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La main peut être meurtrière ou bien salvatrice. Il y a la main du crime et celle de la Justice. Elle peut être lourde ou légère, se crisper ou se tendre. " Il n'aurait fallu qu'un instant de plus pour que la mort vienne ; ta main est venue ; elle a pris la mienne " (Aragon) Elle peut être menaçante ou, main dans la main, fraternelle. Elle peut être un moyen d’expression avec ou sans parole…
La première forme de peinture réalisée par l'homme, il y a près de 40 000 ans, ce sont des empreintes négatives ou positives de mains. Darwin a écrit que " L'homme n'aurait jamais atteint sa place prépondérante dans le monde sans l'usage de ses mains ". Le philosophe Engels a écrit un essai intitulé Du rôle de la main dans la transformation du singe en homme : la main est synonyme de travail et de dignité. Ne dit-on pas de quelqu’un qui travaille dur : " Il n’est pas manchot " ou bien " Il met la main à la pâte. " Garder les mains dans les poches ", " avoir un poil dans la main " (poil qui ne peut pousser que par manque d'usage) sont des expressions courantes pour désigner un paresseux, un gros fainéant. ". Le travail de la main est souvent considéré comme un travail de qualité : " fait main ", " cousu main ", " ramassé à la main ". C'est aussi un signe d'appartenance à une classe sociale : " mains calleuses " pour ceux qui sont employés à des tâches manuelles, " mains blanches " pour ceux qui ont des professions intellectuelles ou qui n'ont pas besoin de " se salir les mains " à travailler. Et puis l'expression " se salir les mains " signifie également " se compromettre ". Dans le débat philosophique sur la morale, il était reproché aux Kantiens de ne pas avoir de mains. Les mains sont présentes dans les croyances : La main de Fâtima chez les Musulmans, les stigmates de la crucifixion chez les Catholiques, l’apposition des mains pour accomplir les miracles, les lignes de la main… En héraldique, la main fermée signifie le secret et la main ouverte, la confiance.
Les caresses sont réservées à l’intimité… Poignée de main, baisemain, mais aussi gifle, claque et tape sont au nombre des rares formes de contact physique conventionnellement admises dans nos vies courantes y compris entre individus ne partageant pas une intimité particulière. Dans ce cadre, une main molle et une poigne de fer sont réputés être les marques d'un tempérament particulier. Certains n’hésitent pas à " vous passer la main dans le dos " pour vous amadouer. C'est souvent la main qui sert à arrêter une négociation, à s'engager : " top-là " L'appartenance mutuelle des époux est aussi symbolisée par un anneau qu'ils portent à la main. D'ailleurs, on dit que le père de la promise consent à donner la main de sa fille. Jusqu'au début du XIXe siècle la nudité de la main d'une femme était le signe de sa reddition amoureuse : l'amant avait " tout " lorsque sa belle " ôtait les gants ". La main sert à donner et à recevoir : " La main qui donne est bien plus heureuse que celle qui reçoit " (Actes des apôtres) …
Dans certaines cultures ou certains pays, on tranche (ou l'on tranchait) la main des voleurs. C'est notamment le cas des états qui appliquent la loi coranique : Le voleur et la voleuse, à tous deux coupez la main...
Et puis, dans la littérature, il y a de glorieuses ou sombres histoires de mains coupées… Dans les glorieuses, on peut citer " La main coupée " de Blaise Cendrars. C et ouvrage est une œuvre autobiographique dans laquelle Blaise Cendrars (1887-1961) évoque son expérience de la guerre de 14-18. De nationalité suisse, il s'est alors engagé comme volontaire étranger dans l'armée française et il a perdu sa main droite au combat le 28 septembre 1915. Il obtiendra par la suite la nationalité française. Le roman " La main coupée " est édité chez Gallimard collection Folio. Un épisode de Fantomas est intitulé La Main coupée.
Deux histoires à une main:
Aujourd’hui, histoire de passer la main aux histoires sombres, nous avons choisi que Guy de Maupassant vous raconte deux histoires de mains d’hier puisque cela remonte au 19ème siècle… Il s’agit de deux récits à une main. Voici donc… La Main et La main d’écorché.
LA MAIN, Récit paru dans le Gaulois du 23 décembre 1883 puis dans Les Contes du Jour et de la Nuit en 1885
( Avertissement : Lorsque, dans les dialogues, vous trouvez des textes écrits phonétiquement, c’est un Anglais qui parle le français comme une vache espagnole…)
On faisait cercle autour de M. Bermutier, juge d'instruction qui donnait son avis sur l'affaire mystérieuse de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime affolait Paris. Personne n'y comprenait rien.
M. Bermutier, debout, le dos à la cheminée, parlait, assemblait les preuves, discutait les diverses opinions, mais ne concluait pas.
Plusieurs femmes s'étaient levées pour s'approcher et demeuraient debout, l'œil fixé sur la bouche rasée du magistrat d'où sortaient les paroles graves. Elles frissonnaient, vibraient, crispées par leur peur curieuse, par l'avide et insatiable besoin d'épouvante qui hante leur âme, les torture comme une faim.
Une d'elles, plus pâle que les autres, prononça pendant un silence :
- C'est affreux. Cela touche au "surnaturel". On ne saura jamais rien.
Le magistrat se tourna vers elle :
- Oui, madame, il est probable qu'on ne saura jamais rien. Quant au mot "surnaturel" que vous venez d'employer, il n'a rien à faire ici. Nous sommes en présence d'un crime fort habilement conçu, fort habilement exécuté, si bien enveloppé de mystère que nous ne pouvons le dégager des circonstances impénétrables qui l'entourent. Mais j'ai eu, moi, autrefois, à suivre une affaire où vraiment semblait se mêler quelque chose de fantastique. Il a fallu l'abandonner, d'ailleurs, faute de moyens de l'éclaircir.
Plusieurs femmes prononcèrent en même temps, si vite que leurs voix n'en firent qu'une :
- Oh ! Dites-nous cela.
M. Bermutier sourit gravement, comme doit sourire un juge d'instruction. Il reprit:
- N'allez pas croire, au moins, que j'aie pu, même un instant, supposer en cette aventure quelque chose de surhumain. Je ne crois qu'aux causes normales. Mais si, au lieu d'employer le mot "surnaturel" pour exprimer ce que nous ne comprenons pas, nous nous servions simplement du mot "inexplicable", cela vaudrait beaucoup mieux. En tout cas, dans l'affaire que je vais vous dire, ce sont surtout les circonstances environnantes, les circonstances préparatoires qui m'ont ému. Enfin, voici les faits :
J'étais alors juge d'instruction à Ajaccio, une petite ville blanche, couchée au bord d'un admirable golfe qu'entourent partout de hautes montagnes.
Ce que j'avais surtout à poursuivre là-bas, c'étaient les affaires de vendetta. Il y en a de superbes, de dramatiques au possible, de féroces, d'héroïques. Nous retrouvons là les plus beaux sujets de vengeance qu'on puisse rêver, les haines séculaires, apaisées un moment, jamais éteintes, les ruses abominables, les assassinats devenant des massacres et presque des actions glorieuses. Depuis deux ans, je n'entendais parler que du prix du sang, que de ce terrible préjugé corse qui force à venger toute injure sur la personne qui l'a faite, sur ses descendants et ses proches. J'avais vu égorger des vieillards, des enfants, des cousins, j'avais la tête pleine de ces histoires.
Or, j'appris un jour qu'un Anglais venait de louer pour plusieurs années une petite villa au fond du golfe. Il avait amené avec lui un domestique français, pris à Marseille en passant.
Bientôt tout le monde s'occupa de ce personnage singulier, qui vivait seul dans sa demeure, ne sortant que pour chasser et pour pêcher. Il ne parlait à personne, ne venait jamais à la ville, et, chaque matin, s'exerçait pendant une heure ou deux, à tirer au pistolet et à la carabine.
Des légendes se firent autour de lui. On prétendit que c'était un haut personnage fuyant sa patrie pour des raisons politiques ; puis on affirma qu'il se cachait après avoir commis un crime épouvantable. On citait même des circonstances particulièrement horribles.
Je voulus, en ma qualité de juge d'instruction, prendre quelques renseignements sur cet homme ; mais il me fut impossible de rien apprendre. Il se faisait appeler sir John Rowell.
Je me contentai donc de le surveiller de près ; mais on ne me signalait, en réalité, rien de suspect à son égard.
Cependant, comme les rumeurs sur son compte continuaient, grossissaient, devenaient générales, je résolus d'essayer de voir moi-même cet étranger, et je me mis à chasser régulièrement dans les environs de sa propriété.
J'attendis longtemps une occasion. Elle se présenta enfin sous la forme d'une perdrix que je tirai et que je tuai devant le nez de l'Anglais. Mon chien me la rapporta ; mais, prenant aussitôt le gibier, j'allai m'excuser de mon inconvenance et prier sir John Rowell d'accepter l'oiseau mort.
C'était un grand homme à cheveux rouges, à barbe rouge, très haut, très large, une sorte d'hercule placide et poli. Il n'avait rien de la raideur dite britannique et il me remercia vivement de ma délicatesse en un français accentué d'outre-Manche. Au bout d'un mois, nous avions causé ensemble cinq ou six fois.
Un soir enfin, comme je passais devant sa porte, je l'aperçus qui fumait sa pipe, à cheval sur une chaise, dans son jardin. Je le saluai, et il m'invita à entrer pour boire un verre de bière. Je ne me le fis pas répéter.
Il me reçut avec toute la méticuleuse courtoisie anglaise, parla avec éloge de la France, de la Corse, déclara qu'il aimait beaucoup cette pays, cette rivage.
Alors je lui posai, avec de grandes précautions et sous la forme d'un intérêt très vif, quelques questions sur sa vie, sur ses projets. Il répondit sans embarras, me raconta qu'il avait beaucoup voyagé, en Afrique, dans les Indes, en Amérique. Il ajouta en riant :
- J'avé eu bôcoup d'aventures, oh! yes.
Puis je me remis à parler chasse, et il me donna des détails les plus curieux sur la chasse à l'hippopotame, au tigre, à l'éléphant et même la chasse au gorille.
Je dis:
- Tous ces animaux sont redoutables.
Il sourit:
- Oh! nô, le plus mauvais c'été l'homme.
Il se mit à rire tout à fait, d'un bon rire de gros Anglais content:
- J'avé beaucoup chassé l'homme aussi.
Puis il parla d'armes, et il m'offrit d'entrer chez lui pour me montrer des fusils de divers systèmes.
Son salon était tendu de noir, de soie noire brodée d'or. De grandes fleurs jaunes couraient sur l'étoffe sombre, brillaient comme du feu.
Il annonça:
- C'été une drap japonaise.
Mais, au milieu du plus large panneau, une chose étrange me tira l'œil. Sur un carré de velours rouge, un objet noir se détachait. Je m'approchai: c'était une main, une main d'homme. Non pas une main de squelette, blanche et propre, mais une main noire desséchée, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme d'un coup de hache, vers le milieu de l'avant bras.
Autour du poignet, une énorme chaîne de fer, rivée, soudée à ce membre malpropre, l'attachait au mur par un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse.
Je demandai:
- Qu'est-ce que cela?
L'Anglais répondit tranquillement:
- C'été ma meilleur ennemi. Il vené d'Amérique. Il avé été fendu avec le sabre et arraché la peau avec une caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit jours. Aoh, très bonne pour moi, cette.
Je touchai ce débris humain qui avait dû appartenir à un colosse. Les doigts, démesurément longs, étaient attachés par des tendons énormes que retenaient des lanières de peau par places. Cette main était affreuse à voir, écorchée ainsi, elle faisait penser naturellement à quelque vengeance de sauvage.
Je dis:
- Cet homme devait être très fort.
L'Anglais prononça avec douceur:
- Aoh yes; mais je été plus fort que lui. J'avé mis cette chaîne pour le tenir.
Je crus qu'il plaisantait. Je dis:
- Cette chaîne maintenant est bien inutile, la main ne se sauvera pas.
Sir John Rowell reprit gravement:
- Elle voulé toujours s'en aller. Cette chaîne été nécessaire.
D'un coup d'œil rapide j'interrogeai son visage, me demandant:
- Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant?
Mais la figure demeurait impénétrable, tranquille et bienveillante. Je parlai d'autre chose et j'admirai les fusils.
Je remarquai cependant que trois revolvers chargés étaient posés sur les meubles, comme si cet homme eût vécu dans la crainte constante d'une attaque.
Je revins plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'était accoutumé à sa présence; il était devenu indifférent à tous.
Une année entière s'écoula. Or, un matin, vers la fin de novembre, mon domestique me réveilla en m'annonçant que sir John Rowell avait été assassiné dans la nuit.
Une demi-heure plus tard, je pénétrais dans la maison de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine de gendarmerie. Le valet, éperdu et désespéré, pleurait devant la porte. Je soupçonnai d'abord cet homme, mais il était innocent.
On ne put jamais trouver le coupable.
En entrant dans le salon de sir John, j'aperçus du premier coup d'œil le cadavre étendu sur le dos, au milieu de la pièce.
Le gilet était déchiré, une manche arrachée pendait, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu.
L'Anglais était mort étranglé! Sa figure noire et gonflée, effrayante, semblait exprimer une épouvante abominable; il tenait entre ses dents serrées quelque chose; et le cou, percé de cinq trous qu'on aurait dits faits avec des pointes de fer, était couvert de sang.
Un médecin nous rejoignit. Il examina longtemps les traces des doigts dans la chair et prononça ces étranges paroles:
- On dirait qu'il a été étranglé par un squelette.
Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux sur le mur, à la place où j'avais vu jadis l'horrible main d'écorché. Elle n'y était plus. La chaîne, brisée, pendait.
Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans sa bouche crispée un des doigts de cette main disparue, coupé ou plutôt scié par les dents juste à la deuxième phalange.
Puis on procéda aux constatations. On ne découvrit rien. Aucune porta n'avait été forcée, aucune fenêtre, aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s'étaient pas réveillés.
Voici, en quelques mots, la déposition du domestique:
Depuis un mois, son maître semblait agité. Il avait reçu beaucoup de lettres, brûlées à mesure.
Souvent, prenant une cravache, dans une colère qui semblait de démence, il avait frappé avec fureur cette main séchée, scellée au mur et enlevée, on ne sait comment, à l'heure même du crime.
Il se couchait fort tard et s'enfermait avec soin. Il avait toujours des armes à portée du bras. Souvent, la nuit, il parlait haut, comme s'il se fût querellé avec quelqu'un.
Cette nuit-là, par hasard, il n'avait fait aucun bruit, et c'est seulement en venant ouvrir les fenêtres que le serviteur avait trouvé sir John assassiné. Il ne soupçonnait personne.
Je communiquai ce que je savais du mort aux magistrats et aux officiers de la force publique, et on fit dans toute l'île une enquête minutieuse. On ne découvrit rien.
Or, une nuit, trois mois après le crime, j'eus un affreux cauchemar. Il me sembla que je voyais la main, l'horrible main, courir comme un scorpion ou comme une araignée le long de mes rideaux et de mes murs. Trois fois, je me réveillai, trois fois je me rendormis, trois fois je revis le hideux débris galoper autour de ma chambre en remuant les doigts comme des pattes.
Le lendemain, on me l'apporta, trouvé dans le cimetière, sur la tombe de sir John Rowell, enterré là; car on n'avait pu découvrir sa famille. L'index manquait.
Voilà, mesdames, mon histoire. Je ne sais rien de plus.
Les femmes, éperdues, étaient pâles, frissonnantes. Une d'elles s'écria:
- Mais ce n'est pas un dénouement cela, ni une explication! Nous n'allons pas dormir si vous ne nous dites pas ce qui s'était passé, selon vous.
Le magistrat sourit avec sévérité:
- Oh! moi, mesdames, je vais gâter, certes, vos rêves terribles. Je pense tout simplement que le légitime propriétaire de la main n'était pas mort, qu'il est venu la chercher avec celle qui lui restait. Mais je n'ai pu savoir comment il a fait, par exemple. C'est là une sorte de vendetta.
Une des femmes murmura:
- Non, ça ne doit pas être ainsi.
Et le juge d'instruction, souriant toujours, conclut:
- Je vous avais bien dit que mon explication ne vous irait pas.
LA MAIN D'ÉCORCHÉ, texte publié dans L'Almanach lorrain de Pont-à-Mousson de 1875 sous la signature de Joseph Prunier.
Il y a huit mois environ, un de mes amis, Louis R..., avait réuni, un soir, quelques camarades de collège ; nous buvions du punch et nous fumions en causant littérature, peinture, et en racontant, de temps à autre, quelques joyeusetés, ainsi que cela se pratique dans les réunions de jeunes gens. Tout à coup la porte s'ouvre toute grande et un de mes bons amis d'enfance entre comme un ouragan. "Devinez d'où je viens, s'écria-t-il aussitôt. - Je parie pour Mabille, répond l'un, - non, tu es trop gai, tu viens d'emprunter de l'argent, d'enterrer ton oncle, ou de mettre ta montre chez ma tante, reprend un autre. - Tu viens de te griser, riposte un troisième, et comme tu as senti le punch chez Louis, tu es monté pour recommencer. - Vous n'y êtes point, je viens de P... en Normandie, où j'ai été passer huit jours et d'où je rapporte un grand criminel de mes amis que je vous demande la permission de vous présenter." A ces mots, il tira de sa poche une main d'écorché ; cette main était affreuse, noire, sèche, très longue et comme crispée, les muscles, d'une force extraordinaire, étaient retenus à l'intérieur et à l'extérieur par une lanière de peau parcheminée, les ongles jaunes, étroits, étaient restés au bout des doigts ; tout cela sentait le scélérat d'une lieue. "Figurez-vous, dit mon ami, qu'on vendait l'autre jour les défroques d'un vieux sorcier bien connu dans toute la contrée ; il allait au sabbat tous les samedis sur un manche à balai, pratiquait la magie blanche et noire, donnait aux vaches du lait bleu et leur faisait porter la queue comme celle du compagnon de saint Antoine. Toujours est-il que ce vieux gredin avait une grande affection pour cette main, qui, disait-il, était celle d'un célèbre criminel supplicié en 1736, pour avoir jeté, la tête la première, dans un puits sa femme légitime, ce quoi faisant je trouve qu'il n'avait pas tort, puis pendu au clocher de l'église le curé qui l'avait marié. Après ce double exploit, il était allé courir le monde et dans sa carrière aussi courte que bien remplie, il avait détroussé douze voyageurs, enfumé une vingtaine de moines dans leur couvent et fait un sérail d'un monastère de religieuses. - Mais que vas-tu faire de cette horreur ? nous écriâmes-nous. - Eh parbleu, j'en ferai mon bouton de sonnette pour effrayer mes créanciers. - Mon ami, dit Henri Smith, un grand Anglais très flegmatique, je crois que cette main est tout simplement de la viande indienne conservée par le procédé nouveau, je te conseille d'en faire du bouillon. - Ne raillez pas, messieurs, reprit avec le plus grand sang-froid un étudiant en médecine aux trois quarts gris, et toi, Pierre, si j'ai un conseil à te donner, fais enterrer chrétiennement ce débris humain, de crainte que son propriétaire ne vienne te le redemander ; et puis, elle a peut-être pris de mauvaises habitudes cette main, car tu sais le proverbe : "Qui a tué tuera." - Et qui a bu boira", reprit l'amphitryon. Là-dessus il versa à l'étudiant un grand verre de punch, l'autre l'avala d'un seul trait et tomba ivre-mort sous la table. Cette sortie fut accueillie par des rires formidables, et Pierre élevant son verre et saluant la main : "Je bois, dit-il, à la prochaine visite de ton maître", puis on parla d'autre chose et chacun rentra chez soi.
Le lendemain, comme je passais devant sa porte, j'entrai chez lui, il était environ deux heures, je le trouvai lisant et fumant. "Eh bien, comment vas-tu ? lui dis-je. - Très bien, me répondit-il. - Et ta main ? - Ma main, tu as dû la voir à ma sonnette où je l'ai mise hier soir en rentrant, mais à ce propos figure-toi qu'un imbécile quelconque, sans doute pour me faire une mauvaise farce, est venu carillonner à ma porte vers minuit ; j'ai demandé qui était là, mais comme personne ne me répondait, je me suis recouché et rendormi."
En ce moment, on sonna, c'était le propriétaire, personnage grossier et fort impertinent. Il entra sans saluer. "Monsieur, dit-il à mon ami, je vous prie d'enlever immédiatement la charogne que vous avez pendue à votre cordon de sonnette, sans quoi je me verrai forcé de vous donner congé. - Monsieur, reprit Pierre avec beaucoup de gravité, vous insultez une main qui ne le mérite pas, sachez qu'elle a appartenu à un homme fort bien élevé." Le propriétaire tourna les talons et sortit comme il était entré. Pierre le suivit, décrocha sa main et l'attacha à la sonnette pendue dans son alcôve. "Cela vaut mieux, dit-il, cette main, comme le "Frère, il faut mourir" des Trappistes, me donnera des pensées sérieuses tous les soirs en m'endormant." Au bout d'une heure je le quittai et je rentrai à mon domicile.
Je dormis mal la nuit suivante, j'étais agité, nerveux ; plusieurs fois je me réveillai en sursaut, un moment même je me figurai qu'un homme s'était introduit chez moi et je me levai pour regarder dans mes armoires et sous mon lit ; enfin, vers six heures du matin, comme je commençais à m'assoupir, un coup violent frappé à ma porte, me fit sauter du lit ; c'était le domestique de mon ami, à peine vêtu, pâle et tremblant. "Ah monsieur ! s'écria-t-il en sanglotant, mon pauvre maître qu'on a assassiné." Je m'habillai à la hâte et je courus chez Pierre. La maison était pleine de monde, on discutait, on s'agitait, c'était un mouvement incessant, chacun pérorait, racontait et commentait l'événement de toutes les façons. Je parvins à grand-peine jusqu'à la chambre, la porte était gardée, je me nommai, on me laissa entrer. Quatre agents de la police étaient debout au milieu, un carnet à la main, ils examinaient, se parlait bas de temps en temps et écrivaient ; deux docteurs causaient près du lit sur lequel Pierre était étendu sans connaissance. Il n'était pas mort, mais il avait un aspect effrayant. Ses yeux démesurément ouverts, ses prunelles dilatées semblaient regarder fixement avec une indicible épouvante une chose horrible et inconnue, ses doigts étaient crispés, son corps, à partir du menton, était recouvert d'un drap que je soulevai. Il portait au cou les marques de cinq doigts qui s'étaient profondément enfoncés dans la chair, quelques gouttes de sang maculaient sa chemise. En ce moment une chose me frappa, je regardai par hasard la sonnette de son alcôve, la main d'écorché n'y était plus. Les médecins l'avaient sans doute enlevée pour ne point impressionner les personnes qui entreraient dans la chambre du blessé, car cette main était vraiment affreuse. Je ne m'informai point de ce qu'elle était devenue.
Je coupe maintenant, dans un journal du lendemain, le récit du crime avec tous les détails que la police a pu se procurer. Voici ce qu'on y lisait :
"Un attentat horrible a été commis hier sur la personne d'un jeune homme, M. Pierre B..., étudiant en droit, qui appartient à une des meilleures familles de Normandie. Ce jeune homme était rentré chez lui vers dix heures du soir, il renvoya son domestique, le sieur Bouvin, en lui disant qu'il était fatigué et qu'il allait se mettre au lit. Vers minuit, cet homme fut réveillé tout à coup par la sonnette de son maître qu'on agitait avec fureur. Il eut peur, alluma une lumière et attendit ; la sonnette se tut environ une minute, puis reprit avec une telle force que le domestique, éperdu de terreur, se précipita hors de sa chambre et alla réveiller le concierge, ce dernier courut avertir la police et, au bout d'un quart d'heure environ, deux agents enfonçaient la porte. Un spectacle horrible s'offrit à leurs yeux, les meubles étaient renversés, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu entre la victime et le malfaiteur. Au milieu de la chambre, sur le dos, les membres raides, la face livide et les yeux effroyablement dilatés, le jeune Pierre B... gisait sans mouvement ; il portait au cou les empreintes profondes de cinq doigts. Le rapport du docteur Bourdeau, appelé immédiatement, dit que l'agresseur devait être doué d'une force prodigieuse et avoir une main extraordinairement maigre et nerveuse, car les doigts qui ont laissé dans le cou comme cinq trous de balle s'étaient presque rejoints à travers les chairs. Rien ne peut faire soupçonner le mobile du crime, ni quel peut en être l'auteur. La justice informe."
On lisait le lendemain dans le même journal :
"M. Pierre B..., la victime de l'effroyable attentat que nous racontions hier, a repris connaissance après deux heures de soins assidus donnés par M. le docteur Bourdeau. Sa vie n'est pas en danger, mais on craint fortement pour sa raison ; on n'a aucune trace du coupable."
En effet, mon pauvre ami était fou ; pendant sept mois j'allai le voir tous les jours à l'hospice où nous l'avions placé, mais il ne recouvra pas une lueur de raison. Dans son délire, il lui échappait des paroles étranges et, comme tous les fous, il avait une idée fixe, il se croyait toujours poursuivi par un spectre. Un jour, on vint me chercher en toute hâte en me disant qu'il allait plus mal, je le trouvai à l'agonie. Pendant deux heures, il resta fort calme, puis tout à coup, se dressant sur son lit malgré nos efforts, il s'écria en agitant les bras et comme en proie à une épouvantable terreur : "Prends-la ! prends-la ! Il m'étrangle, au secours, au secours !" Il fit deux fois le tour de la chambre en hurlant, puis il tomba mort, la face contre terre.
Comme il était orphelin, je fus chargé de conduire son corps au petit village de P... en Normandie, où ses parents étaient enterrés. C'est de ce même village qu'il venait, le soir où il nous avait trouvés buvant du punch chez Louis R... et où il nous avait présenté sa main d'écorché. Son corps fut enfermé dans un cercueil de plomb, et quatre jours après, je me promenais tristement avec le vieux curé qui lui avait donné ses premières leçons, dans le petit cimetière où l'on creusait sa tombe. Il faisait un temps magnifique, le ciel tout bleu ruisselait de lumière, les oiseaux chantaient dans les ronces du talus, où bien des fois, enfants tous deux, nous étions venus manger des mûres. Il me semblait encore le voir se faufiler le long de la haie et se glisser par le petit trou que je connaissais bien, là-bas, tout au bout du terrain où l'on enterre les pauvres, puis nous revenions à la maison, les joues et les lèvres noires de jus des fruits que nous avions mangés ; et je regardai les ronces, elles étaient couvertes de mûres ; machinalement j'en pris une, et je la portai à ma bouche ; le curé avait ouvert son bréviaire et marmottait tout bas ses oremus, et j'entendais au bout de l'allée la bêche des fossoyeurs qui creusaient la tombe. Tout à coup, ils nous appelèrent, le curé ferma son livre et nous allâmes voir ce qu'ils nous voulaient. Ils avaient trouvé un cercueil. D'un coup de pioche, ils firent sauter le couvercle et nous aperçûmes un squelette démesurément long, couché sur le dos, qui, de son oeil creux, semblait encore nous regarder et nous défier ; j'éprouvai un malaise, je ne sais pourquoi j'eus presque peur. "Tiens ! s'écria un des hommes, regardez donc, le gredin a un poignet coupé, voilà sa main." Et il ramassa à côté du corps une grande main desséchée qu'il nous présenta. "Dis donc, fit l'autre en riant, on dirait qu'il te regarde et qu'il va te sauter à la gorge pour que tu lui rendes sa main. - Allons mes amis, dit le curé, laissez les morts en paix et refermez ce cercueil, nous creuserons autre part la tombe de ce pauvre monsieur Pierre.
Le lendemain tout était fini et je reprenais la route de Paris après avoir laissé cinquante francs au vieux curé pour dire des messes pour le repos de l'âme de celui dont nous avions ainsi troublé la sépulture.
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A propos du polar régional
1°/ Définition de la littérature régionale par Elodie Charbonnier, docteur es Lettres modernes :
Les écrits de Nathalie Caradec proposés dans une étude sur la littérature de Bretagne illustrent parfaitement la difficulté de donner une définition, ne serait-ce qu’à l’échelle d’une seule région :
Nous considérons la littérature bretonne de langue française comme si l'ensemble ainsi défini allait de soi, pourtant nous ne pouvons pas éviter le débat lancé depuis une trentaine d'années sur cette terminologie. En effet, dans les années 1970, la discussion a été ouverte dans les colonnes de la revue Bretagnes […]. Cette revue littéraire et politique a soulevé un certain nombre de questions et cherché des critères pour caractériser cette littérature. […] Plus récemment, Pascal Rannou s'est penché sur le sujet […]. En 1993, il retrace la chronologie de ce débat inachevé et problématique. Quelques années plus tard, Marc Gontard souligne la « difficulté de mettre en œuvre des critères décisifs de détermination » mais essaie de trouver « un certain nombre d'indices, thématiques ou formels, spécifiques d'un imaginaire ou d'une pratique textuelle, qui [lui] semblent caractériser cet ensemble nécessairement « pluriel » […] pour lequel on peut revendiquer le nom de littérature bretonne de langue française. » Plus récemment, Marc Gontard considère que l'expression désigne « toute pratique textuelle où la question de l'identité, comme patrimoine culturel, travaille la question de l'écriture. »
Privilégiant l’expression « littérature régionale » et non « régionaliste », toute connotation à caractère uniquement politique est donc exclue de cette étude. J’entends ainsi parler d’une littérature en région et non pas seulement d’un mouvement littéraire revendicateur ou contestataire. Néanmoins, la question de l’identité régionale reviendra obligatoirement dès lors que nous nous attacherons à l’étude de régions comme la Corse, la Bretagne ou le Pays basque.
Si la littérature se décline en plusieurs genres reconnus, la « littérature régionale » n’en fait pas partie. Pourtant, il s’agit bien d’une forme littéraire particulière se distinguant du roman ou de la nouvelle généraliste. Présente au cœur de nos terres, cette littérature porte en elle une culture et retranscrit l’âme de sa région. Certes, notre étude ne portera pas sur les langues régionales mais il est indéniable que cette littérature contient des particularismes linguistiques propres au régionalisme. Ainsi, les nombreuses expressions linguistiques régionales ne sont guères employées dans la littérature dite « généraliste ». De fait, il ne faut pas ignorer les spécificités propres à chacune de ces régions pour les englober dans une unicité nationale.
La littérature corse résulte des pratiques ancestrales d’une littérature orale. Ayant subi des transformations constantes par l’alphabétisation et l’apparition de supports écrits ou audiovisuels, elle conserve encore aujourd’hui les traces de son histoire. Ainsi, certaines pratiques des littératures orales se sont donc transformées en littératures écrites ou même chantées. Évidemment, toutes les régions françaises ne revendiquent pas autant les questions identitaires que la Corse, l’Alsace ou bien la Bretagne. Néanmoins, toutes les régions possèdent une identité, une histoire et des particularismes propres parfaitement représentés par la littérature régionale.
Garante de la conservation et de la protection d’un patrimoine culturel, la « littérature régionale » devrait être au cœur de certaines préoccupations. En effet, à l’heure de la mondialisation, nombreuses sont les entreprises réalisées pour préserver les régions d’une unicité nationale ôtant toutes les spécificités locales. Ainsi, la démarche de reconnaissance d’une littérature régionale en tant que telle s’inscrit dans le contexte actuel de conservation de l’identité des minorités culturelles.
Souvent jugée péjorativement et réduite au simple folklore local, la « littérature régionale » est pourtant un genre abondant qui concerne de nombreux acteurs du livre. Il répond ainsi à une demande d’un public soucieux de se rapprocher de sa région, de sa culture.
« [C]'est au moment fort [d'une] prise de conscience que la littérature régionale émerge de par la volonté d'un groupe qui la voit comme un bien collectif important à revendiquer et à développer ». La littérature régionale, liée au développement et à la survie du groupe qu'elle représente, « vivra plus ou moins dans la mesure où elle accompagnera ce groupe dans son cheminement historique ».
Je considère comme littérature régionale tout ouvrage littéraire de langue française affichant un rapport à sa région et édité dans celle-ci.
Le choix des auteurs régionaux est le premier critère de sélection des ouvrages. Selon moi, l’auteur ne doit pas nécessairement être issu de la région dont il s’inspire, ni forcément y écrire, pour l’utiliser à des fins littéraires. Dans l’objet de ma problématique, il semble moins intéressant de considérer comme écrivain régional l’auteur qui possède ses racines en région, qui y écrit et y est édité mais qui n’y s’y réfère jamais.
Différentes thématiques permettent de situer les ouvrages littéraires régionaux. Utiliser la région comme lieu d’action romanesque est une première possibilité ; ainsi, elle apparaît comme un repère géographique et culturel pour l’auteur mais aussi pour le lecteur. L’intervention d’un folklore régional incluant contes et légendes populaires est un autre moyen de « régionaliser » son ouvrage tout comme l’utilisation de la mémoire collective ; par cette dernière, j’entends parler des ouvrages littéraires liés à une histoire locale touchant des événements comme la Résistance en Alsace au cours de la seconde Guerre Mondiale ou le Débarquement en Normandie."
Extrait de la Thèse de Doctorat présentée par Elodie Charbonnier.
2°/ Le polar régional :
En premier lieu en France et en Italie., le polar régional doit sans doute beaucoup au néo –polar, comme celui-ci doit quelque chose au roman noir américain… On peut considérer que, sous l’influence de Hardboiled, le roman noir français a évolué en roman social baptisé « Néo-polar ». C’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression!... C’est aussi le roman de la ville : « … La ville reste plus que jamais le lieu privilégié du polar. Seulement ce n’est plus le centre urbain qui prime. L’action se passe maintenant dans les banlieues, la zone, ou les quartiers populaires, voire marginaux. De nouvelles couches sociales sont apparues. Les minorités : arméniennes, bretonnes, travailleurs immigrés, délinquants, terroristes, paumés, zonards, trimards, mouisards, loubards, losers, toutes générations confondue… » ( Annne Pambrun Bibliosurf ).Le polar a fini par quitter ses capitales : Paris, Londres , new-York…C’est Manuel Vasquez Montalban, avec sa ville Barcelone, qui en a ouvert la voie dans les années 1970. Il est l’inventeur de Pépé Carvalho, personnage représentatif de la capitale catalane espagnole. Il a déclenché l’apparition d’une vague d’auteurs revendiquant leur identité, leur culture, leur ville… En Italie, Andrea Camilleri va même appeler son héros récurrent « Montabalno » en hommage à l’auteur Catalan et en France, Jean-Claude Izzo va s’inspirer de Pépé Carvalho pour inventer Fabio Montale (Montale comme Montalban).
Andréa Camilleri est l'auteur le plus lu en Italie. Son héros le commissaire Montalbano est un sicilien acharné à faire toute la lumière au bout de ses enquêtes. Camilleri n’a jamais caché que, depuis son enfance, il vouait un culte particulier au Commissaire Jules Maigret. Il a lu Simenon alors qu’il signé encore sous le nom de Georges Sim et qu’il était publié par un bimensuel italien, avant de découvrir une série complète des Maigret éditée par Mondadori, éditeur italien. Maigret est devenu son modèle pour Montalbano.
Si le polar régional a trouvé un large lectorat avec de Montalban, Camilleri et Izzo, il a cependant d’autres précurseurs dans certaines régions comme la région marseillaise…
3°/ Le polar marseillais :
« Marseille est très loin de la France profonde engourdie dans ses principes. Métropole orientale, flibustière et vaguement métèque, elle présente le visage ambigu d’un monde pétri de misères et d’ambition » nous dit Mauirice Gouiran, auteur marseillais.
Avec son roman Total Khéops nparu en 1995, Jean-Claude Izzo a fait monter le polar marseillais à Paris et, si Philippe Carrèse peut mettre en avant la publication de « Trois jours d’engatse » ( 1994, Collection Misteri de l’Editeur corse Méditorial) antérieure à celle de Total Khéops, on pourrait aussi citer d’autres polars plus anciens comme Les Chapacans d’Anne Barrière paru en 1993. Le débat sur l’antériorité des uns et des autres, nous fait remonter beaucoup plus loin, avant la première guerre mondiale, pour retrouver les pionniers de ce polar régional : Pierre Yrondy et Jean-Toussaint Samat.
Marius Pegomas , détective marseillais crée par Pierre Yrondy :
D’abord, il faut expliquer le patronyme Pegomas qui est aussi le nom d’une petite ville entre les massifs de l’Esterel et du Tanneron, dans la région de Grasse et le département des Alpes Martimes. Le mot provençal de « Pegomas » signe la « pégue » , la colle provençale. Ce mot à donné Pégon pour désigner un individu collant dont on ne peut pas se débarrasser. Voilà une indication sur l’acharnement du détective Marius Pegomas lorsque il a un os à ronger.
Son créateur Pierre Yrondy a créé ce personnage récurrent qui a fait l’objet de la parution de 35 fascicules connus aux Editions Baudinière. Tel qu’il apparaissait en illustration, il s’agit d’un personnage faisant les 30 à 40 ans, cheveux noir coupés courts et coiffés vers l’avant , portant une petite moustache bicéphale et une barbichette partant en pointe du milieu de la lèvre supérieure pour s’évaser sur le menton. Il a les yeux bleus très clairs, sourcils, barbes et moustaches soignés, le visage rond, le nez plongeant et fin. De ses lèvres bien dessinées, sort une pipe droite qu’il serre dans ses dents, crispant donc les mâchoires, ce qui a pour effet de faire descendre les commissures des lèvres donnant à la bouche une impression de sourire inversé, alors que le front fuyant marqué par quelques rides est soucieux.
Les 35 fascicules, publiés en 1936 par L’éditeur Baudinière, étaient vendus 1 francs. Nous avons retrouvé les titres : Les gangsters de la joliette – Le crime de l’Etang de Berre – Le trafiquant d’opium – Ficelé sur le rail – L’ogresse de la Canebière – L’étrange aventure de M. Toc – Les bijoux de Lady Merry – L’énigme de Monte Carlo – La terreur d’Aubagne – Un drame au Palis du Cristal – Le naufrage du Sphinx – Un vol de 3 millions – L’aveugle de N-D de la Garde – Le bout de cigare – Une disparition de Bourse – Un mariage tragique – Le Mystère du cabanon – Le revenant d’Aix – Les ciseaux d’argent – Le moulin sanglant – Les incendiaires de La Ciotat – Le doigt coupe – Le Roi de la neige – Une macabre distribution – Le vampire de Martigues – Un cimetière dans le jardin – Le sourire de mort – Un enlèvement audacieux – Le cœur percé – Le village malade – Le Tyran de Nîmes – Une atroce machination - Le laboratoire diabolique – Un dangereux bandit.
Pierre Yrondy est aussi l’auteur de pièces de théâtre comme « Un crime, les fusillés de Vingré » sur la guerre 14/18 pièce de 1924 et « Sept ans d’agonie – le martyre de Sacco et Vanzetti » pièce de 1927. Nous avons trouvé aussi une histoire vécue avec le titre de l’ouvrage : « De la cocaïne… au gaz ! », roman publié par les Editions Baudinière en 1934.
Jean Toussaint SAMAT et ses polars régionaux :
Un auteur contemporain marseillais Jean Contrucci a obtenu le prix de roman policier Jean -Toussaint SAMAT en 2003 avec son roman « L’énigme de la Blancarde ». Ce prix est un hommage au père des romans polar marseillais puisqu’il a publié son premier opus « L’horrible mort de Miss Gildchrist » en 1932 avec lequel il fut lauréat du prix du roman d’aventure. En 1928, il avait déjà co-écrit un ouvrage engagé sur les trafics d’armes et d’hommes sous le titre « Aux frontières de l’Ethiopie ». Après son premier roman, il enchaîne les titres avec d’abord « Circuit fermé » en 1933. Il écrit deux romans d’espionnage en 1934 : « Les espionnes nues » et « L’espionne au corps bronzé ». Il revient au roman policier en 1935 avec « Circuit fermé » et « Le mystère du Mas piégé ». En 1946, il publie plusieurs polars : « La mort du vieux chemin « , « Le mort de la Canebière », « Le mort à la fenêtre » et « Le mort du vendredi saint »; en 1947 « Erreurs de caisse » ; en 1949 « Le mort et la fille » ; en 1950 « Concerto pour meurtre et orchestre », qui a été récemment repris en feuilleton par le Journal littéraire (2004-2005). Il a publié la plupart de ses romans policiers dans la collection « Cagoule « des Editions La Bruyère. Nous avons retrouvé une édition de « Le mort de la Canebière », Les Editions de France avec en première page la contre indication « … à ne pas lire la nuit ! ».
Et quelques décennies plus tard…
Le terme de polar marseillais recouvre une production très hétérogène et n’a donc aucune signification. Par contre, compte tenu de la publication foisonnante de romans noirs sur Marseille… nous pouvons nous interroger sur les raisons de cet engouement… Pour le polar, Marseille est plus qu’un décor, c’est souvent une héroïne (sans mauvais jeu de mot) parce que cette ville possède, pour des raisons à la fois historiques, économiques, sociologiques et politiques, tous les ingrédients du (bon) roman noir… explique Maurice Gouiran dans un article consacré au polar de la revue culturelle de la ville de Marseille n°213 de juin 2006. Les raisons sont les nombreuses migrations avec la constitution de familles, de clans avec des éléments au sang chauffé par le soleil qui exacerbe les haines et les passions dans la tradition méditerranéenne entre esbroufe et obstination, fraternité et conflits, vengeance et violence sur fond de misère sociale avec des poussées xénophobes dans des relations intercommunautaires pourtant paisibles. Une ville, terre de drames et de tragédies, donc de littérature noire.
Quelques éditeurs : Editions L’Ecailler du Sud, Edition Jigal, Editions Autres temps…
Une librairie spécialisée dans le polar : L’écailler, rue Barbaroux 13001 Marseille.
Quelques auteurs actuels: Gilles Del Pappas, Philippe Carrese, François Thomazeau, Jean Contrucci, Maurice Gouiran, Michel Jacquet, g-m Bon, Serge Scotto, André De Rocca, Marc Spaccesi …
Les événements sur le polar à Marseille :
L’association Le Pôle Art Marseillais organise des mardis littéraires au restaurant Le Corleone, rue sainte à Marseille et l’évènement « Le balcon marseillais du polar ». Le prochain est prévu pour le 13 septembre 2009.
Dans le cadre d’une semaine noire, l’association l’écrit du Sud avec Les Editions de L’écailler et en partenariat avec la municipalité de Septèmes les Vallons organisent les Terrasses du Polar cours julien à Marseille (pendant la fête du plateau) et à Septèmes les valons. Les prochaines terrasses sont prévues pour les 19 et 20 septembre 2009.
Une étude sur le polar marseillais faite par Alain Guillemin, chargé de recherche au CNRS, est membre du GRAL (Groupe de recherche sur l’art et la littérature) au sein du LAMES (Laboratoire méditerranéen de sociologie) rattaché à la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence. Il est aussi chercheur associé à l’IRSEA (Institut de recherche sur le Sud-Est asiatique) de Marseille où il étudie les relations littéraires entre la France et le Vietnam.
2°/Le polar corse :
Le Sicilien Andréa Camilleri a forcément une influence particulière sur des auteurs corses de polars, par l’insularité partagée sur des îles aux histoires parallèles. Il en est de même pour Izzo, marseillais d'origine italienne, lorsque l'on sait le nombre de Corses vivant dans la cité phocéenne.
Le roman est un genre qui a eu du mal à s’enraciner en Corse ou la culture est de tradition orale, donc plus tournée vers la poésie et le théâtre. La littérature orale corse n'a jamais été fermée sur elle-même et visait à intéresser toutes les classes de la société. Les œuvres circulaient sur l’île, véhiculées par les bergers transhumants, les marchands ambulants, les colporteurs et de simples voyageurs. Elles s'exportaient parfois au-dehors, notamment vers les îles voisines comme la Sardaigne qui est la plus proche.
La diffusion de la littérature orale n'a pas de frontières matérielles et morales. Les créations littéraires insulaires ont subi des influences extérieures et, en particulier, venues d’Italie géographiquement proche. La littérature orale insulaire s’est donc formée à partir des mélanges de plusieurs littératures populaires et étrangères.
L'influence des diverses idéologies et des divers phénomènes culturels du bassin méditerranéen est indéniablement ressentie au travers de la littérature populaire corse. Le polar est une littérature populaire qui fait la suture entre le parlé et l’écrit. Imagine ! me disait Joël Jegouzo (du site Noir comme polar). Savoir, comme dans un chjam’é rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjam’è rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée.
Le polar corse existe… Les thèmes imaginaires ou réels inspirent les auteurs corses dans une île noire et rouge sur fond de bleu marin et azuréen. On peut en dresser un inventaire en vrac et non exhaustif : la politique, les autonomistes, les barbouzes, les révoltes, la musique et les chants, l’écologie, la désertification, la pauvreté, le chômage, le huis clos, les mythes, les légendes, le banditisme… mais aussi les particularités : l’omerta, l’honneur, le clanisme, la cursita (ce mal du pays qui rend l’exil, douloureux, cette nostalgie hors de l’île bien particulière apparentée à la " saudade " brésilienne et portugaise. En Corse, le tragique côtoie l’humour… L’humour y plusieurs formes ; le taroccu fait de malice et de mélancolie… la macagna plus caustique et l’autodérision. Il y a surtout la volonté d’être corse : un corps, plutôt qu’un corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent d’une terre mystifiée — et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies.Dans une anthologie présentée par Roger Martin, on peut lire au sujet du genre policier comme étant universel : « Cette universalité –société, police, crime, nature humaine – permet d’avancer que le genre policier, qu’il soit français, anglais, espagnol, russe ou japonais, s’abreuve à des sources communes, auxquelles bien entendu, il convient d’ajouter celles propre au génie et à l’histoire de chaque peuple »
La Corse est une terre de romans noirs et de polars. Dernièrement, un hebdomadaire publiait un article «Terreur sur Ajaccio » sous-titre « Le gang qui fait trembler la Corse ». La première phrase est « Ils sont tous des enfants du cru et forment le noyau dur de la bande du Petit bar. Des tueurs sanguinaires… » N’y a-t-il pas là le titre et le début d’un polar bien noir avec des héros Hardboiled ? On y trouve même des idées de dialogue : « Hep, salut ! Je t’aurais bien offert un café… - Vaut mieux pas s’attarder aux terrasses de bistrot en ce moment, c’est trop risqué !... »L’article relate la réalité d’une série d’assassinats qui serait la suite d’une lutte sanglante entre bandes rivales venant déranger les vieux truands jusque dans leur « semi -retraite » ( Le point , du 19 octobre 2006 ).
Depuis quelques années, on a vu émerger le polar de terroir. Alors que Marseille et la Corse ont alimenté l’imaginaire de bon nombre d’auteurs et de cinéastes, mais il faudra attendre 1995 et Jean-Claude Izzo pour consacrer le polar marseillais en le faisant connaître à Paris. Et la Corse ? A la même époque, un éditeur ajaccien, Les Editions Méditorial, avait créé une « collection Misteri » qui a édité, entre autres, Philippe Carrese et François Thomazeau. Tous les deux font partie aujourd’hui des auteurs de polars connus. « Les trois jours d’engatse » de Carrese a été d’abord édité dans la collection « Mistéri » en 1994 (un an avant Total Kéops qui a fait émerger le polar marseillais), puis réédité au « Fleuve noir » en 1995. François Thomazeau est l’auteur de plusieurs polars édités dans la collection Misteri et a créé, avec deux autres auteurs, « L’écailler du Sud », éditeur marseillais qui obtient un réel succès. Les premiers polars de Thomazeau de la collection Misteri ont été réédités par Librio. L’éditeur ajaccien Méditorial a fait connaître aussi des auteurs corses comme Ange Morelli, Elisabeth Milleliri et Marie-Hélène Cotoni.
Des auteurs de nouvelles, précurseurs du polar et du roman noir, se sont inspirés de la « légende noire de la criminalité insulaire », d’autres ont choisi plus tardivement le roman. A partir de 2004, la production corse de polars s’est développée, des personnages corses sont nés comme, pour exemples, le commissaire Batti Agostini, le commisaire Pierruci ou encore Mathieu Difrade dit le Flicorse.
Par ailleurs, les éditions Albiana ont lancé, en 2004, leur collection « Néra » qui compte déjà plusieurs polars dans son catalogue. Elles éditent quatre à cinq polars par an. La relève est assurée. Des auteurs corses se ré –approprient la Corse noire. L’éditeur ajaccien écrit : « Qui douterait encore que la Corse ne soit malheureusement définitivement, une terre de polar et de romans noirs ?... La collection Nera ouvre les portes des bas-fonds du crime avec l’aide des auteurs insulaires… Elle propose de donner à lire cette profonde noirceur, ce goût pour le drame et la mort chevillé à l’âme, avec l’indispensable dimension littéraire qui seule peut rendre justice des mécanismes à l’œuvre. Loin des clichés, jouant parfois avec eux, elle ouvre des espaces de pensée d’autant plus efficaces qu’ils viennent de l’intérieur de la société, des meurtrissures vécues enfin domptées par l’écriture. Néra est une jalousie précautionneusement ouverte sur la rue, sur la vie insulaire, ce que l’on voit et qui ne se dit pas… » (Il faut lire l’interview de Bernard Biancarelli par Joël Jegouzo sur le site www.noircommepolar.com )
Déclarations de M. Bernard Biancarelli, directeur de la collection Nera : »
« La collection noire, j'en rêvais depuis mon arrivée aux éditions Albiana (en 1998). Mais il existait déjà un éditeur à Ajaccio quasiment spécialisé dans le noir (Méditorial) et plutôt bon dans ses choix (il fut l'éditeur de Thomazeau par exemple, qui a ensuite fondé « L'écaillers du Sud », une petite maison du Noir qui monte, qui monte,…). Sa collection était bien implantée et puis on ne marche pas sur les plates-bandes de quelqu'un que l'on connaît et que l'on respecte. Bref, nous étions restés en retrait. Son arrêt et notre envie toujours présente ont permis d'ouvrir le chantier. La collection Nera permettait aussi de dynamiser notre ligne éditoriale, de signaler au public que nous étions toujours en évolution et prêts pour les aventures. Nous avions au cours des années précédentes pris des risques éditoriaux chaque année, en publiant notamment pas mal de premiers romans ou des recueils de nouvelles, en dépit des préventions largement répandues dans la profession à ce sujet. Nombreux sont assez durs et violents, sans concession souvent pour le petit monde dans lequel nous vivons, mais ce qui selon moi les caractérise, c'est qu'ils ont laissé de côté le victimisme et le désir de justification, le pamphlet ou l'explication de texte, notamment du « problème corse » qui sont autant de pertes de temps et qui éloignent fatalement de la littérature. Il s'agit d'un vrai mouvement qui est la mutation du «Riacquistu » dont je parlais précédemment. Une attention soudaine pour la Corse d'aujourd'hui (ni celle d'hier, ni celle que désire l'Autre - ou que nous croyons qu'il désire - ni celle des cartes postales, ni celle des chromos) s'est manifestée et il nous a juste fallu aider à l'éclosion. La collection noire est évidemment pour nous un des outils qui nous manquaient pour aider à cet avènement. Et je peux certifier que son apparition a donné un coup de fouet qui s'est traduit par l'arrivée d'un grand nombre de manuscrits. Non seulement la collection Nera était profondément désirée chez nous, mais elle était probablement attendue par les auteurs, et certainement aussi, par les lecteurs qui lui ont réservé un très bon accueil."Pour consulter l'article de Joël Jegouzo sur le site noircommepolar, cliquer ci-dessous:
http://www.noircommepolar.com/ktml2/images/uploads:pdf/albiana.pdf
L’association Corsicapolar :
Aujourd’hui, de nombreux auteurs corses écrivent des polars. Début 2007, certains se sont réunis dans une association Corsicapolar qui organise chaque année en juillet le festival corse et méditerranéen du polar (troisième édition en juillet 2009) et qui a, parmi ses membres, Michèle Witta conférencière et bibliothécaire de la Bibliothèque des Littératures Policières, unique en France. Lucienne Gaspari, Ajaccienne lectrice de polars, est la présidente de l’association et les autres membres du conseil d’administration sont des auteurs en commençant par l’initiateur du festival Jean-Pierre Orsi associé à Marie-Hélène Ferrari, Ugo Pandolfi et Jean-Paul Ceccaldi. La liste serait trop longue pour citer tous les autres membres et de nouveaux auteurs viennent rejoindre l’association chaque année.
Sites corses en partie dédiés au polar :
- Corse noire : http://blog.ifrance.com/flicorse
. Corsicapolar.eu : http://www.corsicapolar.eu
Autre site :
- K-libre : http://www.k-libre.fr/klibre-ve/
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Le néo-polar: roman noir et social
Didier Daeninckx a donné sa définition du roman policier : " un type de roman dont l’objet se situe avant la première page " ; et celle du roman noir : " Un roman de la ville et des corps en souffrance ". C’est Jean-Patrick Manchette qui a inventé l’étiquette « Neo-polar ». Il est entré dans la Série noire en 1971 avec un roman signé sous le nom de Jean-Pierre Bastide " Laissez bronzer les cadavres ". La même année, L’Affaire N’Gustro de Manchette et en 1972, La Nuit des grands chiens malades écrit par A.D.G seront les deux romans les plus novateurs de ce que les critiques ont considéré comme une nouvelle école du polar.
Aujourd’hui le terme néo-polar est une référence historique qui marque la rupture sociale de Mai 1968 et la rupture littéraire avec le roman policier. C’est le début de ce que l’on a appelé aussi le roman noir social français démarqué du roman policier et du Thriller, sous l’influence de hard-boiled américain. Selon la formule de Partick Raynal, c’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression!
A la suite de Manchette, les " barons " du roman noir sont Jean Vautrin ( A bulletins rouges, Billy Ze Kick, Boody Mary, Groom, Canicule), Marc Villard ( Légitime démence, Nès pour Perdre, Corvette de nuit…) , Frédéric H Fajardie (Tueurs de flics, Le souffle court, Clause de style, La théorie du 1%), Hervé Prudon ( Mardi gris, Tarzan malade, Banquise…), Joseph Bialot (Le salon du prêt à saigner ; Le sentier, Babel ville…), Sébastien Japrisot (Compartiment tueurs, La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil) qui est devenu scénariste pour le grand écran ( Le passager de la pluie, La course du lièvre à travers les champs…) ou encore Thierry Jonquet, Jean-François Coatmeur, Hervé Jaouen, Hugues Pagan, Jean-Hugues Opel, Tonino Benaquista…
En 1979, les collections " Engrenage " et " Sanguine " furent créées pour ce nouveau genre. Les auteurs et les éditeurs de ce que Manchette a étiqueté du terme « néo-polar » ont voulu vendre des bouquins bon marché et c’est toujours dans cet esprit que fonctionnent certaines collections.
Dans les années 1980, des auteurs réalisent et scénarisent une série policière «Néo polar », anthologie d’histoires inspirées de romans du néo-polar français. Sept épisodes ont été diffusés sur Canal+ en 1984 et FR3 en 1985. Dans la distribution, Michel Beaune, Dominique Blanc, Jean-Pierre Léaud, Vincent Lindon, Claude Nougaro, Florent Pagny. Parmi les scénaristes, on trouve Férédric Fajardié, Hervé Jaouen et Marc Villard entre autres ; et parmi les réalisateurs , Jean-Pierre Bastid, Michel Andrieu, Patrick Jamain… Quelques titres d’épisodes : Shangaï Skipper, La Théorie du 1%, Salut ma puce, Des choses qui arrivent, La Mariée rouge, L'Amour en gâchette et Un père anonyme. On voit apparaître des néo- polars dans des collections grands formats.
Manchette disait que le polar était une littérature ferroviaire et d’insomniaque. Jean Bernard Pouy sera surnommé " l’homme des trains " après avoir écrit un premier roman ferroviaire " La vie duraille " cosigné avec Daniel Pennac et Patrick Raynal. On lui doit aussi « Train perdu, wagon mort ». Il a multiplié les romans avec des titres évocateurs comme Spinoza encule Hegel et, après l’introduction, la pénétrance… le deuxième volet : A sec ! (Spinoza encule Hegel : le retour) dans lequel il écrit tout le bien qu’il pense du football. Il a son idée sur le polar et l’évolution du polar. Il l’a exprimée sur le site Noircommepolar où il tient une chronique. On a pu y lire : « Parce que ça fait un paquet de temps et de textes que le roman noir a gagné. Le roman policier est à enfoncer dans les poubelles de l’Histoire, le thriller dans les chiottes du néo-freudisme et le roman à énigme dans le compost du sudoku. Et ça depuis Sophocle, Dostoeivski ou Gadda….Ces putains de polars accompagnent efficacement la mondialisation (pour le plus grand nombre) et l’Internationalisme trotskiste (pour les plus "radicaux"). Faire gaffe, quand même, à ce mot : polar, qui, s’il rime pauvrement avec soixante-huitard, rime aussi avec vicelard, ringard, connard, faiblard, etc… " Propos " couillus " sur le polar qui rime aussi avec " Jean-Bernard », leader du néo-polar canal historique, et lorsque l’on dit « couillus », c’est qu’il y a dans les formules du poil à gratter. L’intégralité est sur le site Noir Comme Polar.
Jean-Bernard Pouy s’est intéressé à la « polémique » sur l’origine du roman policier. Il aurait trouvé (dit-il) une pièce inachevée de Pierre Corneille (17ème siècle) qui pourrait être considérée comme une ébauche de mise en scène policière. Il en donne un extrait sur le site Noir comme polar. Toutefois, une étude graphologique devrait être demandée pour établir l’authenticité du document mis en avant.
Jean-Bernard Pouy est à l’origine de l’aventure de Gabriel Lecouvreur, alias Le poulpe à cause de ses longs bras. C’est une collection de romans inaugurée en 1995 par Jean Bernard Pouy avec « La Petite écuyère a cafté ». À partir de sa fiche identitaire, ce personnage a vécu sous la plume de nombreux auteurs revendiquant leur opinions de gauche et anti- Front national. Les petits polars du Poulpe sont édités par les Editions La Baleine au premier petit prix de 39 francs. " Qu’est-ce qui fait courir Gabriel le juste ? L’injustice, surtout si elle est pratiquée par un patron sans scrupules, un intégriste vachard, des néo-nazis pédophiles, des trafiquants de cassettes porno et des politiciens véreux. Défenseur d’une gauche orpheline de ses promesses évanouies, Lecouvreur va, court, vole et nous venge… " – extrait de l’article " La pieuvre est faite " écrit par Emmanuel Laurentin dans Télérama n°2508 du 7 février 1998 dans une rubrique " La rage et le noir : le polar " pages 10 à 18.On peut citer parmi les bons récits du poulpe, celui de Patrick Raynal "Arrêtez le carrelage ". Les Éditions Baleine ont commercialisé une bière, « La Poulpeuse», fabriquée en Bretagne. Le groupe punk Zampano a réalisé en collaboration avec les écrivains Jean Bernard Pouy et Jean-Christophe Pinpin Le bruit des boucliers (Bakalao Producto) : 6 titres consacrés au Poulpe.
Après des difficultés financières et son rachat par Les Editions Seuil, la Baleine est toujours vivante au sein du groupe La Martinière. Lecouvreur, dégingandé, continue de déambuler dans des récits écrits par des auteurs différents.L'idée de ce type de héros récurrents que s'approprient des auteurs différents a été copiée avec plus ou moins de bonheur. On peut citer pour mémoire...
- "Alias" au Fleuve noir (1997-1998 : six titres),- "Le Furet enquête" chez Albin Michel jeunesse (1998-2001 : 32 titres),
- "Le Polar du Routard" aux Éditions Hachette Tourisme (1999-2001, 13 titres),
- "Moulard" aux Éditions de l'Aube (en 2000, 6 titres).
Les Éditions Baleine ont cherché à "publier une littérature accessible à tous, produite par des auteurs sensibles à la notion de roman populaire et de gare". Baleine a permis à de nombreux auteurs de publier leur premier roman. En 2007, cet éditeur s’est enrichi de deux collections « Baleine noire » et « Club Van Helsing ». Dans la collection "Le Poulpe", trois nouveaux romans publiés entre septembre et décembre 2007 : Lalie Walker : L'Appel du barge, Jean-Marc Ligny : La Ballade des perdus et Francis Mizio : Sans Temps de latitude. À noter que les éditions Baleine ont commercialisé une bière, « La Poulpeuse », fabriquée en Bretagne. Antoine de Kerversau, fondateur des Editions Baleine, a créé en 2003 une nouvelle maison d'édition, Les Contrebandiers éditeurs - ADK, proche de l’esprit Baleine par les auteurs qu’il publie : Bénédicte Heim, Jean-Bernard Pouy, Yves Bulteau, Gérard Alle, Jean-Paul Jody, Pierre Filoche…
En 2006, Jean-Bernard Pouy a créé une nouvelle édition « Suite noire » sur le format des premières séries noires. Il a été interviewé à ce sujet sur le site Evene. Vous pouvez lire l’entretien à l’adresse :
Les auteurs de la Noire française ont écrit et écrivent beaucoup, souvent des textes courts et incisifs dans lesquels, parfois par la dérision, la déjante et le sourire jusqu’au rire, ils dénoncent l’ordre établi d’une société ultralibérale « … un monstre qui avale de la chair et chie du pognon » pour reprendre une phrase dans le roman « Cloaque » de Henri-Frédéric Blanc, un auteur qui a écrit un Poulpe et a le sens de la formule: "Vous verrez, quand tout sera à vendre, la vie ne vaudra plus rien", dit aussi son héros Chris dans Cloaque.Dans l’Editorial de la collection L’atinoir des Editions L’écailler, Paco Ignacio Taïbo II, ecrivain mexicain de renommée internationale, écrivait au début 2007 : « Les genres littéraires se redéfinissent à force d’écriture et de réécriture. Poussés jusqu’à leurs extrêmes, ils finissent par exploser. Au cours de ces dernières années, le littérature policière a connu la mode et la facilité dont elle a trop longtemps profité. Je me souviens de Manchette qui me disait : « Nous sommes devenus trop respectables ». Le regard subversif qui, à l’origine du courant neo-polar, remettait en cause la loi et l’ordre, appelait vaux ruptures avec toutes les conventions, savait trouver des expérimentations formelles, une richesse linguistique, l’originalité des trames, s’est peu à peu détourné et fond doucement dans la réitération. Nous mettions à nu en les révélant des faits et des histoires, et aujourd’hui nous courons le risque de devenir de simples chroniqueurs…. »
Les sous-genres et les genres sont devenus poreux. Des auteurs écrivent des romans hybrides en s’appropriant le roman d’espionnage, le roman historique, le roman d’aventure, la science-fiction... Dans ce qui a fait l’universalité du polar « meurtre, flic, victime, criminel, société », on peut trouver des flics cyniques, brutaux, malhonnêtes… des victimes qui sont de vrais salauds et des criminels sympathiques dans une société qui favorise la domestication et l’exclusion. Dans le roman noir social, le flic ( ou plus généralement celui qui mène l’enquête) peut n’être qu’un personnage secondaire ou ne pas être présent. Le héros en est alors le criminel. Il n’y a plus d’enquête mais l’intrigue reste le noyau dur.
Le roman noir français décrypte le présent, stigmatise l’ordre établi, revisite des trous noirs de l’histoire. Didier Daeninckx revient sur des dénis historiques, notamment la répression sanglante du 17 octobre 1961 et la politique colonialiste de la France au début du XXème siècle. L’arpenteur du réel Didier Daeninckx fait resurgir dans le présent les ombres noires de l’histoire de la France et notamment son passé colonial. Pour cela, il imbrique dans ses récits le présent et le passé, la réalité et la fiction. Tel un archéologue, il fait resurgir les dessous de l’histoire pour éclairer le présent à la lumière de ce passé mis un temps sous l’éteignoir. Meurtre pour mémoire, roman qui revient sur la répression sanglante, le 17 octobre 1961, par la police parisienne d’une manifestation de ressortissants algériens. Parmi les mort : Thibaud. S’agissait-il d’une bavure policière ou d’un meurtre ? C’est son fils, en 1981, est tué à son tour, après avoir consulté les archives de la Préfecture de Police. L’inspecteur Cadin mène l’enquête qui va l’amener à s’intéresser à un certain André Veuillot, fonctionnaire compromis sous le régime de Vichy en 1942. Le retour d’Altaï est une courte suite donnée par l’auteur à son excellent roman " Cannibale ". Vous y retrouverez Gocéné, trois quarts de siècle plus tard, qui revient en France sur les traces d’un kanak tué 124 ans plus tôt en Nouvelle Calédonie. De quoi sortir du formol des spectres historiques et parler aussi de la culture des kanaks, de leur humanité. La piste du repentir passe par le musée de l’homme, dans cet opus de 114 pages. Avec le retour d’Altaï, Gocéné nous donne une belle leçon de ce repentir généalogique et le chef de la tribu de Kowale peut lui accorder un pardon collectif. A méditer….Question extraite : " Vous tous qui dites " hommes de couleur ", seriez-vous donc des hommes sans couleur ?" Didier Daeninckx a écrit, pour Shangaï express, un feuilleton " l’inspecteur L’entraille ", qui sifflote des refrains de Maurice Chevalier. Des meurtres sous le régime de Vichy et l’occupation allemande. Le décor historique est planté. Le coéquipier de l’inspecteur L’entraille est un certain " Verdier ". Justement, notre auteur a publié un recueil aux Editions Verdier. Il s’agit du titre : " Les cités perdus "…. à lire et un livre également sous le régime de Vichy, au titre annonciateur: Itinéraire d'un salaud ordinaire! Daeninckx a écrit dans la série du Poulpe. A l’époque, Il avait déclenché une querelle interne, lorsqu’il avait révélé que Serge Quadrupani, auteur du n°2 du Poulpe, aurait fréquenté les milieux révisionnistes. On a reproché à Daeninckx d’avoir lancé une fatwa sur Quadrippani et il avait même du faire face à des " broncas " non littéraires notamment lors d’un salon du Polar, place de la Bastille à Paris.Une collection " Polarchives " a été créée , avec la Baleine, en 2002 par Gérard Streiff. Il s’agissait de mêler une intrigue policière à un événement historique. Si des polars mêlent encore intrigues et faits historiques, cette collection s’est mise en sommeil après quelques titres comme, pour exemples, Les caves de la Goutte d’or écrit par Gérard Streiff ou L’inconnu du Paris – Rome, écrit par Gilda Piersanti. Elle a été reprise un temps par Les Editions du Passage.
La liste est longue des auteurs contemporains de la Noire: " De Dominique Manotti à Thierry Jonquet en passant par Dennis Lahane ou Cesare Battisti et Paco Ignacio Taïbo II, les écrivains témoignent de leur temps et s’ancrent dans le réel. Même si l’imaginaire et l’efficacité de l’intrigue restent le pivot de ces fictions, la description de milieux particuliers, de marges interdites ou de professions singulières leur confère une valeur documentaire. " Christian Barbault dans un article de Valeurs mutualistes n°236 Mars/Avril 2005 – article " Le polar, une passion contemporaine ". Sans oublier les femmes :Depuis 1990, des femmes se sont affirmées dans le genre avec notamment : Andréa H.Japp ( La Bostonienne), Brigitte Aubert ( Les quatre fils du Docteur March), Maud Tabachnik (Un été pourri ), Fred Vargas ( Debout les morts) , Claude Amoz ( Le Caveau ) Catherine Fradier ( Camino 999) … Elles s’y maintiennent..
Lorsque Daeninckx parle d’un « roman de ville et des corps en souffrance », il définit ce que d’autres ont nommé le « Polarville ». Jean-Noël Blanc, sociologue, a publié en 1991 aux P.U.F une étude sur les rapports entre le roman policier et l’espace urbain défini comme : « cet univers complexe, contradictoire et non- maîtrisable que représente la ville dans les sociétés industrialisées ». Dans le roman noir, des couples écrivain- ville se sont formés : Hammet- San Francisco, Chandler – Los Angéles, Goodis – Philadelphie… Montalban – Barcelonne, Izzo – Marseille.
Il y a le couple Malet – Paris et puis, dans la région parisienne, la ville c’est aussi la banlieue. Daeninckx décrit la sienne documentée, où les tours, les barres, les centres commerciaux, les bistrots… côtoient les usines, les friches industrielles mais aussi les îlots pavillonnaires. Au milieu de ce décors, des voleurs, des camés , des agents de sécurité mais aussi des syndicalistes, des militants d’associations de proximité, des clandestins… C’est une banlieue bien différente de celle « stylisée », presque abstraite d’un Vautrin. Ce sont des banlieusards bien plus ordinaires et non des personnages pittoresques ou déjantés évoluant dans des récits picaresques. Daeninckx parle des conflits sociaux, du racisme, des sans-abris sans-papier et des magouilles immobilières.
De la ville à la région :
Le Barcelonnais Montalban et le Belge Simenon ont ouvert la voie du polar au sicilien Andréa Camilleri. C’est sans aucun doute le sicilien Camilleri et le Marseillais Jean-Claude Izzo qui ont fait connaître le polar régional, en lui donnant sa place au sein de la littérature policière et noire. Le polar s’hybride. Il est en perpétuelle évolution parce qu’il offre une grande liberté d’écriture en permettant la suture entre le parlé et l’écrit… Une offre que, après le Sicilien Camilleri, les Bretons, les Catalans, les Corses, les Sardes et d’autres écrivains enracinés ne pouvaient ignorer. Toutes ces régions ont vu apparaître des auteurs mais aussi des éditeurs.
A suivre…
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Le Polar de la bible à nos jours...
1ère Partie: Les grandes lignes de son histoire
Le genre policier fait l’objet de controverses sur sa définition même, sur sa valeur littéraire et sur ses origines. Toutefois, il s’agit d’un genre qui, sans se renier, est en perpétuellement évolution avec ses variantes dont les auteurs ont un seul but « capturer le lecteur jusqu’à la dernière ligne ».
On peut faire remonter l’origine du genre aux temps bibliques. Powel s’adressant au bon dieu, lui dit : « Seigneur, tu n’es pas contre l’assassinat, la Bible est pleine d’assassinats… ». J’en ai pour exemple les anecdotes de Daniel et les prêtres, de Suzanne et les vieillards, de Dalila trahissant Samson … On peut citer des tragédies antiques comme Œdipe, Les mille et une nuits, et les grands auteurs grecs ou latins : Esope, Archimède, Pline le jeune ou Cicéron, avec une mention spéciale pour Hérodote et son ouvrage «Les fils de l’architecte » considéré par certains comme la pierre angulaire du genre policier. Un mystère de chambre close en 1237 avant J-C et, comme ingrédients : vols mystérieux, corps sans tête, maison de débauche, bras coupé à un cadavre… Originaire de Carie, un état en Asie mineure conquis par les colons qui massacrèrent les hommes pour épouser les femmes, Hérodote était l’enfant d’un métissage entre l’Asie et l’Europe, d’une double appartenance identitaire. Il est considéré comme un géographe, un sociologue, un ethnographe et un reporter. Il a voyagé beaucoup, remplissant ce qu’il appelait des carnets « d’enquête » qui correspond au mot grec « historia » aux sens de documentation, exploration, découverte. Il racontait surtout les batailles et s’intéressait aux adversaires des Grecs, à leurs us et coutumes notamment. Allant toujours plus loin dans le détail de ses récits, il faisait de nombreuses digressions sur des anecdotes et des petites histoires qu’on lui racontait.
Plus près de nous, on peut évoquer le cours de médecine légale dans la tragédie de Shakespeare, Henri IV, ou bien les épisodes du « Cheval du roi » et de « L’épagneule de la reine », dans Zadig de Voltaire, la gaieté de l’amateur français de Beaumarchais et même le Barbier de Séville. On trouve dans ces récits des passages dignes de Sherlock Homes.
Le roman policier est un ouvrage littéraire qui met en scène principalement des personnages policiers ou détectives professionnels ou amateurs, en lutte contre des gangsters ou des criminels. Sur la base de cette définition liminaire et sans remonter aux chalandes grecques, c’est au 19ème siècle, celui de l’industrialisation et de l’urbanisation, que le genre policier va véritablement émerger, en même temps qu’évolue la police. Son inspiration va se trouver dans des biographies de bandits et des récits de meurtres étranges, vendus de porte en porte par des colporteurs. Des personnages deviennent des mythes comme Vidocq. Balzac est considéré, par certains, comme l’auteur des premiers romans noirs avec « La grande Bretèche » en 1832 et « Une ténébreuse affaire » en 1841 (enlèvement du Sénateur Clément de Ris. Mais c’est Edgar Poe en 1841 avec «Double assassinat de la rue Morgue » (première traduction faite par Charles Baudelaire) qui va être considéré comme le père du roman policier. Ce jeune américain a choisi Paris comme cadre de ses premiers romans et pensait avoir découvert une technique de raisonnement applicable à la fiction et fondé sur la détection d’indices. Il explique sa méthode dans « genèse d’un poème ».
Dans l’hexagone, le roman policier va garder sa spécificité française jusque vers 1918. On part de la découverte d’un crime pour remonter jusqu’aux causes (les mobiles) : un crime, un problème, une enquête. L’archétype du détective (raisonneur et psychologue) naît avec le chevalier Dupin.
Le premier disciple de POE est Emile Gaboriau, journaliste (C’est un métier qui, comme flic, donnera beaucoup de polardeux) il publie en 1866 « L’affaire Lerouge » avec un personnage dans la filiation de Dupin, c’est le Père Tabaret alias Tirauclair. Ensuite il invente le personnage de l’Inspecteur Lecocq qui , comme Sherlock Holmes plus tard, utilise la déduction et les moyens scientifiques dans ses enquêtes : relevés d’indices matériels, moulage d’empreintes. Les auteurs utilisent les techniques du roman populaire ou les péripéties l’emportent sur la déduction. On peut citer « Le coup d’œil de Monsieur Piédouche » de Fortuné du Boisgobey, « Maximilien Heller » de Henry Cauvin (publié en 1886 dont le héros ressemble à Sherlock Homes qui n’apparaîtra qu’un an plus tard et certains parleront de plagiat en direction de Conan Doyle) ou encore « La chambre du crime » d’ Eugène Chavette.
Après 1918, les auteurs français vont suivre le modèle anglais en privilégiant l’analyse, la déduction. Jusqu’à la première guerre mondiale (1914-18) le récit policier est surtout distribué par des mensuels. Il entre dans l’édition après guerre, avec l’apparition de deux collections prépondérantes : « L’empreinte » et « Le masque », fondée en 1927 par Albert Pigasse. On passe des nouvelles composées d’une cinquantaine de pages aux livres plus étoffés. Il faut noter que, sur les 60 premières parutions de l’Edition «Le masque », trois seulement étaient françaises.Les historiens de polar définissent deux écoles :
- la française avec Gaboriau qui s’est développée dans la veine des feuilletons alors très en vogue et qui met en scène un policier scientifique et professionnel, tout en préservant l’aspect romanesque du récit.
- L’anglo-saxonne avec Edgar Poe qui privilégie le déroulement de l’enquête et la figure du détective amateur. Deux ans avant la parution de « double assassinat de la rue Morgue », Thomas de Quincey avait écrit un essai noir « De l’assassinat considéré comme l’un des beaux-arts »
Si Edgar Allan Poe et Emile Gaboriau apparaissent comme les précurseurs d’un genre qui a ses codes, les historiographes comme Claude Mesplède ( surnommé « Le pape du polar » par ses amis polardeux en hommage à sa connaissance encyclopédique du genre), citent ensuite les pères fondateurs, inventeurs de héros : Conan Doyle, Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Pierre Souvestre et Marcel Allain, Arthur Bermède (Belphégor) ; Jacques Norbert (Docteur Mabuse), Maurice Renard ( Le mystère du masque et le bracelet d’émeraude) et Gustave Lerouge (Voleur de visages, Le mystérieux docteur Cornélius, Todd Marvel).
En 1887, Conan Doyle livre les premières aventures de Sherlock Homes avec, en premier lieu, « Une étude en rouge ». Sans doute dépassé par le succès de son héros affublé de son compagnon fidèle, le Docteur Watson, il le tue en 1893 dans « Le dernier problème », pour le ressusciter 10 ans plus tard sous la pression de son lectorat. Entre cette date et 1927, il écrira 4 romans et 56 nouvelles. C’est l’ère du QQOCP qui s’ouvre comme le cri du poulet à l’aube de chaque enquête : Quoi ? Un meurtre. Qui ? Une victime et un coupable. Où ? Découverte du cadavre dans un lieu insolite ou familier. Comment ? Les moyens sont multiples et variés… Pourquoi ? Par vengeance, par cupidité, par sadisme, par folie pure…. Conan Doyle est mort et Sherlock lui survit même sous les plumes d’autres auteurs qui écrivent des pastiches.
En 1905, Maurice Leblanc livre les premières aventures d’Arsen Lupin, le gentleman cambrioleur, avec « L’arrestation d’Arsen Lupin ». En 1907, Gaston Leroux est l’inventeur de « Rouletabille », Joseph Joséphin, reporter – détective. On peut citer « Le mystère de la chambre jaune » et « Le parfum de la dame en noir». En 1911, les journalistes Pierre Souvestre et Marcel Allain composent l’anti-Lupin qu’est Fantômas, qui est « personne mais cependant quelqu’un » et « Il fait peur ».
Maurice Leblanc et Arsène Lupin par Nadia Dhoukar :
« Arsène Lupin est un personnage de la Belle Epoque, empreint du positivisme et de la frivolité ambiante du moment. Il se divertit sans cesse, n'agit que par goût du jeu ; c'est un individu léger qui aime l'art, le défi et les jolies femmes. A l'instar de Sherlock Holmes, il fait rire et sourire et entraîne son lecteur dans un univers qui se moque des lois et des convenances, et cela, toujours avec intelligence et finesse. Mais surtout, plus que ses homologues tels Holmes ou encore Fantômas, Lupin n'est pas hiératique dans le sens où il prend corps au fil des aventures, change, se remet en question, éprouve des sentiments humains et s'avère plus proche du lecteur anonyme que d'un détective infaillible. La réunion de tous ces éléments a fait de Lupin un personnage qui a plu et qui plaît encore. En effet, Poirot par exemple et son esprit déductif a fait sensation au moment de son apparition, il plaît encore aujourd'hui mais son talent est quelque peu désuet parce qu'il puise la solution de l'énigme dans une analyse psychologique qui apparaît aujourd'hui comme schématique, réductrice et rudimentaire. Lupin lui, illustre une légèreté et une désinvolture qui plaisent de tout temps parce qu'il se joue des limites que les hommes ont tracées, limites qui, si elles se transforment, existent et existeront toujours. De ce fait Lupin possède un caractère qui relève de l'universel : celui du défi. Nous verrons d'abord en quoi Arsène Lupin n'est personne, ensuite de quelle manière, à travers la quête et le duel, il devient quelqu'un ».
Un peu d’histoire de la police : 1790, création du corps des commissaires de police qui remplacent les commissaires enquêteurs –examinateurs. 1791, Antoine Waldec de Lessart est le premier ministre de l’intérieur, gardien de la légalité, garant de la paix publique et de la sécurité des personnes et des biens, tuteur et responsable de l’administration territoriale. 1795, distinction entre police judiciaire et police administrative. 1800, création des commissariats et de le Préfecture de police, et organisation de la police urbaine en Province. 1829, première police en tenue d’uniforme, les sergents de ville. 1854-1856, mise en place de l’îlotage. 1870, remplacement des sergents de ville par les gardiens de la paix. 1879-1882, mise en place de l’anthropométrie inventée par Bertillon, adoptée en 1887 par la Préfecture de police puis répandue dans toute l’Europe. 1888, premières photographies métriques. 1902, Les services de l’Identité judiciaire relèvent et utilisent les empreintes digitales. 1907, création par Clemenceau des Brigades du Tigre qui deviendront les Services régionaux de police judiciaire. 1912, création de le Brigade criminelle. 1920, le commissariats sont équipés de camionnettes de police secours (surnommées par la suite « Les paniers à salades »). 1941, étatisation de la police et création de la police nationale…
Dans la lignée de ce que l’on appelle l’école anglaise, le roman est construit de façon rationnelle et scientifique. Il s’agit d’un puzzle dont chaque indice est une pièce ou pas. Le lecteur -détective doit faire appel à son esprit d’observation et de déduction pour découvrir la clef de l’énigme avant l’épilogue. C’est Agatha Christie, avec ses héros Hercule Poirot et Miss Marple, qui donnera au roman de détection ( à énigme ) sa marque de fabrique« Made in British ». En 1924, Austin Freeman, médecin et auteur, publie à 62 ans son essai : « L’art du roman policier ». On lui a reproché son approche trop scientifique, sa police de laboratoire qui déconcertait les lecteurs, malgré ses efforts de vulgarisation. Il a écrit de nombreux romans à problème dont : L’œil d’Osiris, L’os chantant, Le singe en argile, le mystère de la rue Jacob… Il est l’inventeur du personnage du policier Thorndyke, raisonneur et pragmatique.
En 1928, S.S. Van Dine se posera comme le théoricien du genre avec son opus énumérant les « Vingt règles pour le crime d’auteur ». Il est l’inventeur du détective Philo Vance, cultivé et fin psychologue. Pour résumer les règles de Van Dine, dans le roman policier, il doit pas y avoir d’intrigue amoureuse ; le coupable ne doit pas être un détective ou un policier, ni un domestique et il ne doit y en avoir qu’un même si les assassinats sont multiples ; Il doit bien sûr y avoir au moins un cadavre ( et plus ce cadavre est mort mieux ça vaut) et un seul détective ; le coupable doit avoir joué un rôle important dans le récit et l’épilogue doit y transparaître pour un lecteur suffisamment perspicace ; enfin, il faut proscrire les longs passages descriptifs, les analyses trop subtiles et de préoccupation d’atmosphère.
A la même époque la collection Le Masque ouvre une autre voie, celle des auteurs francophones avec une prépondérance des auteurs français et belges, des romans classiques qui sortent des règles de Van Dine. Dans cette veine, on peut citer Pierre Very, qui voulait « rénover la littérature policière en la rendant poétique et humoristique ». Il invente le personnage de Maître Prosper Lepicq avocat qui traque les criminels pour en faire ses clients. Le belge S.A Steeman invente le personnage d’un ancien policier installé à son compte M. Wens et un précurseur de Maigret, Aima Malaise. Charles Exbrayat entre dans le genre policier à l’âge de 51 ans avec un premier roman « Elle avait trop de mémoire » en 1957 suivi rapidement de deux autres en 1958 « La nuit de Santa Cruz » et « Vous souvenez-vous de Paco ? » pour devenir l’auteur vedette de la collection Le Masque et produite, par la suite, une centaine de titres. Mais l’auteur phare de cette école franco-belge est Georges Simenon, père du Commissaire Maigret, avec 400 livres et des centaines de millions d’exemplaires vendus dans le Monde. Il consacrera au commissaire Maigret, qui naît avec « Pietr le Letton » en 1929, 76 romans ou nouvelles avec la devise de son héros : « comprendre et ne pas juger ».Le roman noir connaîtra son âge d’or dans les années 30-40 d’abord aux Etats-Unis, dans le contexte de la crise économique de 1929 et d’une société violente, avec Dashiel Hammet et la génération de ceux que l’on a surnommés les « fouille-merde » (Muckrakers). Ce sont les américains qui ont sorti le polar des salons feutrés anglo-saxons et ont mis au goût du jour le Thriller, découvert et apprécié en France dans les années 1950. Gallimard crée la collection prestigieuse « Série noire » après avoir créé en 1936 celle « Le scarabée d’or ». Aujourd’hui, en coup de chapeau à la Série noire, une collection « Suite noire » a été créée récemment par Jean-Pierre Pouy, auteur et éditeur qui fait partie de l’aventure du Poulpe.
Avec Hammet, c’est donc les américains qui ont inspiré le roman noir français. Dans la suite, Chandler disait que Hammet « a arraché le meurtre du vase vénitien et l’a jeté dans la rue ». Pour Hammet, un détective devait « être un type dur et rusé, capable de se tirer de toutes les situations ».
Le roman noir américain :
Dashiel Hammet en est donc le père fondateur avec une première nouvelle « L’incendiaire ». Il se développe au temps de la prohibition dans des magazines à bon marché, les dime-novels au début des années 20 puis avec les Pulps dont le plus célèbre est Pulp Black Mask. Avec Hammet, naissent les personnages de détectives cyniques et désenchantés qui évoluent dans des milieux glauques sur fond de violence, de corruption et de misère sociale. Le sang appelle le sang et le coupable meurt par où il a péché. Dans ses écrits, Hammet fait aussi une critique acide des institutions américaines, ce qui lui vaudra un emprisonnement sous Mac Carthy. On peut citer parmi ses ouvrages : La moisson rouge et La sang maudit écrits en 1929 , mais aussi le faucon de Malte ( titre en coup de chapeau au Faucon Maltais) avec le privé Sam Spade, et encore La clé de verre (1930) et L’introuvable (1934).
Hammet va fasciner un autre auteur américain, Raymond Chandler qui publie son premier roman en 1939 « Le grand sommeil » avec l’apparition de Philip Marlowe qui traînera sa dégaine dans 6 autres titres qui suivront dont le dernier « The Pencil » écrit en 1958 et édité en 1960 après la mort de l’auteur qui survient en 1959. Chandler s’est voulu aussi théoricien du nouveau roman criminel avec son opus : »L’art d’assassiner ou la moindre chose » (1944). Son œuvre noire est parmi les plus violentes de son époque, avec des descriptions très visuelles et des atmosphères dans des récits facilement adaptables au cinéma.Entre 1935 et 1939, un certain William Irish écrivait une centaine de nouvelles dans les Dime Détective et Black Mask. Il publie son premier roman, en 1940, sous le pseudonyme de Woolrich Cornell : « La mariée était tout en noir » , avant sa suite noire de cinq titres : Retour à Tillary street, Alibi noir, Ange, Une peur noire, Rendez-vous en noir, mais, à la même période, c’est William Irish qui signera Lady Fantôme, L’heure blafarde, la sirène du Mississipi et enfin j’ai épousé une ombre (1948). Il vivait avec sa mère malade et quand celle-ci décède, il se retire dans la solitude et l’alcoolisme. Après l’amputation d’une jambe à cause de la gangrène, il meurt d’une attaque dans l’oubli, tout en restant le maître du roman à suspens avec ses récits qui machiavéliques.
Il faut citer ensuite William Riley Burnett qui se fait connaître en 1929 avec la parution de « Le petit césar » , vie d’un truand inspiré de celle d’Al Capone, suivie d’une trilogie urbaine avec Quand la ville dort, Rien dans les manches et Donnant -donnant. Il a obtenu l’Oscar du meilleur scénario pour La grande évasion en 1962. James Cain décrit un monde qui a pour métaphysique le sexe et de l’argent, notamment avec « Le facteur sonne toujours trois fois » (1934) et Assurance sur la mort (1936). Celui qui se dit l’écrivain maudit du roman noir, Horace MC Coy et qui est journaliste sportif, écrit « On achève bien les chevaux », en 1935, mais aussi « Un linceul n’a pas de poches » en 1937 et publié qu’en 1948.
Un arrêt sur Jim Thomson, un des plus noirs avec une galerie de personnages désespérés et désespérants, en passant par le shérif de « 1275 âmes » ( en France n° 1000 de la série noire), le représentant de commerce parano dans Des cliques et des claques) , le journaliste alcoolo dans M. Zéro, le garçon de café complètement névrosé dans La mort viendra, petite ou encore le nervi tueur dans Nuit de fureur. Une équipe de dessinateurs et scénaristes ont réalisé les deux premiers tomes d’une trilogie « Sans pitié » en rendant hommage à cet auteur. La premier page du premier tome, montre un ballez en train de lire : « Deuil dans le coton » (titre original : Cropper’s Cabin). Ce roman est sorti en 1952. Le premier roman de Jim Thomson est Now et Earth (1942), traduction littérale « Maintenant et ici-bas » ayant donné le titre français « Ici et maintenant ».Jim Thomson a été découvert en France avec la parution de son roman « 1275 âmes » (J.B Pouy en comptera 5 de plus), n°1000 de la Série noire (titre original : Pop 1280 et adaptation cinématographique de Tavernier dans « coup de torchon »).Plusieurs de ses romans, alors qu’il est mort dans l’indifférence aux Etats Unis, ont été adaptés au cinéma. En France, on peut citer aussi « Série noire » d’Alain Corneau.
Cet auteur texan a été comparé à Céline et avait une vision apocalyptique du monde. Il a raconté sa vie dans Bad boy (1953). Il a travaillé avec Stanley Kubrick pour « Ultime razzia » et pour « Les sentiers de la gloire » (1955). On le voit apparaître dans le film « Farewell My Lovely » de Dick Richard qui lui a donné le rôle d’un juge trompé par son épouse. Il a écrit dans les Pulps d’où ont émergé les premiers auteurs du hard boiled qui ont inspiré le genre noire en France et « les arpenteurs du réel » auxquels fait allusion Daeninckx, qu’ils soient de Marseille ou d’ailleurs.
David Goodis était reporter et explorer les bas-fonds urbains, se déguisant même en clodo. Il a mis en scène des anti-héros, galériens urbains qui se révoltent dans un sursaut de dignité humaine avant de sombrer définitivement dans le néant. Pour exemples quelques titres évocateurs: La nuit tombe, Epaves, Sans espoir de retour.. Il est l’auteur de « Ne tirez pas sur le pianiste adapté au cinéma par Truffaut en 1957.
Un écrivain noir dans la Noire, Chester Himes qui, après avoir purgé sept ans de pénitencier aux USA pour braquage, s’installe en France où il rencontre Marcel Duhamel et écrit « La reine des pommes » en 1958 et « Fossoyeur Jones et Ed Cercueil », deux flics violents qui séviront dans une série de 9 romans. On peut citer aussi L’aveugle au pistolet, Affaire de viol et Fin du primitif. Aujourd’hui, un autre écrivain américain et noir vit en France. Il s’agit de Jake Lamar dont deux ouvrages sont publiés chez Payot et Rivages "Nous avions un rêve" (Thriller) et "Le caméléon noir" (noir). Il est né et a grandi à New York dans le Bronx. Il est journaliste diplômé de Harvard. Il était venu visiter la France en 1993 et s’y est établi. Le Caméléon noir est l’histoire d’un journaliste noir américain, Clay Robinette, épinglé pour une histoire de falsification de source d’information et recyclé dans l’enseignement. Son ami Reggie Brogus, obèse et ancien militant de la cause noire, trouve le cadavre nu d’une jeune femme blanche, une étudiante avec laquelle Clay a une liaison. Malgré les soupçons qui pèsent sur Brogus, Clay va se fourrer dans les ennuis pour couvrir son ami. L’autre roman est une anticipation de l’avenir policier et judiciaire de l’Amérique avec camps de rééducation des toxicos, exécutions télévisées des condamnés à mort de plus en plus nombreux, rétablissement de la pendaison par souci d’économie… et tout cela sous la houlette d’un attorney en passe de devenir le premier vice-président noir des Etats-Unis.
Il y a en d’autres écrivains américains comme Mickey Spillane, inventeur de Mike Hammer, Erie Stanley Gardner, père de Perry Mason, Ed Mc Cain et son commissariat du 87ème district ou encore James Hadley Chase et ses 89 romans dont « Pas d’orchidées pour Miss Blandish, adapté au théâtre. On ne peut tous les citer. Il existe des dictionnaires du polar. Il y a aussi de bons libraires qui mettent même des fiches de lecture dans leurs livres.
Evolution du roman policier en France :
Le 20ème siècle, une pègre organisée s’est établie en France. Parmi les truands, des Corses mis en scène dans le décor parisien et notamment le quartier de Pigalle, qui devient le haut lieu de la drogue et de la prostitution. En France, alors qu’il devient un genre répandu chez les lecteurs, les auteurs et les éditeurs, le polar reste cantonné dans le giron de la capitale, Paris ou bien à l’étranger car les éditeurs choisissent le plus souvent d’éditer des traductions de romans américains.Pendant que, aux USA , le détective « hard boiled » ( dur à cuire) enquête dans le roman noir, la France se plonge dans le Milieu, le Mitan et ses truands hauts en couleurs avec leur langage argotique. C’est la belle époque des tractions avant et des gros coups, mais aussi des auteurs à succès alimentant avec leurs romans le grand écran avec des belles gueules d’acteurs : Jean Gabin, Eddy Constantine, Lino Ventura, Bernard Blier, Michel Constantin, …
En 1953, Albert Simonin publie « Ne touchez pas au Grisbi », adapté au cinéma par Jean Beckert. Ce premier roman consacré à des truands vieillissants, sera suivi de deux autres : « Le cave se rebiffe » adapté au cinéma par Gilles Grangier en 1961, et « Grisbi or not Grisbi » adapté au cinéma par Georges Lautner sous un autre titre « Les tontons flingueurs » en 1963. Simonin a initié le lecteur à l’emploi de l’argot et a même écrit un dictionnaire de mots argotiques : « Petit Simonin illustré par l’exemple » ( édité en 1968) . Son ultime roman est « L’élégant » (1973).José Giovanni est d’origine corse. Il a connu la prison. Il a été incarcéré à 22 ans, condamné à mort puis sa grace a été obtenue par son père qui l’a toujours soutenu lors de son incarcération. Il devient écrivain à 34 ans. Son premier ouvrage « Le trou », écrit en prison, sort en 1958 et s’inspire de sa propre tentative d’évasion de la prison de la Santé. En 1960, il sera adapté au grand écran par Jacques Becker et à l’affiche, apparaissent Jean Keraudy et Michel Constantin. Le réalisateur décédera le 21 février 1960 sans assister à la sortie de ce film qui sera suivie, jusqu’en 1988, d’une longue filmographie pour le nouvel écrivain, scénariste et réalisateur, José Giovanni : Le nommé Rocca d’après le roman « L’excommunié », La loi du survivant, Le rapace, Un aller simple, Dernier domicile connu, La Scoumoune, Deux hommes dans la ville, Le gitan, Comme un boomerang, Les égouts de Paris, Une robe noire pour un tueur, Le Ruffian, Les loups entre eux, Mon ami le traître. Dans ces films, ont joué les plus grands acteurs français du genre : Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Paul Meurisse, Marcel Bozzufi, Annie Giradot… La même année que « Le trou », il sortait ses romans « Le deuxième souffle, Classe tous risques et l’excommunié.
Après une adolescence agitée, José Giovanni a beaucoup écrit dans la série noire. Il a souvent décrit avec justesse et réalisme, le milieu carcéral et le monde des voyous. Il a été un auteur prolifique dans le genre policier et d’aventure dans une œuvre où est présente une dimension sociale et politique. Il s’est montré préoccupé par le devenir de la jeunesse et la délinquance. Il s’insurgeait contre toute violence « qui ne tient pas compte de la valeur d’un être humain » et considérait la pornographie comme dégradante et destructrice chez les jeunes. En 1995, il sort le roman « Il avait dans le cœur des jardins introuvables » (Chez Robert Laffont), qu’il adaptera au cinéma avec son ami Bertrand Tavernier. Le film sortira sous le titre « Mon père ». C’est l’histoire de José Giovanni et de son père, qui s’est battu pour que son dernier fils échappe à la peine capitale dans la France d’après-guerre. Il met en scène ce père qui gagne l’argent du procès en jouant par habitude, par nécessité et parce que c’est le meilleur moyen, pour lui, de gagner cet argent. Très présent dans le monde du polar, josé Giovanni participait à de nombreux évènements organisés en France. Ilest décédé le 21 avril 2004 à Lausanne. Il avait 80 ans et s’était marié avec Zazie, secrétaire de Bernard Queneau.
Alphonse Boudard sait aussi de quoi il s’agit lorsqu’il parle de prison. Il a été maquisard pendant la dernière guerre et s’est reconverti ensuite dans le cambriolage, ce qui lui a valu de connaître les cellules de Fresnes. En 1962, il sort « La métamorphose des cloportes ». Une trentaine de romans suivront. Comme Simonin, il utilisera l’argot dans certains, comme « Les combattants du petit bonheur » ou « L’éducation d’Alphonse ». Il a travaillé pour le cinéma et la télévision avec de grands acteurs comme Jean Gabin, Alain Delon ou Simone Signoret.
On peut citer aussi André Héléna (Les héros s’en foutent , Les flics ont toujours raison) , Pierre Lesou (Le doulos) et bien sûr Auguste Le Breton ( Du rififi chez les hommes, Rafles sur la ville) qui, à l’instar de Simonin, écrivit un dictionnaires « Argotez, argotez ».
Le roman noir en France :
« Le roman policier ne voit de mal que dans l’homme alors que le polar voit le mal dans la société » selon Jean-Patrick Manchette, né à Marseille.
Deux noms vont marquer le roman noir français dans la deuxième moitié du 20ème siècle : Léo Malet avec son héros Nestor Burma et Frédéric Dard avec le commissaire San Antonio, affublé de l’inspecteur Bérurier comme faire-valoir.Léo Malet, connu comme poète surréaliste anar, a d’abord publié sous des romans populaires sous des pseudonymes (Frank Harding, Léo Latimer, Jean de Selneuves et Lional Doucet). En 1943, il sort sous son nom 120, rue de la Gare et invente le personnage de Nestor Burma, détective français inspiré de son confrère américain. Mlle Nadia Dhoukar, a fait un énorme travail sur Léo Malet chez Laffont. Elle nous dit :
« Léo Malet (1909-1996) a toujours été passionné de mystères. Né à Montpellier d'un père employé de commerce et d'une mère couturière, il est élevé par son grand-père, tonnelier de son état, qui l'initie au socialisme de Jean Jaurès et à la littérature de Victor Hugo, de Maurice Leblanc et d'Alexandre Dumas. A huit ans, il écrit ses premiers romans ; à seize, il vit à Paris de petits boulots et de chapardage et se produit comme chansonnier au cabaret de La Vache enragée. André Breton l'introduit auprès des surréalistes et l'encourage à publier ses poèmes (Ne pas voir plus loin que le bout de son sexe, 1936; L'arbre comme cabane, 1937; ...Hurle à la vie, 1939). Déporté dans un camp de travail allemand, il revient à Paris huit mois plus tard et aborde le roman policier par des chemins buissonniers, servi par une plume acérée et des penchants libertaires. Il commence à publier des " polars " à l'américaine sous les pseudonymes de Frank Harding et Léo Latimes. C'est en 1943 qu'il signe sous son vrai nom 120, rue de la Gare, la première enquête de Nestor Burma, un " détective de choc " qui lui ressemble (signes particuliers: libre et aventurier) et qui lui survivra. Léo Malet est mort le 3 mars 1996, laissant une oeuvre placée sous le double sceau de l'humour et de la poésie. Cette nouvelle édition en quatre volumes des romans de Léo Malet suit pas à pas la biographie fictive de Nestor Burma. Le lecteur découvrira en lui l'un des personnages les plus originaux de toute la littérature policière ».
Léo Malet, créateur de Nestor Burma aux éditions Robert Laffont, collection Bouquins.
« Léo Malet est de retour. Curieux homme, vagabond, anarchiste, vendeur de journaux à la criée, surréaliste, puis inventeur de Nestor Burma, ce personnage de détective privé (signe particulier : libre et aventurier) qui lui ressemble tellement. Etrange écrivain, qui a influencé beaucoup de nos auteurs de policiers et donné un nouveau style, sensible et poétique, au roman noir. Francis Lacassin l’avait aidé pour la première publication de ses œuvres chez « Bouquins ». Aujourd’hui, c’est Nadia Dhoukar qui a veillé sur cette nouvelle édition. Elle a notamment rédigé une biographie de Léo Malet placée en début de volume et nous offre quelques textes (chansons, poèmes, nouvelles, articles) en best off… note de l’éditeur.Frédéric Dard, avec sa verve déjantée et son commissaire San Antonio, policier infaillible et tombeur de femmes, est un immense succès populaire et le nombre de sites qui lui sont dédiés est impressionnant. Il faut bien sûr citer l’inspecteur Bérurier, boulimique, gros, crasseux, libidineux, vulgaire et fort en gueule, mais virtuose du calembour, son épouse monumentale, Berthe, et son collègue Pinuche, minuscule, oublié et décalé. Dard fils a bien essayé de prendre la relève de Frédéric père en continuant à exploiter le filon paternel mais le charme est rompu. San Antonio restera orphelin. Frédéric Dard a su conquérir un large lectorat par un mélange subtil de burlesque jusqu’à l’extravagance et de rigueur dans l’intrigue dans des récits sûrs se déroulant sans détours inutiles et ménageant le suspense.
Nous vous signalons un site à la fois très personnel et très documenté sur la bibliographie des San Antonio: http://www.crescenzo.nom.fr/san-antonio.html
Pierre Boileau et Thomas Narcejac sont connus comme théoriciens du genre, notamment dans l’opus commun « Le roman policier » ou bien « Esthétique du roman policier et une machine à lire : le roman policier » de Narcejac seul. Ils ont collaboré avec succès en écrivant L’ombre et la proie (sous le pseudonyme de Allain Bouccarèje). Le film « Les diaboliques » réalisé par Henri -Georges Clouzot est une adaptation de leur roman « Celle qui n’était plus » sorti en 1952. Hitchcock a adapté un autre roman intitulé « D’entre les morts » en lui donnant le titre Vertigo/Sueurs froides. On peut citer « Les louves » mais aussi « Les victimes » qui, au début de l’intrigue, donne davantage d’importance à la victime.On peut citer aussi Jean Meckert qui a écrit, sous le pseudo de Jean Amila, dans la série noire : Y a pas de bon dieu en 1950, Le loups dans la bergerie, Noces de soufre, jusqu’à plus soif et langes radieux, La lune d’Omaha (Il y règle ses comptes avec la guerre). Après 1968, il invente le personnage d’un flic hippie surnommé Géronimo qui est « au service des victimes et pas au service des puissance » : Le grillon enragé, la nef des dingues, Contest-flic... Alain Demouzon écrit des romans utilisant le jargon du quidam (Quidam est un de ses livres paru en 1980) dans des atmosphères grises et pluvieuses. Après avoir abordé le genre noir avec son titre « Un coup pourri » et son héros le détective Placard , il écrit, en 1978, Adieu ma jolla, en hommage à Chandler… Georges J. Arnaud qui signe « ne tirez pas sur l’inspecteur » sous le pseudo de Saint-Gilles (1954), puis continue à écrire des romans noirs sous son nom dont « Le coucou » en 1978… Raf Valet avec Mort d’un pourri et Adieu Poulet…
Ajoutons Pierre SINIAC né le 15 juin 1928 à Paris. Il a donc connu les deux guerres. C’était un auteur prolifique. Le grand public a pu faire sa connaissance avec l’adaptation cinématographique de son roman " Les Morfalous ", qui traitait déjà de l’héroïsme en temps de guerre. Il a obtenu le grand prix de la Littérature policière en 1981. De cet auteur, on peut citer " Illégitime défense ", son premier roman en 1958, " Monsieur cauchemar " en 1960, " L’unijambiste de la côte 284 ", " reflets changeants sur marre de sang ", " Femmes blafardes ", " Aime le maudit ", " Des amis dans la police ", " Le mystère de la sombre Zone " …. Il a inventé aussi les personnages étonnants de Luj Infernan et la Cloducque. Pierre SINIAC est mort dans l’indifférence et l’anonymat en mars 2002. On a découvert son corps le 11avril 2002 dans son HLM d’Aubergenville (Yvelines). Il a écrit " la course du hanneton dans une ville détruite " (ou " Corvée de soupe " ) en 1994. Ce livre sera édité 4 ans après son décès. (Rivages/noir).
Bien sûr la liste n’est pas exhaustive et, pour les autres, je vous renvoie à l'excellent dictionnaire des littérarures policières ( deux tomes) écrit par Claude Mesplède.
Après 1968, apparaît le néo-polar dont le chef de file est Jean-Patrick Manchette…
A suivre…
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Le 17 octobre 2011 à l'Université de Corte qui fête ses 30 ans....
L'Université de Corse fête ses 30 ans cet automne. A l’heure où l’enseignement supérieur et la recherche connaissent de profondes mutations, s’internationalisant tout en s’arrimant davantage à leurs territoires, l’Université a souhaité se saisir de cette occasion pour rappeler autant le sens que les formes plurielles de son engagement et de son activité. C’est dans cet esprit qu’elle propose un programme de manifestations et de rendez-vous riche, varié et convivial. Ce programme vise dans un même mouvement à rappeler l’histoire de l’Université, plus singulière et complexe que ne le laisse supposer son jeune âge, à créer de solides passerelles entre générations, à refléter enfin la vie d’une institution ouverte aux questionnements de son temps et résolument tournée vers la construction d’un avenir commun. De nombreux acteurs de la société corse ont été sollicités pour contribuer à l’élaboration et à l’animation de ce programme : autre manière de dire que l’Université, fidèle à son histoire, est plus que jamais ancrée dans son territoire et engagée dans sa transformation. Débats, conférences, expositions, formations citoyennes, moments solennels de reconnaissance et de transmission mais aussi de plaisir et de partage : je vous invite à venir nombreux aux différents rendez-vous qui rythmeront cet anniversaire.
Antoine Aiello,
Président de l'Université de CorseProgramme à l'adresse ci-dessous:
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