il est temps d’attirer l’attention des actifs (et il y en a, scrongneugneu) sur les mérites de l’édition insulaire.

    Y a des gens qui bossent ici, de vrais vendangeurs du crime. L’année 2009 s’annonce d’ores et déjà comme un très bon cru, et parmi les bons textes de l’été, je propose cet échantillon établi selon l’ordre alphabétique. Je précise tout de suite qu’il est partial, les livres présentés ici m’ayant été offerts par les auteurs ou les éditeurs.

     

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    Complices obscurs. Jean-Paul Ceccaldi a changé de maison d’édition. Mieux, il a créé sa propre maison, les éditions Ancre Latine, histoire d’avoir les coudées franches. Le résultat, un volume à la couverture en camaïeu de bleu marine, intrigant et élégant. A l’intérieur, on retrouve tout de suite la patte de Ceccaldi, ce mélange unique de violence, d’introspection et de culture. Même si l’action se déroule en grande partie à Marseille, le lien avec l’île est permanent. Mathieu Difrade, le célèbre flicorse, se retrouve en effet contraint, par les liens de l’amitié, de rendre service à un autre insulaire qu’il ne respecte pas forcément. Jacques Santi, mercenaire en fin de parcours, soupçonné de meurtre sur l’un de ses anciens camarades, n’a défendu aucune des valeurs d’amour et d’entraide qui fondent la personnalité profonde de Difrade. En Afrique, Santi a commis le mal absolu, massacrant des innocents, tuant des civils, se perdant dans les délires d’après-bataille. Il porte cette part d’ombre, son cœur de ténèbres pour reprendre l’expression de Conrad, comme une croix immense, une sorte de catenaciù interminable. Il n’y a peut-être rien à sauver en lui, sinon ce désir de rachat. Avec en fil rouge, les poèmes douloureux et criés de Louis Brauquier, grand poète marseillais, Difrade descend aux enfers, lentement, à peine certain de trouver la lumière, alors que le soleil, rouge et gigantesque, arde la cité phocéenne, tel un démon torturant une âme maudite. Vous avez dit, culpabilité ?

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    Le retour de Don Giovanni. Edité désormais chez Mélis, la maison d’édition niçoise qui publie notamment l’excellent Paul Carta, Jean-Pierre Orsi déboule ici avec la force d’un sanglier solitaire et la puissance de feu d’un porte-avions. Don Giovanni, que l’auteur compare malicieusement à Don Camillo, a tout pour constituer un personnage haut en couleurs. Gauchiste, gueulard, coucheur, vivant quoi, et fier de se présenter en homme complet devant ses concitoyens, péteux et médisants. On l’accuse de la mort de son cousin, car ce dernier a prononcé son nom avant de mourir, tué par deux coups de fusil de chasse dans le maquis. Si les gendarmes enquêtent de manière plus ou moins impartiale, Don Giovanni préfère agir par lui-même. En recherchant le coupable, il ouvre une porte condamnée depuis des décennies, celle de sa propre mémoire. La grande force du roman est dans ce basculement du polar dans le noir de la conscience coupable et des sordides secrets de famille. Le retour est ici plus historique que géographique. N’ouvrez jamais les placards de la généalogie, car les squelettes que vous découvrirez sont les vôtres et ils ont été tués par les vôtres également. Un excellent roman, noir à souhait, la lecture idéale de ceux qui ne veulent pas rester griller sur la plage.

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     C’est tout. Il fallait crier et j’ai crié. Bon, c’est pas tout ça, maintenant je vais me coucher. Sans blague.

    Cosu Nostru, Jean-Pierre Arrio, Albiana Nera, Ajaccio, 132 p, 9 €

    Complices obscurs, Jean-Paul Ceccaldi, Editions Ancre latine, Coti-Chiavari, 201 p., 14 €

    Palermu, Alain De Rocco et Petr’Anto Scolca, Albiana Nera, Ajaccio, 245 p, 9 €

    Les rochers rouges, Archange Morelli, Albiana Nera, Ajaccio, 209 p, 9 €

    Le retour de Don Giovanni, Jean-Pierre Orsi, Editions Mélis, Nice, 221 p., 16 €

    Le dernier tueur de l’organisation, André Mastor, Albiana Nera, Ajaccio, 310 p, 9 €

     


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